D’abord, de l’armagnac ! Maïté, ambassadrice in partibus d’un terroir disparu

Adieu à Maïté, donc, qui trouvera peut-être au Ciel une cuisine-cathédrale à la hauteur de son talent.
Capture d'écran INA
Capture d'écran INA

Elle s’appelait Marie-Thérèse Ordonez, mais personne ne la connaissait sous ce nom-là. De même qu’il existe des évêques in partibus, titulaires de diocèses fantoches situés dans des pays où il n’y a plus de chrétiens, Maïté (c’était son nom de scène) était l’ambassadrice d’un terroir in partibus, un terroir généreux et calorique qui n’existait déjà presque plus, dans les années 80. Elle est morte ce 21 décembre, dans la maison de retraite où elle vivait, sur ses terres landaises, et elle nous manque déjà.

Née en 1938 au sein d’un famille paysanne, elle avait fait un peu « tous les métiers », comme l’Italien dans la chanson de Serge Reggiani : sortie de l’école à 14 ans, elle avait été bonne puis « musicienne du chemin de fer », comme elle le disait elle-même. Pendant vingt-deux ans, elle a ainsi passé ses journées à signaler aux ouvriers, à la trompette, l’arrivée des trains de la SNCF. Par générosité, elle était, le week-end, cuisinière bénévole du club de rugby de Rion-des-Landes. Et c’est là, un jour de troisième mi-temps, en 1983, qu’elle est remarquée par un Patrice Bellot, un réalisateur de FR3 Aquitaine. Maïté a le profil idéal pour incarner le concept auquel il pense, une « cuisine des mousquetaires » inspirée du gargantuesque Dictionnaire de la cuisine d’Alexandre Dumas. On lui adjoint Micheline, qui sera en quelque sorte son clown blanc et joue le rôle de la citadine (bordelaise ?) qui n’y connaît pas grand-chose. Et c’est parti.

Les meilleures séquences de la « Cuisine des mousquetaires » sont, aujourd’hui encore, des moments de plaisir et, bien souvent, de fou rire. Maïté, c’est frère Jean des Entommeures, le héros de Rabelais, avec une perruque. Elle a des bras à arracher des têtes de canard. Des mains à briser des nuques de sanglier. Elle voit les choses en grand, en large, en lourd et en gras. « Burger landais » au foie gras poêlé, anguilles vivantes tabassées à coups de bâton, canards vivants égorgés presque en direct, viandes farcies, cailles rôties, pigeons flambés à l’armagnac, casseroles en cuivre, quantités familiales et calculs de poids faits à l’estime : on est en plein Moyen Âge. Et que dire de ce moment de « food porn », mi-gênant mi-hilarant, où Maïté, éclairée à la bougie, « suce le derrière » d’un ortolan chaud, le visage plein de graisse, en poussant de petits gémissements ? Cette femme-là, complètement nature, sans filtre et « bigger than life », était faite pour la télé.

À son époque, dans les années 80-90, le terroir commençait déjà à s’effacer sous la poussée des zones commerciales. Dans le Sud-Ouest, on résistait plus qu’ailleurs. Le Labourd et la Soule, le Marensin et le Comminges, le Béarn et la Bigorre avaient (et ont encore) leurs coins inaccessibles et leurs défenseurs pas commodes. Mais il n’empêche, c’est cela que nous aimions hier, que nous aimons plus encore aujourd’hui chez Maïté : sa gouaille sans complexes, sa silhouette de matrone totalement indifférente aux minauderies de la séduction, ses sorties dignes du XIIIe siècle et sa profonde gentillesse en faisaient une figure de conte, une sorte d’icône de l’art de vivre sans se prendre la tête.

Adieu à Maïté, donc, qui trouvera peut-être au Ciel une cuisine-cathédrale à la hauteur de son talent, avec ses cheminées de pierre dans lesquelles on peut faire rôtir un bœuf, ses crochets auxquels on suspendrait des centaines de canards, de poulets et de chapons, ses établis de bois remplis de légumes frais et de farces… et un monde à la fois plus simple, plus vrai et plus beau que le nôtre.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Une page de la France comme je l’aimais se tourne et j’espère que quand je monterai « là haut » elle y sera pour faire la cuisine !!

