De la pipe
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Le temps des vacances, c'est aussi le temps de l'aventure et du voyage, non pas autour du monde, mais plus simplement, et de façon plus économe, autour de sa chambre, pour reprendre le titre du livre de Xavier de Maistre (1763-1852), ou aussi autour de sa bibliothèque. On y déniche parfois de petits trésors, comme ce court traité sur la pipe...
Il faut tâcher de donner le goût de la pipe au cavalier léger.
Pourquoi ?
Parce qu’elle le tient éveillé.
La pipe est une distraction secondaire, qui, loin d’éloigner le cavalier de son service, l’y attache et le lui rend moins pénible. Elle endort, elle use l’inutilité du temps et de la pensée, et retient l’homme au bivouac, près de son cheval. Pendant qu’on y fume sa pipe, assis sur une botte de foin ou d’herbe, personne ne s’avise d’ôter la nourriture de ce cheval pour la donner à un autre ; on est sûr qu’il mange, qu’il ne reçoit pas de coups de pied ; les provisions de sa besace ne sont pas volées ; puis on s’aperçoit des répartitions à faire à son harnachement, de la mauvaise assiette de son paquetage, etc. On garde sans s’ennuyer le cheval d’un camarade, et ce camarade, auquel vous rendez service, va chercher de l’eau, du fourrage, des vivres dont vous avez besoin.
L’heure de relever la grand’garde arrive ; vous partez. Là, le sommeil vous est interdit. De quelle ressource n’est pas alors la pipe qui chasse ce sommeil, hâte les heures, rend la pluie moins froide, la faim, la soif moins poignantes, etc.
Et si vous avez de longues marches de nuit, après la fatigue d’une journée active, ces marches où le sommeil, en vous accablant, est une souffrance véritable, invincible, et cause de nombreuses blessures aux chevaux, rien ne vous tient mieux éveillé que l’usage de la pipe.
La pipe nous force à porter un briquet et de l’amadou ; avec ce briquet et cet amadou, nous allumons aussi un feu de bivouac.
Il n’y a pas de petites choses en campagne, où l’homme est réduit à de si faibles ressources, qui n’ait son degré d’importance. La pipe est un moyen d’échange, de jouissance et de service, dans notre vie de relation fraternelle ; prêtée dans certains cas, elle devient un secours.
Quoi qu’en dise Aristote et sa docte cabale, fumez et faites fumer vos chasseurs.
Extrait des Avant-postes de cavalerie légère du général Antoine Fortuné de Brack (1789-1850), Éditions Berger-Levrault, 1942.
Antoine Fortuné de Brack, élève de l’école militaire de Fontainebleau (avant qu'elle ne soit transférée à Saint-Cyr), était un officier de cavalerie qui fit les campagnes de Prusse, de Pologne, d’Allemagne, de Russie. Il gagna la croix de la Légion d'honneur sur le champ de bataille de Wagram, le 6 juillet 1809, combattit à Waterloo et commanda l’école de Saumur de 1838 à 1840. Son Avant-postes de cavalerie légère, publié en 1831, se trouvait « dans le porte-manteau de tout officier studieux », comme l’écrivit Mullié dans sa Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, et fut en effet le livre de chevet de générations d’officiers de cavalerie. Il n’est pas interdit de trouver une certaine poésie dans ce texte, pourtant très pratique, écrit à la bougie des souvenirs des campagnes napoléoniennes.
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