[EDITION SPÉCIALE JMLP] L’affaire du détail : aux origines du cordon sanitaire

Jean-Marie Le Pen

Ce 13 septembre 1987, jour de « la déclaration » de Jean-Marie Le Pen au sujet des « chambres à gaz », marquera à jamais l'histoire du Front National et impactera toute la vie politique française. Un effet papillon pour quelques secondes de prise de parole sur un plateau de radio. Le chef de file du mouvement restera disqualifié à vie, son message politique freiné, ses prises de position traitées avec circonspection et sa vie familiale cruellement impactée. Avec le recul, l'addition s'avère exorbitante : pour l'homme : rupture filiale et éviction du mouvement auquel il a consacré sa vie ; pour la grand Histoire, création de l'inusable « cordon sanitaire », qui, quoi qu'on en dise empêchera jusqu'à aujourd'hui ses héritiers d'accéder au pouvoir.

« J'ai fait une connerie »

Retour dans les studios de RTL, en cette mi-septembre de l'année 1987, époque où Jean-Marie Le Pen candidat à la présidentielle de 1988 est crédité de 18 % dans les sondages. Au mois de mars 1986 - à la faveur de la mise en place du scrutin proportionnel - il a fait entrer 35 députés. Le parti est en pleine croissance et les divisions à droite sont de bonne augure. Mais l'Histoire ne retiendra de cette période que les dix dernières minutes de la prestation du candidat à la présidentielle. C'est Olivier Mazerolles qui officie. Il pose cette question : « Condamnez-vous les thèses de MM. Faurisson et Roques selon lesquelles les chambres à gaz n’auraient pas existé dans les camps de concentration ? »

Jean-Marie Le Pen, lui, n'est pas au mieux de sa forme ; d'une « humeur de chien », selon les uns, « il a la grippe », précisera, plus tard, Lorrain de Saint-Affrique. Il hésite un peu avant de formuler sa réponse : « Je suis un passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je me pose un certain nombre de questions et je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu, moi-même, en voir. Je n’ai pas spécialement étudié la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. »

La suite, moins connue, mérite d'être entendue. Lorsque l'interviewé, sommé de préciser sa pensée, ajoute : « Six millions de morts juifs. La question qui a été posée est de savoir comment ces gens sont morts ? (...) Si, c'est un point de détail de la guerre. Vous voulez me dire que c'est une vérité révélée, une obligation morale à laquelle tout le monde doit croire ? [...] Je dis qu'il y a des historiens qui débattent de ces questions. »

Le micro s'éteint. Le couperet va tomber, mais pas immédiatement. Le futur condamné, lui, sait qu'il a fauté. Si « Jean-Marie Le Pen a mal compris la question qui lui est posée et bafouille [...], il prend conscience tout de suite qu'il a dérapé et qu'il va en payer les conséquences », témoignera son conseiller Lorrain de Saint Affrique. Ce que corrobore, dans leur ouvrage, le récit des journalistes Philippe Cohen et Pierre Péan Le Pen, une histoire française : « En sortant du studio, Le Pen lâche à ses amis : j'ai fait une connerie. »

La déflagration médiatique, politique et judiciaire

Côté médias, étonnamment, durant les premières 48 heures, c'est calme plat. À peine un entrefilet dans France Soir. Le 16 septembre, seulement, Libé tire la première cartouche. Un papier de cinq pages titré « Le rejet ». Les autres lui emboîtent le pas : « Un scandale de trop » (Le Parisien libéré), « Tollé contre Le Pen » et « Le Pen retour au ghetto » (Le Quotidien de Paris), « Le Pen et "l’effet détail" » (Le Monde), « Levée de boucliers face à Le Pen » (La Croix), « Un point de détail » (Le Figaro), « Demandez le pogrom ! » et « Le détail qui tue » (Le Canard enchaîné).

