Démagogie et truandage : quand l’État lorgne l’argent de l’Agirc-Arrco

dussopt

Les organisations professionnelles (syndicales et patronales) qui gèrent le régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé, Agirc-Arrco, ont trouvé, le 5 octobre, un accord qui règle son fonctionnement jusqu’en 2026. Son contenu, concernant le niveau de la revalorisation des pensions, la disparition du malus qui contraignait les salariés du privé à différer d’un an le moment de leur départ en retraite sous peine d’une amputation de leur pension et les règles du cumul emploi-retraite, est même plus généreux que les partenaires sociaux ne le prévoyaient avant qu’Olivier Dussopt n’ait fait connaître son intention de siphonner les réserves du régime au profit de l’État.

Les exigences formulées par Olivier Dussopt étaient de nature à remettre en question les négociations engagées par les partenaires sociaux, au moment même où elles allaient aboutir. Mais ces derniers sont résolus à s’opposer au fric-frac gouvernemental qui aboutirait à piquer un milliard d’euros dans les caisses de l’Agirc-Arrco dès 2024, cette somme devant ensuite croître jusqu’à trois milliards en 2030. L’Agirc-Arrco rappelle qu’avec un milliard d’euros, elle peut revaloriser les retraites complémentaires des salariés du privé de 1,1 %...

Pour justifier cette tentative de captation des réserves du privé, Dussopt argue de la « solidarité », au titre de laquelle l’Agirc-Arrco serait tenu de participer au financement de l’augmentation des petites retraites, promesse que le gouvernement a faite sans avoir consulté personne. Les partenaires sociaux répondent qu’ils sont prêts à contribuer à la hausse des petites pensions, mais à celles du privé seulement, à hauteur de 400 millions d’euros. Cette somme est insuffisante aux yeux du gouvernement, qui a jeté le masque : il ne s’agit pas, en réalité, de financer les petites retraites, mais l’« équilibre général » du système de retraite, a déclaré Dussopt.

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a été encore plus loin dans une réponse à un journaliste de Liaisons sociales, après le Conseil des ministres du 11 octobre : pour tenir l’« engagement que nous avons pris devant les Français de baisser les impôts, de baisser la dépense publique et de réduire les déficits », dit-il, le gouvernement veut « identifier les voies et moyens pour que cette nouvelle dépense d'un milliard d'euros pour les retraites complémentaires des cadres dans notre pays ne vienne pas pénaliser le financement des services publics, des écoles et des hôpitaux dans notre pays ».

On ne saurait avouer plus cyniquement que les cotisations sociales prélevées au titre de la retraite complémentaire sur les salariés du privé afin de financer leurs pensions et de maintenir l’équilibre budgétaire de leur caisse sont assimilées par l’État à un impôt qui devrait être affecté à n’importe quelles dépenses. Au passage, Olivier Véran laisse entendre que l’Agirc-Arrco « dépenserait » au seul bénéfice des cadres – alors qu’Agirc, originellement réservée aux cadres, a fusionné depuis le 1er janvier 2019 avec l’Arrco, à laquelle sont assurés tous les salariés, cadres et non-cadres, du secteur privé. La distinction entre les régimes n’existe plus depuis quatre ans et l’accord trouvé ces jours-ci par les partenaires sociaux concerne évidemment aussi bien les cadres que les non-cadres.

Ignorance crasse du sujet ou basse démagogie ? Véran veut-il faire passer le message passablement stupide que le méchant régime de cadres pleins aux as, piloté par des syndicats et un patronat tous d’accord pour servir les intérêts des vilains « riches », refuse d’être solidaire avec les pauvres ? La ficelle est grosse, mais l’ex-ministre de la Santé a depuis longtemps montré à quel point il méprise les Français. Chez lui, le bobard est une seconde nature, voire la première. Quand il est né, la sage-femme a dû s'étonner de voir pousser son nez…

