[EDITO] Le Goncourt à Daoud : la France s’émancipe-t-elle de l’Algérie, enfin ?

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C’était dans BV, en novembre 2018. Le journaliste et écrivain Jean Sévillia était interrogé à propos de son livre Les Vérités cachées de la guerre d’Algérie (Fayard). « La fin de l’ère de Bouteflika sera une période à risque, disait-il. (…) L’islamisme existe. S’il y avait un basculement du système politique algérien, on entrerait dans une spirale dangereuse, non seulement pour l’Algérie, mais pour tout le bassin méditerranéen, et pour la France en particulier. Les écrivains algériens, que ce soit Kamel Daoud ou Boualem Sansal, avertissent tous sur le danger qu’il y a de l'après-Bouteflika, tout en souhaitant que ce système s’efface de l’Histoire ».

Peut-être cette édition du prix Goncourt, une des plus politiques, participera-t-elle au virage des relations franco-algériennes ? Peut-être cela aidera-t-il la France à taper enfin du poing sur la table ? On peut rêver… Le célèbre prix littéraire est donc décerné à Houris, dernier roman de Daoud, publié chez Gallimard. Un livre interdit en Algérie, car on ne peut, dans ce pays où la France de Macron est venu faire la roue en 2022 avec deux voyages diplomatiques pleins de mots gentils, critiquer et même évoquer « la décennie noire », celle des années 1990… Gallimard a du reste été prié de ne pas se rendre au Salon du livre d’Alger prévu du 6 au 16 novembre prochains.

Les mêmes idiots utiles

La “décennie noire” (1992-2002), c’est cette guerre civile sans précédent dans l’histoire du pays : la lutte entre l'armée et les islamistes a fait entre 100 000 et 200 000 victimes. Dans le livre de Daoud, Aube, une jeune femme devenue aphone à la suite d’une tentative d’égorgement durant la guerre civile, parle à l’enfant qu’elle porte. Pour lui dire la souffrance de naître femme en Algérie. En août dernier, Kamel Daoud prévenait sur France Inter : « Pour nous, les Algériens, ce qui se passe en France et dans le reste du monde face à l'islamisme, c'est un remake. On voit les mêmes compromis, les mêmes compromissions, les mêmes dénis, les mêmes idiots utiles, les mêmes risques, les mêmes stratégies et on est comme des revenants. On est derrière la vitre, on tape, on a envie de vous dire ne faites pas cette erreur-là. » Léa Salamé avait détourné la conversation, Eric Zemmour avait reposté la vidéo sur X.

 

 

L’extrême gauche n’a pas ménagé l'écrivain opposant algérien. En juillet 2021, Le Monde (et oui !) rappelait le traitement réservé à ces intellectuels : « « nègre de maison », « bounty », « collabeur », ou dans sa version sophistiquée, native informant, informateur indigène. La liste de ceux qui font régulièrement les frais (de ces qualificatifs, ndlr) est hétéroclite, de l’écrivain Kamel Daoud à l’imam Chalghoumi, de l’autrice Rachel Khan au policier Abdoulaye Kanté », écrivait le quotidien.

Le prix Goncourt salue donc, outre le talent littéraire, une tentative de courage et de lucidité sur un pays dont les relations avec la France sont mauvaises, malsaines. L’Algérie envoie en France des millions d’immigrés qui ne se comportent pas toujours en gentlemen, c’est le moins qu’on puisse dire. Les victimes et les tragédies ne se comptent plus. L’Algérie est la nation la plus représentée dans les prisons françaises. Des sommes considérables gagnées en France par des Algériens partent chaque année alimenter l’économie algérienne, sans compter les aides au développement. Nos frontières restent largement ouvertes. En retour, le régime algérien crache abondamment sur la France et exige des excuses et des humiliations sans fin, avec le concours gracieux du gouvernement macroniste.

Sursaut français ?

On se souvient des voyages d’Etat d’Emmanuel Macron et d’Elisabeth Borne en 2022, de l’hommage de Borne aux victimes de la guerre d’Algérie côté algérien, du retour du gouvernement… bredouille. On se souvient du rapport Stora qui devait, dans la foulée, « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie et réclamait encore davantage d’humiliations. On mesure surtout la « bienveillance » de ce pays au nombre des OQTF dont il refuse le retour et au ton des discours basiquement anti-Français qui se multiplient dans les sphères du pouvoir.

Le Goncourt de Daoud marque-t-il un début de sursaut français ? Comme si la main tendue au Maroc sur l’affaire du Sahara occidental, à la grande fureur de l’Algérie, avait libéré la France des obligations qu’elle s’impose vis-à-vis de son ancienne colonie. Un jour, peut-être, la France discernera entre les pays amis et… les autres. On attend maintenant les réactions de l'Algérie - et de l'extrême-gauche française, ceux que Kamel Daoud traitait « d'idiots utiles ».

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Je me réjouis de l’attribution du Goncourt à Kamel Daoud qui est un immense écrivain. Mais il ne faut pas montrer un optimisme béat et croire que la décision d’une poignée d’écrivains, aussi talentueux soient ils, même si on peut la juger courageuse, est loin d’engager la France et son gouvernement et il ne faut pas y voir, hélas, le début d’une réaction de notre pays face aux humiliations répétées qu’Alger nous fait subir. Grâce à Dieu Macron n’appartient pas à l’Académie Goncourt, sinon Daoud aurait pu attendre longtemps son prix.

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