Toute la machine à broyer se met en branle : condamnation d'une seule voix de la classe politique, BHL, Harlem Désir (SOS Racisme), Pierre Messmer du groupe RPR de l'Assemblée en tête. Le CRIF réclame « l'exclusion démocratique de Jean-Marie Le Pen », des historiens, des anciens déportés s'indignent sur toutes les chaînes, ceux qui ont bénéficié d'alliances locales à droite avec le FN sont montrés du doigt et l'étau judiciaire se resserre. Le cordon sanitaire s'érige, les contours de l'échiquier politique se dessinent pour les années à venir.

En interne, peu de démissions, si ce n'est celle d'Olivier d'Ormesson, l'artisan d'un déplacement du chef programmé en Israël. Une rupture d'avec le monde juif qui restera circonscrite à l'Hexagone ; en février, Jean-Marie Le Pen se rendra, à l'invitation du Congrès juif mondial, à New York où il sera applaudi.

Dégâts collatéraux

« Lorsque JMLP a été attaqué, nous avons fait bloc autour de lui », témoigne, auprès de BV, Christian Baeckeroot, cadre du mouvement de l'époque.

Très vite, parmi les lieutenants du Menhir, beaucoup s'empressent de mettre en place une stratégie de défense. Comme Bernard Antony, député au Parlement européen, qui se souvient d'avoir vu débarquer le Menhir dans son bureau : « Jean-Marie Le Pen toque à la porte de mon bureau : "Tu es libre, Coco ? Je crois que j'ai dérapé". » L'ancien élu confie à BV avoir passé une partie de la nuit à écrire un communiqué... pour rien car jeté à la poubelle, le lendemain. Il faudra attendre jusqu'au vendredi 18 pour que Jean-Marie Le Pen prenne la parole devant un parterre de journalistes pour faire amende honorable selon un texte écrit par d'autres. Il en profitera alors pour dénoncer la « meute politique et médiatique » qui est à ses trousses et, plus tard formulera à nouveau des regrets. Mais il récidive en 1997 à Munich, en 2008 et au Parlement européen en 2009, en réitérant ses propos sur « ce qui s'appelle un détail ». Sa mort  - politique - est alors définitivement actée.

Dédiaboliser : la bonne stratégie ?

Le séisme s'invite alors au sein de la famille : Marine, lassée d'assumer l'héritage, largue les amarres et obtient son exclusion définitive du parti en 2015. Au soulagement de certains qui, aujourd'hui, s'en félicitent. Comme Caroline Parmentier, qui témoigne auprès de BV : « Aujourd'hui, l’affaire du détail n’a plus d’impact sur les députés du RN. N’oublions pas que Marine Le Pen a été jusqu’à exclure Jean-Marie Le Pen du Front national, précisément pour couper dans le vif, une bonne fois pour toutes, avec ses dérapages [...] C’était ça ou la disparition du mouvement. »

Christian Baeckeroot, lui, confie à BV être en total désaccord avec cette stratégie et évoque le « mauvais procès intenté à Jean-Marie Le Pen », replaçant l'affaire dans son contexte : « À l'époque, tout était tenté pour diaboliser l'extrême droite. » Il tient à mettre les points sur les i : « L'antisémitisme n'a jamais été dans l'ADN du FN », et déplore l'inutilité de la dédiabolisation, fatalement vouée à l'échec, selon lui, citant l'exemple de Donald Trump.

Étonnamment, les scores de Jean-Marie Le Pen aux présidentielles suivantes seront plus qu'honorables : plus de 14 % en 1988 (deux fois plus de voix que le candidat communiste de l'époque, André Lajoinie), 15 % en 1995, derrière Edouard Balladur et devant le communiste Robert Hue, et, bien sûr, en 2002, l'accession au second tour... La fracture entre le peuple et les élites médiatiques commençait déjà à se voir.

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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Depuis NUREMBERG il est interdit de discuter de certains sujets. notamment de la Shoah dont on ne saura jamais combien étaient non juifs sur les 6 millions de morts officiels. Quant aux 60 millions de morts toutes religions et ethnies confondues que fit le communisme est-il vraiment nécessaire d’en parler, au risque d’engendrer des « dérapages » ?

