[DYNASTIES] Les Debré : de la synagogue au Palais-Royal

On a évoqué récemment les « dynasties » des Le Pen et des Giscard. Avec la disparition de Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien président du Conseil constitutionnel, comment ne pas penser à celle des Debré, qui a marqué l’histoire de notre pays durant le XXe siècle. Il y a, bien sûr, le personnage central de cette famille, Michel Debré, né en 1912 et mort en 1996, considéré comme l’un des pères de la Constitution de la Ve République et haut baron du gaullisme. Mais pour bien comprendre cette « dynastie », il faut remonter au grand-père du premier Premier ministre du général de Gaulle, Simon Debré, né en 1854 à Westhoffen, petit village d’Alsace situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Strasbourg.
Des racines juives alsaciennes
Cette famille israélite arriva de Bavière au début du XIXe siècle dans cette commune où subsistait une vieille tradition d’accueil des Juifs, héritée de ses seigneurs. Le cimetière israélite, où l’on trouve plusieurs tombes de la famille Debré, fut fondé en 1559 et, au recensement de 1784, on comptait pas moins de 58 familles juives à Westhoffen. Simon Debré quitta Westhoffen après la guerre de 1870 pour rester fidèle à la France et devint, par la suite, le premier rabbin de Neuilly-sur-Seine, où il mourut en 1939. Son arrière-petit-fils Jean-Louis Debré a raconté, dans son livre Ce que je ne pouvait pas dire, paru après son départ du Conseil constitutionnel, l’attachement que son père, Michel, portait à ce petit village où plongeaient ses racines familiales : « En 1995, avant de s’éteindre, la dernière phrase de mon père, Michel Debré, a été : "Si le maire de Westhoffen te demande quelque chose, tu réponds favorablement". » Jean-Louis Debré s’y rendait lui-même souvent et en était citoyen d’honneur.
L'ascension sociale
De son mariage avec Marianne Trenel, fille d’un rabbin, Simon eut quatre enfants. Trois fils qui firent de brillants parcours : un professeur de médecine, un polytechnicien, un architecte. Claire, la fille de la fratrie, quant à elle, épousa son cousin germain Anselme Schwartz (1872-1957), chirurgien des Hôpitaux de Paris. L’ascension républicaine ! À laquelle pensait peut-être Michel Debré, lorsqu’il fut reçu, le 19 janvier 1989, à l’Académie française pour prendre place au fauteuil du duc de Broglie, issu d'une prestigieuse lignée : « Regardons-la, notre France, et osons l’admirer telle qu’elle est, telle qu’elle vit depuis plusieurs siècles… » Ascension républicaine à laquelle pensait, évidemment, Jean-Louis Debré, dans son livre Une histoire de famille, publié en 2019, lorsqu’il évoquait le parcours des Debré : « une toute petite famille d’immigrés juifs » qui « va s’élever dans la hiérarchie sociale ».
Robert Debré, le fondateur de la pédiatrie
Des quatre enfants de Simon Debré, Robert, père de Michel, est sans doute le plus connu. Né en 1882, il fut l’un des grands pontes de la médecine française du XXe siècle et considéré comme le fondateur de la pédiatrie moderne. Il faudrait un article entier pour évoquer la carrière et la vie du professeur Debré, son engagement dans la Résistance, son refus de porter l’étoile jaune. Il mourut en 1978, couvert d’honneurs : grand-croix de la Légion d’honneur, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences.
Robert Debré, sans renier ses origines juives, se reconnaissait agnostique et avait épousé en premières noces une catholique, Jeanne Debat-Ponsan, d’une famille originaire de la région de Toulouse ; là où, d'ailleurs, naquirent Bernard et Jean-Louis, ses petit-fils, le 30 septembre 1944, alors que leur père, Michel, était commissaire de la République (préfet) à Angers, nommé par le général de Gaulle. Jeanne Debat-Ponsan, qui devint une des premières internes en médecine des Hôpitaux de Paris, était, elle, issue d’une famille d’artistes : son père était le peintre Édouard Debat dit Ponsan (1847-1913), grand prix de Rome en 1912, celui-là même qui composa le fameux tableau La Vérité sortant du puits, que l’on peut voir dans l’hôtel de ville d’Amboise en Touraine.
