Conservation du patrimoine : « Une bonne partie de nos lois sont obsolètes »

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Le 16 mai dernier, Olivier Fury était convoqué devant le tribunal correctionnel pour avoir restauré sans permis de construire la chapelle de son domaine. Douze ans de travaux à ses frais que le propriétaire devra peut-être détruire, en fonction de la décision de justice du 28 juin prochain. Alexandra Sobczac-Romanski, présidente d'Urgence patrimoine, réagit auprès de Boulevard Voltaire.

Marc Eynaud. Dans l'Hérault, le propriétaire d'un monastère en ruine est poursuivi par la DRAC pour avoir rénové à l'identique le bâtiment inscrit sans permis de construire. Est-ce que la Justice est trop zélée ?

Alexandra Sobczac-Romanski. La décision de justice sera connue le 28 juin, mais en demandant la destruction pure et simple des travaux effectués par le propriétaire depuis l’acquisition de la chapelle en 2011, le procureur semble vouloir faire un exemple de cette affaire afin de rappeler, même aux personnes de bonne volonté, qu’il y a des lois et que nul ne peut les contourner.

Nous n’aurions pas grand-chose à redire si, sur l’ensemble du territoire français, des milliers d’édifices n’étaient pas laissés à l’abandon ou en proie aux pelleteuses. Si, encore, ce que nous appelons les « patrimonicides » ne concernaient que le patrimoine non protégé, nous pourrions comprendre la requête du procureur, mais nous avons pléthore d’exemples d’édifices inscrits, et même classés, qui sont en train de « pourrir » dans l’indifférence générale, y compris celle de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et, bien évidemment, du ministère de la Culture. D’où notre étonnement de voir quelqu’un qui a sauvé un édifice de la ruine se voir condamner aujourd’hui.

M. E. Est-ce que cela ne risquerait pas de décourager les citoyens de bonne volonté ?

A. S.-R. Je me souviens de notre condamnation lors du second recours pour tenter de sauver de la démolition la chapelle Saint-Joseph à Lille. La veille, Stéphane Bern, dans un très long article dans Le Parisien, avait appelé à la mobilisation citoyenne. Eh bien, cette condamnation était le parfait exemple des risques pris par les citoyens engagés pour la sauvegarde du patrimoine. D’ailleurs, lui-même avait été outré de cette décision de justice et cela ne m’étonnerait guère qu’il le soit également pour la condamnation de M. Fury. D’autant que, pour l’anecdote, Mme Brigitte Macron elle-même a félicité, dans un courrier, M. Fury pour son engagement envers le patrimoine.

Cette affaire est l’illustration parfaite que dans notre société, d’un côté on appelle les citoyens à s’engager et, de l’autre, on ne leur laisse aucune latitude. Alors, c’est vrai, il y a parfois des restaurations calamiteuses, mais dans le cas de cette chapelle, on ne peut pas dire que cela soit mal fait ou de mauvais goût. On reproche à Olivier Fury d’avoir fait un béton ciré au sol à la place du ciment existant très endommagé ? Je ne suis pas expert, mais esthétiquement parlant, c’est plutôt bien réussi. Rappelons tout de même que plus de 360.000 euros ont été investis dans les travaux et que M. Fury n’a pas touché un centime d’argent public. La chapelle étant inscrite il était en mesure de demander jusqu’à 30 % de subvention à la DRAC. Or, il n’a rien demandé. Alors, à l’heure où les caisses en faveur de la restauration du patrimoine sont presque vides, je pense sincèrement que le simple fait d’assumer entièrement la charge de cette restauration devrait conférer à M. Fury un minimum de souplesse.

D’autant qu’il est important de souligner que le chantier a reçu régulièrement la visite d’un architecte des Bâtiments de France, et que celui-ci n’a jamais objecté quoi que ce soit, et encore moins ordonné la suspension du chantier.

Ce qui est dommage, c’est que cela donne une image détestable des ABF et de la DRAC, et c’est en partie à cause de ça que certains citoyens préfèrent agir sans rien demander, de peur des exigences et des lenteurs administratives. Alors qu’en théorie, ces acteurs sont là pour apporter conseil et assistance. Mais n’accablons pas ces professionnels du patrimoine, car c’est surtout à cause du manque de moyens humains et financiers que rien ne va plus dans les services de la culture. Donc, quand un propriétaire a les moyens de sauver un édifice, il serait de bon ton de ne pas l’accabler.

