Covid : au pays de Selim

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Depuis le 30 mai, le ministère de la Santé gratifie le peuple français, sur tous les écrans et à maintes reprises par jour, d’un spot de prévention contre la propagation du coronavirus 2019, propagation qui semble réaccélérer depuis les dernières 24 heures : en l’occurrence, +6.111 à l’issue du 27 août, avec un taux de positivité aux tests de dépistage s’élevant à 3,8 %. D’ailleurs, cette recrudescence vient de pousser le gouvernement à imposer le port du masque quasiment partout et quasiment en toute circonstance. Sauf chez soi, peut-être ? Pas sûr !

Car Selim et sa grand-mère sont là pour nous rassurer : 43 secondes de bonheur et de convivialité durant lesquelles les deux personnages masqués (à domicile !) doivent se sourire uniquement par le regard et se retiennent de s’embrasser ; elle lui faisant un gâteau, lui lui jouant de la guitare. Mais Selim – dont le prénom d’origine arabe signifie littéralement « sûr » – n’a peut-être pas son âge : 10-12 ans, à peine. Et, bien entendu, le charmant garçon aux cheveux châtains et aux yeux clairs n’a certainement pas oublié de se laver les mains dès son arrivée.

Que la vie est belle au pays de Selim ! Sans oublier le fait que la « Nation apprenante » a compris deux messages importants. Primo : « Quand on aime ses proches, on ne s’approche pas trop » (un mètre de distance au minimum !). Secundo : « 9 personnes sur 10 qui décèdent de la Covid-19 ont plus de 65 ans. » Donc, la vérité (scientifique) est soigneusement édictée et martelée, qui plus est dans un décor parfait. Comme si la France était devenue une école pour des Playmobil®, là où tout le monde peut se raconter des histoires.

Au pays de Selim, on se déplace à bicyclette ou en trottinette électrique. On peut courir, aussi. Dans ces cas précis, le masque n’est pas vraiment de mise, comme l’a habilement indiqué la préfecture de police de Paris. Toujours est-il que Selim est nous, et nous sommes lui. Étourdissant, n’est-ce pas ? Mais comment garder les pieds sur terre, puisque plus rien n’est à sa place ? Voilà pourquoi on voit des grands Selim qui ont le masque sur le menton ou sur le coude, des grands enfants toujours prêts à en découdre ! Du reste, ceux-là ne nous joueront pas de la guitare ni de la mandoline. Alors, il ne faut pas leur demander de respecter les « gestes barrières ». Certes, quelle barrière dans un pays sans frontières ? Ainsi, on accepte volontiers de suffoquer à l’extérieur et de se voiler la face, à côté de ces caïds de grande surface.

Au pays de Selim, on est minimaliste : on se contente de peu, mais pourvu que le peu soit garanti. Des biens et des marchandises livrés à flux tendu pour mieux survivre, et sans jamais penser au lendemain. Tel est le quotidien d’un royaume enfantin. Quelle importance, puisque Selim est là ! Il nous sourit et nous fait comprendre que tout se passera bien, principalement les mutations d’une société en déclin. Enfin, comprenons que son langage et sa langue sont de plus en plus inclusifs. Seulement, les mots n’ont plus ici d’importance, dans la mesure où la moindre parole publique n’engage plus personne. Par conséquent, personne n’est coupable quand personne n’est responsable. Finalement, comme il est aisé d’oublier les avertissements de nos anciens : « Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant ! »

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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