De grâce, qu’on nous laisse seul à seul avec le foot !

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Tout de même, on nous rebat les oreilles depuis des semaines avec 1998, comme s'il y avait eu non seulement une victoire contre le Brésil en finale de la Coupe du monde mais quasiment un tremblement national, une apothéose de la diversité alors que la suite a démontré que cette immense effervescence, cette folle espérance d'une réconciliation entre les pauvres et les riches, les inclus et les exclus, les Blacks, les Blancs et les Beurs, les amoureux de la France et les épris seulement du sport étaient du vent, de l'illusion.

Je ne me suis pas désolidarisé de ce consensus dès lors qu'il s'attachait à l'essentiel qui était le sport, la volonté de l'emporter, la fierté de conquérir un trophée et une France qui, durant quelques jours, n'avait pas été totalement ridicule en prenant ses footballeurs pour des héros. Même si je renâclais un peu : je ne les appréciais pas tous à la même aune.

Mais parasitant l'événement, j'ai détesté sa périphérie hypertrophiée, la mousse, le verbiage, la fausse joie, le mécanisme exalté jouant à se faire passer pour un lien fort et démocratique.

Alors comment pourrais-je ne pas être agacé par ce délire nostalgique, ce radotage médiatique qui nous inondent depuis quelque temps ?

Tout n'est pas ridicule de surabondance et d'enflure par rapport à l'état du monde. Il y a de beaux moments qu'on peut relier directement ou indirectement à 98 et à l'équipe de France actuelle.

Le génie d'entraîneur de Zinedine Zidane, son intelligence pour avoir su quitter sa mission au sommet de son art et au comble de la réussite.

Mais dans l'environnement, que d'insupportables bavardages et congratulations ! La France serait devenue la première puissance mondiale sur le plan économique qu'il n'y aurait pas eu plus de lyrisme cocardier et excité.

Le documentaire sur "98, les secrets d'une victoire" où, au milieu d'un interminable bla-bla et avec des commentaires insipides, on a tout de même pu revoir des buts. Comme ils ont un complexe, à force de théoriser sur le foot, ils ne sont pas loin de nous le rendre aussi rébarbatif qu'une science inexacte !

Et ils sont partis pour la Russie.

Comme d'habitude, on les voit déjà trop beaux. Comme si une grande équipe sur le papier allait l'être sur le terrain. Comme si la fraîcheur et le délice de l'espérance avaient déjà la saveur de la réussite. Cette manie française qui révèle, au fond, une angoisse : se dépêcher de gagner avant, par crainte de ne plus pouvoir le faire après !

Il y a cette anticipation permanente - on vend la peau de tous nos adversaires trop vite - et, à la fin, si le résultat n'est pas à la hauteur, on exagère le désastre. On n'a jamais une relation saine avec le sport et nos enthousiasmes comme nos désespoirs manquent de lucidité.

Bien sûr, je couperai le son pour pouvoir goûter exclusivement le langage des images, la survenue des buts et, peut-être, notre victoire. Un match après l'autre. J'ai peur de ne pas pouvoir tous les regarder en direct, mais je ferai le maximum pour être un citoyen exemplaire, solidaire mais pas chauvin. Je m'énerverai devant les arabesques inutiles de Pogba et les courses folles mais mal terminées de Dembélé. Je tremblerai pour et avec Lloris. Je dépenserai de l'énergie comme "beauf" quand onze compatriotes en dépenseront pour de vrai.

C'est que les matchs sont une métaphore de nos vies quand elles aiment la lutte et la conquête. On est eux comme ils pourraient être nous. Les intellectuels n'ont aucune raison de s'excuser quand la fascination les saisit.

Mais encore faut-il que l'univers du sport, largement entendu, y mette du sien.

On a compris que je serai pour les Bleus malgré tout.

Mais, de grâce, qu'on nous laisse seul à seul avec le foot.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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