La Cour de cassation peut-elle obliger un enfant à avoir deux mamans ?

On ne commente pas une décision de justice, paraît-il. Même si elle nous semble inique et stupide, on doit l’accepter, surtout si la Cour de cassation a parlé. On ne peut alors que demander à changer la loi qui a permis ce qui nous paraît être une horreur juridique.

D’abord, exposons les faits dans leur crudité. Deux femmes vivent ensemble. L’une tombe enceinte et accouche d’une fille. Qui est le père ? Les versions divergent. Celle qui accouche prétend qu’elle a fait appel à la banque de sperme et, donc, à un don anonyme, mais elle est incapable de le prouver. L’autre affirme, attestations écrites à l’appui, que le géniteur est l’une de ses relations. Le faire-part de naissance indiquait : "Je ne vous dis pas la joie de mes deux mamans et de ma grande sœur."

Le couple se sépare quand le bébé a deux ans. La mère biologique se met en ménage avec un homme. Elle refuse que son ancienne amie voie sa fille après la rupture. Celle-ci en appelle à la Justice. Elle est déboutée en première instance, mais la cour d’appel lui accorde un droit de visite et d’hébergement. La mère biologique se pourvoit en cassation. Elle affirme que la décision de justice viole les droits de l’enfant et la convention de New York du 20 novembre 1989, que la loi n'autorise pas cette décision. Elle assène, en outre, un argument qui me semble imparable (mais je dois être un abruti fasciste, rétrograde et primaire) : son enfant, n’ayant plus de contact depuis l’âge de deux ans avec sa "seconde" maman, l’a totalement oubliée.

La Cour suprême tranche au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant (je n’invente rien, mais je suis abasourdi !). Elle juge que cette fillette doit absolument savoir qu’elle a vécu deux ans sous le toit d’une femme qui n’appartient pas à sa famille, et qu’en gros elle serait mutilée si elle l’ignore. En revanche, personne ne parle du père. Le témoignage d’une nounou a joué en faveur de l’amie délaissée ; le bébé préférait, paraît-il, que sa deuxième maman vienne le rechercher plutôt que la vraie. S’y rajoute un e-mail évoquant une possible adoption.

Cette décision (absurde ? Logique ? Cohérente ?) trouve sa source juridique dans le statut du beau-parent et absolument pas dans la législation sur le mariage pour tous.

Je ne suis pas juriste, mais si une femme volage change de compagnon tous les deux ans, son enfant sera-t-il doté par la justice de neuf papas et devra-t-il les voir régulièrement même s’il n’en a absolument pas envie.

Cette loi sur les beaux-parents devrait être amendée d’urgence de la façon suivante. Elle ne s’appliquerait en aucune manière aux bébés ou aux enfants trop petits. À partir d’un âge raisonnable (7 ans ? 9 ans ?), on demande à l’intéressé s’il souhaite maintenir des liens ou pas et on suit son avis. Mais je ne suis qu’un vil réactionnaire.

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Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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