C’est d’ailleurs par ce grand-père Ponsan que les Debré se trouvèrent une nouvelle petite patrie française. Jeanne Debat-Ponsan hérita, en effet, du château de Nazelles, tout près d’Amboise, et le professeur Robert Debré acheta une propriété à Vernou, sur la rive droite de la Loire, où son fils Olivier (1920-1999), frère de Michel, peintre, sculpteur et graveur, installera plus tard son atelier.
Michel Debré, le plus fidèle des gaullistes
Du mariage de Robert Debré et Jeanne Debat-Ponsan naquit, outre Olivier cité plus haut, Michel, son frère aîné. On ne va pas refaire ici la carrière de celui qui fut membre du cabinet de Paul Reynaud avant la guerre, conseiller d'État, résistant, sénateur et député d’Indre-et-Loire, maire d’Amboise, Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances, des Affaires étrangères, de la Défense nationale. Le plus fidèle d'entre les fidèles du général de Gaulle, au point d’y sacrifier son engagement pour l’Algérie française. Contentons-nous de citer, encore une fois, quelques extraits de son discours de réception à l’Académie française. « Nos valeurs et nos règles, filles de la culture antique, de la spiritualité judéo-chrétienne et de la philosophie rationaliste, forment au service de l’homme, de sa dignité, de sa promotion, un corps de morale dont nous estimons qu’il est appelé à s’imposer au monde. » Ou encore celui-ci, qui résonne tellement avec notre actualité : « Vouloir une intégration atlantique et construire une Europe sur la ruine des nations est une double erreur. Ce sont les nations et, au premier rang, les grandes nations responsables de notre Vieux Monde qui feront l’union de l’Europe et sa force comme seules elles font la trame de notre civilisation. C’est altérer l’Europe et c’est nier l’Occident que de les affaiblir, et notamment la France. »
Bernard et Jean-Louis Debré : jumeaux et ministres
Quatre fils naquirent du mariage de Michel Debré avec Anne-Marie Lemaresquier, fille et sœur d’architectes : Vincent, né en 1939, le plus discret, le moins connu, auteur en 2009 de Petits Souvenirs d'une grande histoire ; François (1942-2020), journaliste, qui épousa la fille de Jean Ybarnégaray, ancien ministre de Vichy. Et, bien sûr, les jumeaux Bernard (mort en 2020) et Jean-Louis : l'un chirurgien, l'autre magistrat, tous deux députés (l'un d'Indre-et-Loire, l'autre de l'Eure), tous deux maires (l'un d'Amboise, l'autre d'Évreux), tous deux ministres (l'un de la Coopération dans le gouvernement Balladur, l'autre de l'Intérieur sous Chirac). En 1995, l'un soutint Balladur, l'autre Chirac. Deux parcours parallèles, mais le même franc-parler (notamment au micro de Boulevard Voltaire pour Bernard Debré), le même attachement viscéral au gaullisme.
Un 14 Juillet pas comme les autres...
Une anecdote sur Bernard Debré. C'était le 14 juillet 1994, à Amboise : le 14 Juillet le moins républicain et le plus sympathique qu'il eût été donné de voir à votre serviteur, à l'époque jeune chef d'escadron ! Bernard Debré, maire d'Amboise, n'était pas encore ministre mais l'on sentait bien que cela allait vite venir (il rejoindra le gouvernement en novembre). La preuve : il avait obtenu que les troupes défilent dans sa ville alors qu'elle n'est même pas une sous-préfecture. Impeccable défilé militaire, sabres au clair, par un bel après-midi ensoleillé. Sur les trottoirs, des spectateurs, hommes et femmes, portant des costumes de la Renaissance. On ne savait plus en quelle année nous étions ! Sous François Ier ou sous François Mitterrand ? À la tribune d'honneur, évidemment, le maire, le préfet, mais aussi... Henri d'Orléans, comte de Paris (1908-1999), prétendant au trône de France et propriétaire du château d'Amboise, ainsi qu'Otto de Habsbourg-Lorraine (1912-2011), fils du dernier empereur d'Autriche et roi de Hongrie. On ne savait plus non plus si l'on était encore en République ! Dieu sait pourtant que les Debré sont républicains !
Pour terminer, un seul mot sur Jean-Louis Debré : fidélité. On aime, on n'aime pas Chirac, mais Jean-Louis Debré lui fut fidèle en toutes circonstances et jusqu'au bout. C'est assez rare, en politique, pour qu'on le salue. La marque des Debré, sans doute.
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Un commentaire
Un homme bien au service de la France comme d’autres Français, ni plus ni moins , il n’y a pas d’addition dans l’éternité .