[CONTROVERSE] Pourquoi il ne faut pas réhabiliter Napoléon III !

@Auguste Victor Pluyette, domaine public, via Wikimedia Commons
@Auguste Victor Pluyette, domaine public, via Wikimedia Commons

Napoléon III ne méritait pas tant de critiques, écrivions-nous le 22 août dernier. Suite à la parution, dans nos colonnes, de l'article de Julien Tellier : « La légende noire de Napoléon III n’a plus aucune légitimité », Gilbert Pena, historien et lecteur assidu de BV, a souhaité réagir. Pour Gilbert Pena, l'homme fort du Second Empire ne mérite surtout pas tant... d'éloges. Nous publions ici sa réponse.

Lecteur assidu de Boulevard Voltaire dont j’apprécie les analyses, je viens de découvrir l’article de Julien Tellier intitulé « La légende noire de Napoléon III n’a plus aucune légitimité » qui m’avait échappé en janvier. Depuis la sortie de l’ouvrage de Philippe Séguin, Louis-Napoléon le Grand (Grasset) en 1990, il est entendu qu’il faut « réhabiliter l’homme d’État le plus mal-aimé de France » et les publications d’ouvrages destinés à « rétablir la vérité » sur l’un des monarques les plus controversés de notre Histoire se sont multipliés. À juste titre sur le plan de sa politique intérieure, brillante, sur les plans économiques et sociaux, mais de manière très discutable si l’on considère le bilan désastreux de sa politique étrangère. Il est pour le moins inexact de considérer que la lecture critique de sa politique étrangère ne relèverait que d’une « légende noire » inventée par les républicains après 1870.

Car les historiens favorables à sa réhabilitation occultent sa complaisante politique pro-prussienne. C'est la ligne constante d’un chef d’État animée par une politique des nationalités favorable à l’unification de l’Italie et d’une Allemagne « prussianisée », fruit de sa vision idéologique.

Il a joué le jeu de Bismarck, ce que certains de ses proches, comme Ernest Renan, ont reconnu : « Les plans de M. de Bismarck furent élaborés dans la confidence et avec la pleine adhésion de l’empereur Napoléon III et du petit nombre de personnes qui partageaient le secret de ses desseins. Il est injuste de faire de cela un reproche à l’empereur Napoléon. »

Lourd passif

Le résultat ne se limite pas à la défaite de Sedan, il faut y ajouter la proclamation de l'Empire allemand, le 18 janvier 1871 à Versailles, achevant l'unification allemande menée de main de maître par Bismarck. L'Allemagne était devenue la nation prépondérante en Europe, au détriment d'une France vaincue, humiliée et mutilée. Des historiens, dont François-Georges Dreyfus, estiment que cette guerre franco-allemande et la création du Reich allemand furent la matrice des deux guerres mondiales.

Ce lourd passif est passé sous silence par les tenants de la réhabilitation qui « ignorent » les analyses d’un Raymond Aron pour qui, « sans l'unité allemande, sans le compromis bismarckien entre la Prusse et les États allemands, Guillaume II n'aurait pas connu la tentation de la Weltpolitik et l'Europe ne se serait pas suicidée ».

De la même manière, Henry Kissinger, dans son ouvrage Diplomatie (Fayard), dresse un bilan implacable de la politique européenne de l'Empereur : « Napoléon III avait œuvré pour ce bouleversement (de l'Europe), bien que ses conséquences fussent exactement l'inverse de ce qu'il escomptait. »

Et, plus curieux, on oublie le jugement de l'historien Jacques Bainville pour qui, en 1870, « le système qui s’écroule est celui que Louis-Napoléon a conçu au mépris des faits, du vrai bilan du Premier Empire et du déséquilibre européen profond qu’il a créé lui-même au détriment de son propre pays » (Bismarck, 1907).

Dans le débat des « Rencontres Le Figaro Histoire/Fondation Napoléon », publié sur YouTube le 9 mars 2023, Geoffroy Caillet, rédacteur en chef adjoint du Figaro Histoire, donne la parole à Thierry Lentz et Jean Tulard. Celui-ci n’a pas épargné « la politique étrangère de Napoléon III, désastreuse », « l’erreur monumentale de l’unité de l’Italie », le fait qu’« il aurait dû soutenir l’Autriche au moment de Sadowa ». Tulard soulignait « la catastrophe que représente cet homme, Napoléon III », dans sa gestion de la succession d’Espagne qui aurait pu éviter la guerre « sans la bêtise de l’Empereur ».

Les conditions d'un conflit

L’Empereur n’avait pas compris les leçons du traité de Westphalie de 1648 qui avait fait la France et défait une Allemagne ainsi morcelée. Il ne sut pas, non plus, écouter la mise en garde de l'ancien président de la République française Adolphe Thiers, le 3 mai 1866 : si la guerre (austro-prussienne) est heureuse pour la Prusse, « on verra refaire un nouvel empire germanique, cet empire de Charles Quint qui résidait autrefois à Vienne, qui résiderait maintenant à Berlin ».

Quant à la légende du caractère pré-gaullien du Second Empire, mis en exergue par Philippe Séguin et Jules Michelet, il suffit de relire le livre de Charles de Gaulle La France et son armée (publié en 1938) pour constater le peu de considération de De Gaulle envers la stratégie de l’Empereur : « En laissant ébranler l’équilibre européen, l’Empereur préparait toutes les conditions d’un conflit où la France aurait à défendre, par ses seuls moyens, son sol et et son avenir », écrit le futur créateur de la Ve République.