  2. Il faut resituer cet évènement dans la chronologie des faits. Pour ma part, je me souviens : 1) LePen quitte son poste de député pour partir se battre en Algérie (pour défendre les pieds-noirs dont beaucoup sont juifs), 2) Enrico Macias, juif séfarade, remercie officiellement JM. LePen (dans France-Soir, je crois) pour son action en Algérie, 3) JM. LePen, qui a créé son parti, est boudé par les journaux et media (où des juifs comme ElKabbach ou Levaï ont beaucoup d’influence. 4) en Janvier 86, une réunion a lieu au siège du B’nai Brith (franc-maçonnerie juive) avec les chefs de tous les autres partis (dont Chirac) pour prèter serment de ne jamais faire alliance avec le FN, 5) en mai86 et en récompense de son serment, Chirac obtient Matignon mais est bloqué dans ses réformes par Mitterrand qui refuse de signer (sous influence d’Attali, 1er conseiller de l’Elysée et de Fabius, ex-PM). On peut comprendre que JMLP, compte tenu de ce qu’il avait fait pour les juifs auparavant, ait ressenti une certaine ingratitude de leur part puisque, dès janvier 86, ils l’avaient diabolis

  3. Dans les 120 de morts du socialo communisme (auquels appartenaient les fascistes de Hitler et Mussolini) les 6 millions de la Shoah ne pèsent « que » 5%. Mais dans l’inconscient collectif ils pèsent plus lourd que les 65 millions de la révolution culturelle de Mao car ils ont été les premières victimes de l’industrialisation du génocide. Le Pen par ses foucades et provocations a durablement desservi les causes qu’il prétendait défendre. Et si l’Histoire réhabilitera le visionnaire le pire de son héritage a malheureusement été récupéré par la gauche anticapitaiste sous l’égide de LFI comme vient de l’illustrer brillament Plantu. Il faut maintenant tourner la page du cordon sanitaire, c’est de la responsabilité de l’électeur et travailler au programme commun de la droite patriote, c’est de la responsabilité des partis.

  4. J’étais devant mon poste et je me souviens… il n’y avait rien de choquant dans la réponse faite par JMLP.
    A question absurde, réponse absurde… tout juste si on ne l’accusait pas d’être responsable des déportations nazis… Pas étonnant qu’il n’ai jamais vu les chambre à gaz, pendant cette guerre il n’était alors qu’un adolescent (de 12 ans et 17ans…) il dit bien qu’il n’a jamais mis en doute, bien qu’il n’a jamais vu (et pour cause…) et le point de « détail de l’histoire », à ce que j’ai compris alors dans l’ensemble du débat, c’était que la question sur la Shoa, était lancé à brule pourpoint (hors sujet) par le journaliste et qu’il a répondu par cette phrase ( très vite sortie du contexte) voulant dire que ces 5 années de guerre, ne pouvait pas essentiellement se résumer à la Shoa… ce n’était pas une guerre mondiale contre les juifs et que si l’on se sert beaucoup du « détail » des chambres à gaz, il ne faut pas pour autant en oublier le reste des horreurs nazis… n’oublions pas que lui même à l’âge de 14 ans avait vu son père mort broyé par des mines de l’ennemi. C’est un détail parmi tant d’autre direz-vous… le mot « détail » peut prendre aussi toutes les significations selon ce qu’on a envie de comprendre…

    • J’ai la même analyse que vous et ajouterai que JMLP a fait, après la guerre, un voyage dans des camps de concentration où il n’y avait pas de chambres à gaz. Ses opposants, imbéciles notoires, ne savent même pas que tous les camps ne possédaient pas de chambres à gaz,
      D’autre part il est d’autres détails qui ne sont jamais développés par les journaleux aux ordres, comme : Qui étaient les pires acteurs des horreurs de cette guerre, les pires lâches, les pires tortionnaires !
      En Algérie, les soldats conduits par JMLP, trouvaient des corps d’enfants cloués aux portes de maisons, Qui étaient les auteurs, Mais aussi, certains élus prenaient l’avion Paris Alger avec des valises de billets distribués aux ennemis de la France. C’est curieux … les socialistes n’en parlent jamais et quelles sont les origines du socialisme ? du nazisme … Pendant la covid les agissements des élus avaient des airs de nazisme quant ils voulaient vacciner de force les récalcitrants !!! Non ?