  2. Non le terroir de Maïté n’est pas un territoire in partibus. Il existe, on y chasse toujours la palombe, le chevreuil et le sanglier. On y joue avec les vachettes quand la saison du rugby est terminée et en décembre on y déjeune toujours au pied de l’alambic.

  3. Maïté; quelqu un de vrai;d authentique ; comme sa cuisine; qui nous a enchantée au cour de ses prestations tv des moments inoubliables.

  4. Avec la disparition de Maïté c’est encore une page de la France bonhomme qui disparait. Une époque où la bonne humeur côtoyait le courage et l’attachement à notre culture. Adieu madame Marie-Thérèse Ordonez, merci de nous avoir fait partagé votre joie de vivre.

  5. Quel bel hommage à Maïté et à cette époque révolue où tout était vrai et où la capuche ne servait que les jours de pluie ou de grand froid !!

  6. Maïté, le cauchemar des végans nourris au soja. Ils lui ont expédié l’an passé à son Ephad du « foie gras végétal » (sic) Elle a bien dû rigoler. En mangeant un cheesburger de chez Mc Do : « Sainte Vierge Marie, c’est des malades qui m’offrent cela ! Il faut avoir tué père et mère pour avaler cela ! »
    Belle séquence aussi chez Patrick Sébastien où elle répond à Kersauzon, et arrive à déstabiliser ce vieux blasé en chantant un chant gascon avec une voix de cantatrice.
    Reposez en paix, Maïté, merci de nous avoir ouvert l’apétit et nous avoir enchanté par votre verve.
    Puissiez-vous trouver dans l’au-delà une cuisine à la mesure de l’amour que vous avez donné aux français.
    Adiusatz, Maïté !

  7. C’était quand même de la « tambouille » ! Je me souviens que le geste était approximatif, pauvre anguille !

  8. A l’époque on regardait son émission comme un vrai divertissement. Allez en Paix madame les cuisines de Saint Pierre vous attendent.

  9. …Et on s’attache aujourd’hui à faire aussi disparaitre la société,la culture dont elle était issue.Les produits qui faisaient la base de ses recettes auront bientôt disparus avec les paysans.Dans l’avenir, il y en a qui vont pleurer dans leurs assiettes mais çà ne sera pas d’émotion ni de plaisir

  10. Très bel hommage à Maïté notre chef cuisinière éternelle bonne vivante, partie rejoindre fils et époux. Reposez-vous bien.

  11. Sa cuisine était généreuse pas comme nos assiettes homéopathiques servies dans les restaurants « dit gastronomiques »
    Je pense qu’il y a un retour vers les cuisines traditionnelles et c’est bon signe

  12. Maïté ne faisait pas, contrairement à ce que certain chef a raconté à la radio, que Maïté faisait la cuisine « de tous les jours ». Avec de la truffe partout, des morilles et autres ingrédients très chers, ce n’était en rien pour tous les jours et surtout pas pour toutes les bourses. Mais le pire est celui, déclarant que Maïté « aura régalé les Français… » Le concept est intéressant: vous regardez faire la cuisine à la télé, vous mangez. C’est se fiche des pauvres gens, cependant que les émissions culinaires sont légions. Attention, nous allons prendre du poids.

  13. J’imagine Maïté animant TOP Chef … je l’imagine essayant d’ingurgiter les «  recettes » d’un Florian ou d’un Cyril . Merci Madame Maïté de m’avoir fait découvrir la cuisine Gasconne , vous étiez l’équivalente d’un Raymond Oliver . Bon voyage et reposez-vous bien vous bien

    • Nous avons particiipé dans le début des années 90 à un repas de village à Rion dans les Landes avec Maïté aux casseroles . Les anguilles étaient au menu .. Elle était capable d’organiser un très bon repas pour et avec tout le village ,et plus encore’. Quel bon souvenir d’été avec toute sa bonne humeur et sa truculence qui animaient . toute la journée. .Nous avons mangé aussi dans son restaurant , il y en avait pour toutes les bourses mais toujours de qualité où la patronne ne jouait pas la vedette et venait elle même s’enquérir de ce que nous soyons satisfaits . Je les revu un peu plus tard dans un marché sur l’Ile d’Oléron , elle n’avait pas pris la grosse tête malgré la notoriété et les gens, parents comme enfants venaient la rencontrer comme si elle faisait partie de la famille . Un personne d’une grande gentillesse avec son merveilleux accent du terroir de Gascogne.

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