Décès de Pollini : Il Maestro se ne va !
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Maurizio Pollini est décédé à 82 ans, ce samedi 23 mars, à Milan, sa ville natale. Le Maître s'en va ! Né en 1942, ce pianiste tire sa révérence après un demi-siècle de virtuosité. Il s'est notamment illustré par une entrée fracassante dans le monde de la musique, dès l'âge de 18 ans, en remportant le prestigieux Concours Chopin de Varsovie. « Ce jeune homme joue déjà techniquement mieux que nous tous ! », disait de lui, à cette époque, le grand Arthur Rubinstein, président du jury.
La maîtrise technique dans le jeu de Pollini conférait à ses interprétations une aura quasi athlétique : « Ce jeune homme deviendra le plus grand pianiste du monde ou il finira dans un hôpital psychiatrique ! », lançait le critique Piero Rattalino. Grand ami du chef d'orchestre Claudio Abbado, travailleur acharné et intransigeant, Pollini « était un interprète capable de révolutionner la perception de compositeurs comme Chopin, Debussy et Beethoven lui-même, et de pousser à l'écoute des avant-gardes, avant tout Schönberg », selon La Scala de Milan.
Énergie musicale et audace esthétique
De l'énergie musicale, de l'audace intellectuelle et esthétique, son spectre s'étalait du répertoire classique et romantique à la musique moderniste et contemporaine : Schumann, Brahms, Bartók, Prokofiev parmi tant d'autres. « Nous nous sentons déterminés à perpétuer l’héritage de Maurizio Pollini dans le futur, car sa voix musicale et sa véritable humanité nous manquent profondément », soutient le Dr Clemens Trautmann, président de Deutsche Grammophon.
Mais au-delà de la disparition de cet homme qui faisait fi des mondanités et des lubies médiatiques, c'est véritablement d'un héritage qu'il s'agit ici. Notre héritage. Celui que Pollini, comme bien d'autres, ont réussi jusqu'à nos jours à perpétuer, à transmettre et donc à sauvegarder. Pis : à sauver de la dégénérescence culturelle dominante et inexorable dont le corollaire politique devient, par ignorance et acculturation, voire par intégrisme relativiste, le complice d'une lente agonie civilisationnelle. Pour paraphraser l'écrivain Nicolás Gómez Dávila, qui disait que « le monde moderne ne sera pas puni, c'est la punition », nous ne sommes plus au stade de la fessée ou du bonnet d'âne ; aujourd'hui, nous en sommes carrément à celui de la torture, du Guantánamo culturel. Une relecture de la convention de Genève s'impose.
Mais tout n'est pas encore perdu. De manière globale, la sauvegarde de cet héritage nous vient d'Europe, celle de l'Est, de la Russie et, encore plus à l'est, d'Asie. Comme en lecture, mathématiques et en sciences, en musique, c'est aussi PISA qui donne le la. Pour faire la fête à notre culture, les encenseurs de cette lente agonie sévissent au sein d'une république progressiste où le beau et le vrai sont devenus, sous couvert d'émancipation multiculturelle, d'extrême droite, où le culte du laid et de la mort sont érigés en valeurs fondamentales, constitutionnalisées.
Hélas, à l'instar d'un Pollini octogénaire, dont les dernières représentations montraient des signes de défaillance comparées aux fastes du passé, notre Europe décharnée et culturellement désincarnée sur l'autel du grand déclassement nous amène à cette citation de Renaud Camus, toujours aussi lucide :
Bach-Pollini, maintenant. Une Europe où Maurizio Pollini peut mourir sans qu’elle le remarque, pratiquement, non seulement mérite de mourir mais meurt de cela même. Une Europe pour laquelle un homme comme Maurizio Pollini n’est rien n’est rien elle-même. Elle est un épouvantable…
— Renaud Camus (@RenaudCamus) March 24, 2024
Nous vous laissons juge à l'écoute du troisième mouvement de la Sonate pour piano nᵒ 23, dite l'Appassionata, de Beethoven par Maurizio Pollini.
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8 commentaires
Interprétation fabuleuse, sidérale, presque trop, tellement stupéfiante qu’elle ferait presque oublier l’immensité de l’œuvre elle-même !
Si le mot transcendance à une signification, Pollini nous en livre des indices clairs. La virtuosité italienne dans toute sa magnificence. Si le monde savait que cette œuvre : » l’Appassionata », n’est pas moins rock’n roll qu’un morceau des Rolling Stones !
Brillantissime, ce monde ne le méritait pas, vu le peu d’hommages qui lui est rendu !
Je l’ai entendu dans le 4e Concerto de Beethoven: prodigieux. Et que dire de ses Etudes de Chopin! Qu’il siège avec les siens, maintenant au Panthéon des pianistes.
Un très grand que son âme repose en paix.
Un homme de grand talent s’en va dans le silence des médias et des élus . Quelle tristesse .
Renaud Camus a malheureusement bien raison. Nous perdons un grand musicien dans un silence de catacombe. Ce monde fait mal.
Oui, en effet : Voilà une perte énorme , qui mérite moult hommages : Un passeur d’âme, un génie du toucher et de la compréhension de la « pensée » d’autrui (de F Chopin) Bien meilleur que Rubinstein, effectivement : Pour ceux qui ont la chance d’avoir ses disques, un trésor unique…