La réalité est bien différente de ce que prétend le gouvernement, mais plus inquiétante aussi. Contrairement aux régimes spéciaux du secteur public, à commencer par ceux de la fonction publique, gérés par l’État en dépit du bon sens, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé n’est pas déficitaire. Grâce aux sacrifices non négligeables consentis depuis plus de trente ans par ses assurés (baisse du rendement, en particulier pour les cadres, instauration du malus, etc.), il possède 68 milliards de réserves. Il ne s’agit pas d’une cagnotte, encore moins d’un « magot » : ces 68 milliards représentent neuf mois de paiement des pensions à ses retraités. C’est peu, si l’on considère le défi démographique à venir : 2 millions de retraités en plus d’ici 2030 (dans sept ans !) et 4,5 millions d’ici 2040, alors que le nombre des actifs cotisants restera stable, dans le meilleur des cas. Or, l’Agirc-Arrco, avec 26 millions de cotisants et 13,4 millions de pensionnés aujourd’hui, est l’un des régimes de retraite les plus importants : autant dire que ses réserves ne seront pas superflues pour relever ce défi. Comme on dit, il n’y a pas de gras sur l’os. L’État, en revanche, est pris dans une spirale d’endettement dont il ne fait rien pour sortir – il n’est que de regarder le projet de loi de finances pour 2024 pour le constater. Selon l’ancien inspecteur des finances Jean-Pascal Beaufret, dans la revue Commentaire (numéro de l’été 2023), le déficit des retraites s’élève à 71 milliards d’euros en 2021, que l’État planque très largement sous le tapis. Sur cette somme, les régimes spéciaux, y compris ceux de la fonction publique, représenteraient 53 milliards d’euros, creusant le déficit public et la dette. On comprend, dès lors, pourquoi le gouvernement lorgne les réserves du privé sans aucun souci du lendemain, tout en poursuivant ses gaspillages par ailleurs.

Éric Letty
Éric Letty
Journaliste

Vos commentaires

54 commentaires

  1. sous influences macronienne , tout ce qui concerne macron n’est autre que le tonneau des Danaïdes , l’état insatiables pour rouler carrosse . Si le faux Mozart de l’économie et ses sbires en priorité le sinistre de l’économie géraient l’état comme AGIRC et ARCO gèrent les efforts des salariés , l’état n’en serait pas à préparer un viol , un holdup , ni à rajouter une dose de dictature , c’est facile de voler et escroquer les autres quand on ne sait que dilapider , paraître et finalement n’être rien ou pas grand chose , en attendant on en crève , c’est inacceptable ,scandaleux sans oublier MALHONNETE , j’ai peur que ce soit l’image de ceux qui nous dirigent .

  2. La France, économiquement est aux abois, elle est ruinée. Tout n’est pas de la faute de macron, mais il y a grandement sa part, le dernier budget en équilibre était celui de 1974, depuis tous les présidents, (car ce sont eux les responsables) ont appauvri la France, certains par facilité et d’autres par lucre et idéologie mondialiste. Ca y est le but est atteint, nous ne nous en relèverons pas et qui ne détient pas son indépendance économique, se fait dicter la politique par ses créanciers.

  3. Il est pourtant super, notre régime social! Ce ne sont pas les milliers de retraités centenaires algériens qui vous diront le contraire…

  4. « Quand il est né, la sage-femme a dû s’étonner de voir pousser son nez… » C’est vrai, mais il n’est pas le seul, dans nos hautes sphères, hélas.

  5. J’ose espérer que pour une fois le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel feront front commun contre le gouvernement bandit de grand chemin.

  6. Les premiers responsables sont les Français qui en veulent toujours plus sans produire plus d’efforts les seconds sont nos gouvernants depuis Mitterand font de clientélisme Fin 2019, 4,30 millions de personnes sont allocataires de l’un des minima sociaux en vigueur en France, un chiffre en augmentation (+1,2%) par rapport à fin 2018. En incluant les conjoints et les personnes à charge, 6,9 millions de personnes sont couvertes par les minima sociaux fin 2019, soit 10% de la population. Par ailleurs, 6,54 millions de foyers bénéficient d’une aide au logement, 4,50 de la prime d’activité, 6,77 d’une prestation familiale et 6,91 millions de personnes de la complémentaire santé solidaire (CSS). Enfin, 5,54 millions de ménages ont reçu un chèque énergie en 2020. Ces résultats sont issus de l’édition 2021 de « Minima sociaux et prestations sociales »,

  7. La France mène grand train alors que ses caisses sont vides et qu’elle est endettée jusqu’au cou. Sachant que les petits ruisseaux font les grandes rivières, bien des pistes existent qui pourraient contribuer à limiter la casse. Seulement voilà, les restrictions, ce n’est pas la tasse de thé des élus. J’évite de dire « nos » élus car je n’ai pas contribué à leur mise en place.

  8. Commençons par exiger l’application de la réforme des retraites aux fonctionnaires et élus puis cibler une grève du privé

  9. « La cigale et la fourmi ». Ah! Mr de la Fontaine, il faudra changer votre fable car la cigale ayant dévalisé la fourmi, elles danseront toutes les deux devant le buffet vide.

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