M. E. Au fond, on a presque l’impression que la Justice préfère les ruines à une rénovation. N’est-ce pas paradoxal ?

A. S.-R. Je crois sincèrement que la question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si la Justice préfère les ruines (car elle est « juste » là pour faire appliquer la loi) ou si notre sauveur du patrimoine a eu tort ou raison. Non, la vraie question est : les lois concernant la protection du patrimoine sont-elles, de nos jours, adaptées à la réalité du terrain ? Car on traite ici le cas d’une chapelle qui, si je puis m’exprimer ainsi, ne tenait debout que par « l’opération du Saint-Esprit » comme un édifice qui n’aurait subi que quelques désordres ou qui aurait besoin d’un petit « rafraîchissement ».

Une bonne partie de nos lois sont obsolètes et certaines ont, elles aussi, besoin d’un petit rafraîchissement. Et puis, il faudrait peut-être que la Justice soit aussi juste avec les citoyens qu’avec les institutions lorsque celles-ci sont contrevenantes. Mais ça, c’est encore un autre débat.

Bien évidemment, Urgences patrimoine sera aux côtés de M. Fury dans l’ensemble de ses démarches pour éviter de voir disparaître encore un témoin de notre mémoire collective. S’il est vraiment obligé de détruire douze ans de travaux, il va de soi que la chapelle sera condamnée.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

14 commentaires

  1. N’oublions pas non plus que, dès que c’est la Justice qui rentre en action, on perd toute notion d’équité, hélas! Comment voulez-vous qu’un magistrat dont les confrères appartiennent pour une bonne part au Syndicat de la Magistrature, ce poison gauchiste, porte clémence à l’égard d’un édifice religieux catholique?

  2. Un permis de construire dans le cas d’une reconstruction à l’identique est effectivement une farce. Je viens du domaine du bâtiment et je trouve cela vraiment absurde de devoir se justifier par un permis de construire ou une autorisation des bâtiments de France pour certains cas alors que pour les antennes relais ou les éoliennes, cette dernière administration n’en a rien à faire. Les fonctionnaires à la noix qui pensent avoir le pouvoir de décision sur bien des ouvrages, sont très souvent inaptes à comprendre et ne servent à rien. Que l’on nous explique pourquoi certaines personnes ont un permis pour la construction de bâtiments qui font tache dans le paysage ( autant au niveau architectural qu’au niveau des couleurs, alors qu’ils se trouvent dans des sites protégés. Conclusion : un architecte qui est un incapable malgré son diplôme finit très souvent dans ces administrations qui délivrent les permis.

  3. Pour une fois la France serait bien inspirée et de copier la Perfide Albion, avec, ou plutôt sans, l’aide de S. Berne.
    Malheureusement, là-bas aussi, en Grande-Bretagne, les gauchistes (Labour) votèrent dans les années 60 des lois qui virent nombre de propriétaires de demeures exemplaires les vider de leur contenu, souvent vendre ces contenus, et faire sauter à la dynamite leurs demeures, plutôt que de payer des taxes inouïes…
    Heureusement qu’alors un certain Prince horrifié, devenu aujourd’hui Roi et fin connaisseur en Art et architecture, pris alors le taureau par les cornes et fit un tel pataquès que le drame cessa, trop tard souvent, et que les demeures restantes furent sauver à jamais, en inspirant aux grandes fortunes de se bouger le c– afin de sauver le patrimoine national, en créant le « National Trust » qui permit de sauver des demeures et autres folies qui aujourd’hui participent au charme du Royaume.
    Mais bon, nous savons bien que ce qui fonctionne ailleurs, particulièrement en Grande-Bretagne, n’est pas traduisible en français.
    On se demande d’ailleurs pourquoi des Grands Patrons, tel Bernard Arnault qui sauva un Palais à Venise, etc., nous connaissons la suite.

    • Les Anglais ont bien des domaines de grande compétence . Ce n’est pas le cas de leur architecture .

