Condamné à une lourde peine de prison, il obtient de passer son permis…

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Quelques mois après l’évasion du détenu Mohamed Amra, survenue le 14 mai dernier lors d’un guet-apens meurtrier au péage d’Incarville (dans l’Eure), un condamné multirécidiviste, incarcéré au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), se paye le luxe de passer son permis de conduire. Une décision qui a aussitôt suscité la colère et l'indignation du syndicat pénitentiaire UFAP UNSA Justice.

Le personnel pénitentiaire « dans l’incompréhension la plus totale »

Le détenu est classé DPS. Un « détenu particulièrement signalé », inscrit au fichier spécial de la répression du banditisme ou désigné par l’administration pénitentiaire en raison des risques qu’il présente pour l’ordre public : appartenance à la criminalité organisée, probabilités d’agression ou d’évasion. Qui plus est classé escorte 4, c'est-à-dire le plus haut niveau d’escorte prescrit pour les détenus lorsque ceux-ci doivent se déplacer pour des raisons médicales ou judiciaires ou être transportés vers une autre prison ; appliqué notamment pour les « DPS bénéficiant d’un soutien extérieur important et ayant à leur actif une évasion réussie avec complicité armée extérieure »). L'individu, âgé de 53 ans, condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre d’un homme lors d’un braquage, est également connu pour de multiples tentatives d’évasion avec prises d'otages.

Malgré ce palmarès, il s’est vu accorder plusieurs permissions de sortie pour prendre des leçons de conduite dès ce mois d'août, alors que sa libération ne pourra être prononcée qu’en... 2044. Une décision des plus libérales qui, au regard de la dangerosité du détenu, pose question. Celle autorisation lui a été octroyée par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), contre l’avis du directeur de l’établissement pénitentiaire de Vendin-le-Veil et l’appel formulé par le procureur de la République de Béthune auprès de la chambre d’appel de l’application des peines (CHAP). Nonobstant, la chambre a jugé bon de maintenir l’octroi de cette permission, suscitant l’incompréhension du syndicat pénitentiaire UFAP UNSA Justice, qui s’est aussitôt insurgé contre ce laissez-passer dans un communiqué de presse, publié ce mardi 13 août et au titre révélateur quant à l'état de lassitude et d'indignation du personnel pénitentiaire : « Vendin-le-Vieil, un DPS au pays des merveilles ! »

On apprend que le détenu en question s’apprêtait à visiter le musée du Louvre-Lens, situé à Lens, dans le Pas-de-Calais. « Une permission de sortie (PS) avortée à la suite de notre intervention », précise le syndicat pénitentiaire de l’UFAP UNSA Justice. Mais voilà que « bis repetita ! Ce même détenu [...] se voit accorder une nouvelle permission de sortie, cette-fois-ci pour prendre une leçon de conduite et passer son permis… », s’indigne le syndicat pénitentiaire. « Le détenu sortira, le 19 août prochain, en totale autonomie ! 9 autres permissions sont d’ores et déjà accordées jusqu’à la mi-septembre dans le même cadre. »

« Un bras d’honneur adressé au personnel pénitentiaire »

Le syndicat ne cache pas sa vive exaspération, qualifiant l’octroi de cette permission de véritable « bras d’honneur », trois mois après la tragédie d’Incarville ayant ôté la vie à deux agents pénitentiaires et fait trois blessés graves. Un bras d’honneur adressé « aux personnels et à toute la pénitentiaire ». « Un bras d’honneur [adressé] à la profession policière, aux agents pénitentiaires endeuillés, à tous les Français au nom desquels on est censé rendre la justice, aux victimes. »

Un détenu au CV inquiétant

En 2000, le détenu tente de s’évader du tribunal de Bobigny. Un an plus tard, une nouvelle tentative d’évasion par hélicoptère échoue, depuis le centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Trois surveillants pénitentiaires sont alors pris en otages pendant près de 17 heures. En 2002, des explosifs sont découverts dans sa cellule, à la prison de la Santé (Paris). En 2008, nouvelle tentative d’évasion, depuis la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénées). En 2009, il s’évade à nouveau, cette fois, depuis la prison de Moulins (Allier) avec usage d’armes et d’explosifs. De nouveau, le personnel pénitentiaire est pris en otage ; la cavale durera 36 heures. Enfin, en 2013, « quatre jours après avoir été condamné à 15 ans de prison pour l’évasion de Moulins, le détenu déclare dans un [entretien] accordé au Journal du dimanche qu’il compte de nouveau s’évader », précise l’UFAP UNSA Justice. Pour le personnel pénitentiaire, la direction de l’administration pénitentiaire offre au détenu multirécidiviste via ce sauf-conduit rien de moins qu'« un road trip ».

Une nouvelle frasque judiciaire qui participe à la défiance des Français envers la Justice tout autant qu’elle accentue les défaillances de la sécurité publique. Selon une enquête d’opinion CSA du 30 novembre 2023, un Français sur deux (51 %) n’a pas confiance en la Justice. Parmi les dysfonctionnements constatés, sa longueur et sa lourdeur, mais également son laxisme sont pointés du doigt : dans une note du CEVIPOF du 18 avril 2023, 70 % des Français soulignaient le laxisme judiciaire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 17/08/2024 à 23:14.
Anna Morel
Anna Morel
Journaliste stagiaire. Master en relations internationales.

Vos commentaires

89 commentaires

  1. Question : Pourquoi passer le permis de conduire en 2024 quand on est censé rester derrière les barreaux jusqu’en 2044 ? Pas besoin de permis pour conduire un kart les jours de fête à la prison.
    On nous prend pour des bobets.

  2. Pour une fois qu’un délinquant souhaite se mettre en règle, nous trouvons cela injuste. Imaginez, s’il avait eu son permis, il se serait arrêté lors d’un contrôle de police, aurait pu présenter ses papiers et ceux du véhicule en règle. Il aurait su qu’il fallait travailler pour utiliser une voiture, que celle ci ne doit pas emprunter les voies réservées au covoiturage quand on est seul, enfin il se serait conformé comme nous tous aux règles abracadabrantesques que l’on impose à l’automobiliste et à tout travailleur. Aussi, même s’il parait bien tard pour qu’à l’âge de 73 ans, quand il sortira de prison ( s’il y retourne) cet individu subisse enfin les tracas de tout citoyen honnête, la justice aura tenté ce que l’éducation nationale et elle même apparemment (récidive) n’ont jamais fait: fixer des règles.

  3. Et comme toujours dans ce pays, on ne remontera pas la chaîne des responsabilités pour identifier le responsable de cette aberrante décision et le (la) sanctionner en conséquence… Dilution des responsabilités, multiplication des textes réglementaires, politique du parapluie, on connait la chanson… Les affaires de ce type ont tendance à se multiplier dans cette administration pénitentiaire : Affaire Colonna, affaire Amra et dans l’ Education Nationale également. Ils sont tous coupables mais jamais responsables et surtout, jamais sanctionnés…

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