Contrats signés avec Pfizer : le New York Times saisit la Justice pour obtenir les SMS d’Ursula von der Leyen

Ursula_Von_der_Leyen_-_April_2022

Décidément, la présidente de la Commission européenne a des difficultés avec les nouvelles technologies. Ce doit être générationnel. Il est vrai qu’elle est née dans des temps obscurs où ni Internet ni les smartphones n’existaient. La préhistoire. Et forcément, ça laisse des traces. Il aura suffi d’une mauvaise manipulation et hop ! tous ses textos se sont volatilisés.

Bien entendu, on ne lui en tiendrait pas rigueur si lesdits textos ne concernaient pas un giga-contrat concernant l'achat de 1,8 milliard de doses de vaccin, pour un montant de 35 milliards d'euros. En avril 2021, le New York Times avait, en effet, révélé l’existence de textos échangés pendant plusieurs semaines entre Ursula von der Leyen et Albert Bourla, le PDG du laboratoire Pfizer-BioNTech.

Quel en était le contenu ? Mystère. Un journaliste du site allemand Netzpolitik avait bien tenté de les obtenir mais s’était heurté à une fin de non-recevoir de la part de la Commission européenne. S’en était suivie une véritable saga juridico-médiatique qui vient de connaître un nouveau rebondissement avec la plainte déposée auprès de la Cour européenne de justice par le New York Times, le 25 janvier dernier, afin de contraindre la Commission à les publier.

La controverse juridique qui sous-tend cette affaire porte sur l’existence d’une obligation légale, pour la Commission, de conserver des textos dans le cadre d’un droit d’accès aux documents. En novembre 2021, le site Netzpolitik notait que, jusque-là, les messages SMS et WhatsApp n'étaient pas considérés par Bruxelles comme des documents officiels qui devaient être classés et remis sur demande.

Saisi de l’affaire, le Médiateur européen, Emily O’Reilly, tranchait, en janvier 2022, en considérant que les textos entraient bien « dans le cadre de la législation européenne sur l’accès du public aux documents ». Ce qui comptait n’était pas tant le support que le contenu : « Si les textos concernent des politiques et des décisions de l’UE, ils doivent être traités comme des documents de l’UE », affirmait-elle. D’autre part, son enquête ayant fait apparaître que la Commission n'avait pas demandé de façon explicite aux membres du cabinet de la présidente de rechercher les textos, elle demandait qu’il soit procédé à une recherche plus approfondie.

Sur Boulevard Voltaire, Marie-Camille Le Conte avait retracé la suite de cette saga. En juin 2022, la commissaire européenne aux valeurs et à la transparence, Věra Jourová, avait répondu que la recherche effectuée par le cabinet du président pour trouver les SMS n’avait donné aucun résultat mais qu’à l’avenir, la Commission serait beaucoup plus vigilante. N’en doutons pas.

Il y avait eu ensuite un nouveau rapport du Médiateur puis l’entrée en scène de la Cour des comptes européenne qui, dans un rapport publié en septembre 2022, dénonçait également l’opacité entourant la négociation de ces contrats. Ses demandes d’information étaient, elles aussi, restées vaines. En octobre, c’était au tour du Parquet européen d’ouvrir une enquête « sur l’acquisition de vaccins Covid-19 dans l’Union européenne ». Et enfin, début 2023, la commission Covid-19 du Parlement européen qui demandait à Ursula von der Leyen de comparaître publiquement pour s’expliquer. La présidente de la « Covi », la députée Kathleen Van Brempt, exigeait une transparence totale sur les négociations préliminaires au vu des sommes engagées.

Le problème, avec Ursula von der Leyen, c’est qu’elle entretient un rapport tout aussi compliqué à la transparence qu’aux nouvelles technologies. Il faut, en effet, se souvenir qu’avant d’arriver à Bruxelles, fin 2019, celle qui était alors le ministre de la Défense allemand faisait l’objet d'une enquête parlementaire outre-Rhin dans le cadre de l’« affaire des consultants ».

Il était reproché à son ministère d’avoir eu recours de façon excessive à des cabinets de conseil (une affaire qui nous en rappelle une autre, de ce côté-ci du Rhin). Non seulement des centaines de millions d’euros avaient été généreusement dispensés, mais ce qui posait déjà question à l’époque, c'était les conditions d’attribution des contrats. D’après la Cour des comptes allemande, il apparaissait que pour plus de la moitié d'entre eux, les règles de procédure en matière d’appels d’offres n'avaient pas été respectées.

En décembre 2019, la commission d’enquête parlementaire avait eu une mauvaise surprise en apprenant que les données de l’ancien téléphone portable d’Ursula von der Leyen, qu’elle souhaitait consulter, avaient été effacées. Quelques mois plus tard, devenue entre-temps présidente de la Commission européenne, elle était retournée à Berlin pour être auditionnée par la commission. Elle avait alors expliqué qu’il y avait, en fait, deux téléphones portables : les données du premier avaient été effacées par le ministère après qu’elle eut rendu l’appareil ; quant au second, elle avait admis avoir effacé des SMS mais, d’après elle, aucun d’entre eux n’avait le moindre intérêt pour la commission d’enquête. N'en doutons pas, ce doit être la même chose avec les SMS échangés avec le PDG de Pfizer : ils ne doivent présenter aucun intérêt pour les enquêtes en cours. Il faudrait vraiment être complotiste pour imaginer le contraire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 17/02/2023 à 8:09.
Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

44 commentaires

  1. C’est EDIFIANT ! on peut donc en conclure que le POUVOIR est une drogue, il fait perdre la raison à tous ceux qui le détiennent. Espérons que le New York Times parvienne à obtenir le contenu de ces SMS

  2. Pour qui a connu les lobbies qui pullulent autour de la Commission de Bruxelles, toutes ces affaires ne sont que du domaine de la corruption ordinaire qui fait tout le charme de cette institution exemplaire.

  3. Que cette guerrière dangereuse et trouble soit contrainte à sortir définitivement du champ du pouvoir en Europe .
    Mais il est vrai que Pfizer, MacKinsey … sonnent toujours la même langue : l’américain!
    Ce pays des vertueux GAFAM qui se planque derrière l’Atlantique pour pousser ses valets de pieds que sont les dirigeants des pays d’Europe, Allemagne et France incluses, à dépenser sans compter pour servir leurs seuls intérêts!

  4. Nous disons donc : >>> 1,8 milliard de doses de vaccin, … <<<

    L'Europe des 27 sur laquelle sévit madame Von der Leyen ne comporte que 447 millions d'habitants. En supposant que 100% des habitants se fassent vacciner, ce qui ne peut être le cas, cela nous amène à environ quatre doses par habitant !
    Même le ministère Bachelot, pourtant fort efficace en son temps, ne s'était pas montré aussi performant !

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