  5. Dans les dictionnaires avant l’affaire, le sens du mot détail est « partie d’un tout, élément particulier d’un ensemble. » Après le scandale, ça devient dans le Larousse « petit élément constitutif d’un ensemble, et qui peut être jugé comme secondaire. » Certainement le hasard…

  6. La bonne question, qui n’est, en l’occurrence, pas une « petite phrase » susceptible de faire frétiller les médias, est : qui est antisémite aujourd’hui ? Qui, par contre, a participé à certaine marche qui aurait du concerner tout un chacun, marche à laquelle a pourtant dérogé le Président de la République ? Qui dénonce sans relâche les agressions actuelles – aujourd’hui si fréquentes hélas – contre nos compatriotes juifs ?

  7. Sur le « détail » l’ensemble de la classe politico-médiatique n’a été que trop heureuse de saisir la balle au bond ; et d’ailleurs de dire encore aujourd’hui que « c’est impardonnable ». Mais, le premier degré, l’absence d’analyse sont le privilège des sots. En fait JMLP a eu raison ; et tort. A la fois. Raison parce que les six millions de juifs assassinés s’inscrivent dans le décompte global, gigantesque et ahurissant, de tous les morts de la 2e guerre mondiale ; civils et militaires. 22,5 millions de Russes, les morts en Asie, etc. Alors oui, il s’agit d’un « détail » parmi les victimes. Et cela ne signifie nullement « insignifiants ». Mais il a aussi eu tort : la première guerre mondiale fut l’avènement de la mitrailleuse et de la boucherie militaires. La deuxième fut l’avènement de l’aviation, et elle fut également caractérisée par l’apparition du meurtre de masse en tant que stratégie. Du jamais vu. En ce sens, le meurtre des juifs (et des tziganes, et des homos etc.) n’est pas un « détail », puisqu’il est un but de guerre. La démonisation de JMLP n‘a donc été que la saisie d’une opportunité politique.

  8. Sa seule erreur, est de n’avoir pas su expliquer l’exploitation de ce mot, tiré de son contexte, par ses adversaires. Oui, il n’a jamais mis en cause l’existence des chambres à gaz, oui mais par rapport à tout ce qui s’est passé dans les années 40, ce n’était qu’un fait historique, inacceptable, parmi tant d’autres !

  9. En homme politique responsable Jean-Marie Le Pen a osé se confronter à l’Histoire. Il a pu mesurer que ce qu’on appelle Histoire, n’est que le récit des événements fait par les vainqueurs et que loin d’être une science, elle n’est au mieux que la mémoire que la postérité garde du passé et au pire des propos mensongers destinés à tromper ou à mystifier. « L’histoire humaine, c’est un récit raconté par un idiot plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien »

    • Plutôt que de donner des cours de langue française, constatons le résultat, la droite nationaliste est pour longtemps encore associée à cette période sombre de l’histoire et Eric Zemmour le perpétue avec ces inutiles polémiques sur Pétain.

  10. Et pourtant s’il avait politiquement tort, il avait raison sur le fond : la mise à mort reste un détail lorsque l’holocauste est indubitable . Sa parfaite connaissance de la langue française est une qualité dont peu de politiques furent capables.

    • je ne crois pas que les enfants des responsables du chao de la FRANCE subissent les délires de leurs parents ! …
      Il faudrait par exemple que les enfants des « 1er sinistres » depuis l’époque mitterand soient dans la mouise eux AUSSI ! …

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