Si « la vérité historique (doit) être non moins sacrée que la religion », selon l’excellente formule de Napoléon III lui-même, l’analyse très critique de la « désastreuse » politique étrangère du Second Empire a toute sa légitimité. On peut et on doit défendre, comme vous le faites, notre roman national, contre les déconstructeurs (dont Patrick Boucheron, auteur de la contestée Histoire mondiale de la France), mais sans abandonner l’esprit critique nécessaire pour comprendre les leçons de notre Histoire.

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Etant originaire d’un des trois départements concernés : la famille de mon grand-père était française, devenue allemande en 70, en 1916 mon grand-père est parti à la guerre sous l’uniforme allemand et… en est revenu…Français! Ces trois départements ont toujours été convoités, mais : « On ne se bat que pour les chose qui ont de la valeur ».

  2. Des résultats probants en matière économique et sociale, mais une politique étrangère désastreuse: l’expédition mexicaine avec le soutien par l’armée française de « l’empereur du Mexique » Maximilien de Habsbourg et de la déroute qui suivit. (Certes aussi la gloire pour les combattants de Camerone), la politique de soutien à l’unification allemande était aussi une grave erreur que nous avons payé avec l’effondrement de la France à Sedan et la perte de l’Alsace-Lorraine. Bref, oui à Napoléon III pour ses réformes économiques mais la balance penche du mauvais côté du fait de sa politique extérieure et ses conséquences.

    • N’a-t-on pas fait plus ou moins de même avec la réunification de l’Allemagne et la domination qui est la leur sur tous les plans ? Exemples pypiques de cette politique, la BCE à Frankfort, la fermeture de Fessenheim, l’accord cadre ERENH, la déconfiture de nos industries au contraire de celles de l’Allemagne… Finalement, n’est-ce pas eux qui ont gagné la guerre de 39-45 ?

      • C’est l’évidence même. Sans oublier la colonisation complète de la Commission par des Allemands, son obéissance absolue aux diktats des Verts (d’obédience allemande), les immatriculations de tous les véhicules européens sur le modèle allemand (qui est resté inchangé), le changement d’heure légale dont l’abrogation sera bloquée par l’Allemagne tant que tous les pays européens n’adopteront pas l’heure allemande, etc. etc. L’Europe de Bruxelles est en fait le IVè Reich masqué mais sous les ordres de Washington qui s’assoit sans vergogne sur cinq ans de guerre, 50 millions de morts et le communisme imposé à la moitié du continent pendant un demi-siècle. Voilà ce qui arrive quand les politiques sont sous les ordres de la haute finance.

  3. Napoléon III était un niais en politique étrangère: la guerre au Mexique l’avait déjà montré se fourvoyant avec les Habsbourg. Aussi Bismarck, le plus grand politicien du 19e siècle avec Napoléon 1er, a pu facilement le jouer. Comme il a ensuite joué Thiers, dont il disait « qu’il tenait les ficelles pour l’agiter ». Et ça continue aujourd’hui: le sérieux politique allemand contre les amateurs qui se succèdent chez nous.

  4. Oui, absence de vision sur les conséquences de l’émergence d’un macro état qui rentrerait en concurrence avec la puissante France de l’époque. Ces erreurs diplomatiques ne sont pas sans rappeler celle de Napoléon 1er qui a créé la Belgique, comme zone tampon, laissant l’Angleterre libre de commercer avec les Pays Bas. On connaît la suite et la morne plaine. Ces Napoléons étaient de piètres politiques, malgré tous les mérites que nous leur reconnaissons…

  5. La politique étrangère de Napoléon III a souvent,et très justement été critiquée,mais n’oublions pas les succès de la politique intérieure de la France,son rayonnement à l’étranger,avec le second Empire la France a retrouvé sa place au niveau mondial.
    L’avenir du système était limité, Napoléon III était un homme malade,sa succession se limitait à un fils unique et fort jeune .
    L’Empereur est-il réellement responsable de la guerre de 70, ou bien était-il mal informé de la situation?
    On se demande encore comment cet homme a pu demeurer à cheval durant des heures dans l’état physique ou il se trouvait .

  6. Merci pour ces rappels historiques qui sont importants à connaitre. Ils démontrent que dans tous les cas, toutes actions se doivent d’être pensées avant tout pour son pays et non d’un reconnaissance éventuelle des autres sur un effacement de soi.

  7. Toujours la rivalité entre la France et le monde germanique pour la suprématie en Europe.
    À la suite de l’article, on pourrait faire un parallèle entre l’attitude de Napoléon III à l’égard de la Prusse et l’attitude de Macron à l’égard de VDL et de l’UE. Avec le même aspect catastrophique pour la France : dans les deux cas, la ruine.

  8. On peut dire que Napoléon III a favorisé l’unité allemande mais il serait naïf de croire que sans la guerre de 1870 , celle-ci n’aurait pas eu lieu. Par contre avoir favorisé l’unité italienne au détriment d’une entente avec l’Autriche-Hongrie, surtout après Sadowa, a été une erreur dont l’infâme Mussolini nous a remercié en 1940. Enfin, l’expédition du Mexique est bien à mettre au compte de l’amateurisme de Napoléon III.

  9. Tout ceci, bien qu’exact, ne justifie pas que l’on occulte son action socio-économique purement française. Cet homme fit de son époque une sorte d’âge d’or pour le peuple de France, dans le contexte du temps évidemment.
    Mais tous nos grands dirigeants ne furent, ne sont, et ne seront pas comme Charles de Gaulle, c’est-à-dire capables de réussir brillamment à la fois sur le plan socio-économique intérieur et sur le plan diplomatique à l’extérieur.
    Il reste que nous vivons dans une période de chaos subversif intense et que le bilan positif de Napoléon III reste suffisamment exceptionnel pour que l’actualité subversive cherche à en détruire l’image.

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