  4. Les juges ne jugent que le droit, on ne peut pas leur laisser le droit (en théorie de juger autre chose même si on voit de drôles de choses concernant certains au nom de pas de vagues). Toutefois on a des recours et on peut faire appel. Une technique employée par certains est de construire sans permis (notamment certaines communautés qui veulent en principe se sédentariser) ou de déposer un permis et de construire autre chose, la mairie les envoie devant les tribunaux et comme il est très exceptionnel qu’on fasse détruire un immeuble déjà construit, ils sont condamnés à une amende qui vaut conformité. (source un employé de mairie chargé de ses cas-là)

  5. … » Mme Brigitte Macron elle-même a félicité, dans un courrier… » L’épouse du président de la République étant une simple citoyenne, ce comme toute épouse de France, elle n’a pas à fourrer son grain de sel là où bon lui semble. Il est d’ailleurs indispensable d’en finir avec ce rôle de dame patronnesse qu’elle joue, tandis qu’à l’instar de ses prédécesseurs, elle ne rend aucun compte de son « activité » financée sur fonds publics. . Les députés étant les représentants du Peuple souverain, c’est à eux que tout citoyen français doit s’adresser.

  6. Les 30% d’aides ne sont pas un cadeau car les bâtiments de France exigent de prendre des architectes et ouvriers a des prix bien supérieurs au marché classique

  7. Rien d’etonnant,tous les jours les juges protègent ceux qui détruisent et qui tuent et condamnent ceux qui veulent protéger leurs biens et leur vie

  8. Procureurs , délateurs , DRAC, fonctionnaires : Pouvez pas laisser les gens aptes et compétents pour le travail- belle oeuvre en paix vivre leur vie à la gloire du bien et du beau, au lieu de mijoter vos aigreurs d’estomac d’être des inutiles ?

  9. Bonne analyse.
    Ceci étant, si le pays doit réformer quelque code que ce soit, il serait hautement préférable de le faire sous une autorité et sous des compétences plus attestées que ce dont nous disposons aujourd’hui.
    Or, les risques que le facteur temps fait encourir à notre patrimoine (et à tous les autres secteurs également d’ailleurs!) se présentent maintenant sous deux formes :
    1) La temporisation selon des règles devenues obsolètes et nocives;
    2) L’action immédiate de législation et de sauvetage, mais dans un système et sous des autorités qui ne cessent de nous démontrer l’étendue de leur inaptitude dans tous les domaines.
    Je comprends qu’une telle analyse puissent apparaître comme un sarcasme !
    Ce n’est pas le cas. C’est une réalité; toute pièce de notre précieux patrimoine détruite ou simplement perdue dans l’intervalle, le sera très probablement à titre définitif !
    Le combat mené par madame Alexandra Sobczac-Romanski et ses partisans est donc une priorité culturelle qui doit être prise en compte lors de l’action politique au quotidien !

  10. Il est tout de même surprenant, dans cette affaire de chapelle que la DRAC demande la destruction pure et simple des travaux effectués par le propriétaire depuis l’acquisition de la chapelle en 2011, alors que le chantier a reçu régulièrement la visite d’un architecte des Bâtiments de France, et que celui-ci n’a jamais objecté quoi que ce soit, et encore moins ordonné la suspension du chantier. Soit, l’architecte des bâtiments de France était incompétent, auquel cas, c’est lui qui doit être sanctionné, soit, il s’agit là d’une vengeance entre la DRAC et le propriétaire voire l’architecte. Mais ceci démontre surtout que dans ce pays tout devient arbitraire et nous rapproche d’une « République bananière ».

    • C’est exactement ma réflexion :) J’espère que dans sa défense, l’avocat du propriétaire a mis en cause l’architecte des Bâtiments de France et, à travers lui, la DRAC et donc l’Etat.

    • Un Fonctionnaire est un Fonctionnaire, fût-il Architecte D.E. S’il était compétent, il aurait un cabinet et une clientèle. J’en ai connu un qui a voulu construire une criée en bois . Les normes sanitaires proscrivent absolument le bois pour le secteur alimentaire . Il a eu gain de cause et la construction a été faite en bois . Il a fallu ensuite habiller l’intérieur des parois de matériaux stérilisables .

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