Confinement : Nietzsche comme antidote

Les différents confinements actés dans des pays modernes tels que la Chine, les États-Unis, l’Italie et la France (dès le 17 mars) laissent déjà des traces dans ces sociétés civiles peu enclines à la méditation philosophique, car jusque-là entraînées dans une course effrénée pour la performance et le profit. L’État – notamment celui se disant démocratique et libéral – n’hésite pas à imposer sa moralité sur toutes les ondes (#Restez chez vous !), invitant son peuple à faire preuve de bonne conscience. Le citoyen, ce criminel en puissance ! Définitivement un poison dont l’antidote se trouve dans l’œuvre du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900) : « L’État, c’est le plus froid des monstres froids. Il est froid même quand il ment ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : Moi, l’État, je suis le peuple. »

Il convient ainsi de réaliser l’étendue de nos fautes. Cependant, « tout ce qui devient conscient devient plat, bête, généralisation, marque du troupeau. Dès que l’on prend conscience, il se produit une falsification. » Par essence, la vérité n'est pas dans l'ego : elle est qualitative avant d'être quantitative. En effet, rien de pire que les prises de conscience, celles-ci étant toujours collectives, souvent nihilistes et aucunement créatrices. « La moralité, c’est l’instinct du troupeau dans l’individu. » Voilà donc le type d’équation à déconstruire : Vérité = Bien… Ou plus de vérité, mais que des perspectives !

Seulement, « l’homme aime mieux vouloir le néant que ne pas vouloir… » Et comme il est difficile de lutter quotidiennement contre l’uniformité ! Bon gré mal gré, la morale est la seule arme du politique, faisant aisément du citoyen un loup ou un zombie. Par angoisse consubstantielle, la nature humaine a besoin de se sentir à l’abri, de se confiner d’elle-même : « L’homme est un animal qui vénère ! » Mais qui n’est pas un homme ordinaire est à même de se dire : « Je déteste suivre autant que conduire. Obéir ? Non ! Et gouverner, jamais ! » Il n’est donc pas donné à tous la capacité à se prémunir contre ces autorités se vantant de leur intelligence : « “L’esprit” veut être maître et seigneur en lui et autour de lui. » Néanmoins, des Hamlet chez qui « la connaissance tue l’action ».

Assurément, « vouloir libère » à l’ère du grand enfermement. Avoir l’intuition que la science n’est pas la Sécurité sociale et que son ordre est souvent dogmatique et si peu critique. Nietzsche affirme que « le savant est un décadent ». Il en deviendrait presque radical : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou. » En outre, la vie n’est-elle pas un perpétuel défi ? « Qu’est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui provient de la faiblesse. » Ou l’homme est « l’animal malade ». De fait, le tragique prime toujours sur la logique. Et la science, plus que la finance, impose son ordre au politique : « Une époque de barbarie commence ; les sciences la serviront. » Le diagnostic du docteur Nietzsche est alors clair : « La folie est chose rare chez les individus – mais dans les groupes, les partis, les peuples, les époques, c'est la règle. »

En somme, c’est un penseur à lire et à relire, voire à déchiffrer : « Il n’y a jamais eu qu’un seul chrétien, et celui-là est mort sur la croix », avait-il écrit, en 1888, avant de sombrer dans la folie. Parce qu’à vrai dire, le disciple est toujours le fossoyeur de son maître… Comme si la pensée nietzschéenne elle-même pouvait être dépassée.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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