[EDITO] Michel Barnier à Matignon : trois leçons et quelques questions

michel barnier

Après 51 jours de massacre des candidats à Matignon, 51 jours à se faire peur avec des hypothèses dangereuses pour la France, le jeu des dix petits nègres a pris fin. Michel Barnier aura donc attendu l’âge de 73 ans pour endosser les habits de l’homme providentiel. Ceux de la perle rare capable d’écarter le spectre d’une censure immédiate à l’Assemblée et de conduire la politique de la France, coincée entre un Président sans majorité à l’Assemblée, politiquement usé au point que le débat a porté sur sa démission, et une Assemblée tripartite où toute majorité stable semble impossible.

On peut en tirer trois leçons. D’abord, LFI et ses alliés ne représentent qu’eux-mêmes et surtout pas une majorité. Ainsi, les magouilles électorales des législatives qui ont vu tous les partis hors RN et ciottistes se faire la courte échelle (lire notre série « Le système la main dans le sac ») ont-elles débouché sur une impasse politique dure comme le béton : LFI est minoritaire au sein du NFP, lui-même minoritaire en France, comme le pouvoir macroniste. Les petits arrangements entre amis ne font pas tout, fussent-ils contre-nature. Pour dégager une majorité, à la fin des fins, il faut tenir compte du vote des Français et du choix, par 10 millions d’entre eux, des candidats du RN et de ses alliés.

Marine Le Pen a sauvé le gladiateur Barnier

C’est la deuxième leçon de l’arrivée de Barnier et une étape majeure dans la marche vers le pouvoir du Rassemblement national. Après quarante ans de campagnes médiatiques, de « cordon sanitaire », de résurgences des « forces du mal », de traitements à la limite des règles démocratiques, de « plus jamais ça » la main sur le cœur et autres manipulations de grande ampleur, le président de la République élu et réélu contre Marine Le Pen lui a passé un coup de fil pour s’assurer que le RN ne censurerait pas immédiatement le nouveau Premier ministre. Comme les empereurs dans les cirques romains, Marine Le Pen a baissé le pouce pour Cazeneuve ou Bertrand, mais elle l'a levé pour le gladiateur Barnier… provisoirement. Michel Barnier, parce qu’il est un homme courtois y compris avec le RN, peut ainsi prononcer son discours d’intronisation. Marine Le Pen a bien béni le couple exécutif. Le RN ne participera pas au gouvernement, assure Marine Le Pen ? Trop tard, ayant participé à sa désignation, elle devra choisir vite entre une censure ou un appui en pointillés. Désormais faiseur et défaiseur de rois et de lois, le RN fait donc discrètement son entrée parmi les partis de gouvernement, sous la présidence de son pire adversaire, Emmanuel Macron, l’homme qui s’est toujours présenté comme le suprême bouclier anti-Le Pen. Rançon du succès, cette position nouvelle représente un danger pour le RN. S’il ne sanctionne pas, il sera complice ; s’il sanctionne, il assumera l’instabilité du pouvoir.

Troisième leçon, la désignation de Barnier en dit long sur la colonne vertébrale du macronisme. Les deux hommes, l’un venu du hollandisme, l’autre de droite, ont un axe commun : leur européisme absolu, pierre angulaire du macronisme et constante de la carrière de Barnier. Le nouveau Premier ministre, avant de devenir le négociateur en chef du Brexit pour la Commission européenne, véritable ennemie des nations, a été vice-président de la Commission et commissaire européen au Marché intérieur, le poste qu'occupe aujourd'hui Thierry Breton. Le farouche brexiter anglais Nigel Farage a immédiatement salué, sur X, « un fanatique de l'UE qui va convenir au vendu Starmer (le Premier ministre anglais) ». Farage avait, durant les négociations, rhabillé le personnage : « Michel Barnier est le plus grand hypocrite de tous les temps », lançait-il.

Qui est le vrai Barnier ?

Ce qui pose la question centrale, en ce lendemain de désignation, à Matignon, d’un homme à la longue carrière politique : qui est le vrai Michel Barnier ? Celui qui appelait, en 2015, à accueillir plus de réfugiés politiques ? Celui qui assura par tous les moyens les intérêts de la machine européenne face à la nation britannique ? Ou celui de 2021 qui promettait un moratoire sur l’immigration ? Accessoirement, est-il prêt à taper du poing sur la table pour rompre avec un Emmanuel Macron opportuniste sans ligne en dehors du mondialisme, dont le bilan politique, économique et immigrationno-sécuritaire est désastreux ? Autrement dit, la cohabitation sera-t-elle cordiale sur le dos de la France ou armée dans son intérêt ? Le Brexit a-t-il fait réfléchir sur les nations, comme on le dit, cet homme qui a récemment refusé de diaboliser le RN ? Utilisera-t-il sa connaissance de l'Europe pour recouvrer l'indépendance de la France, en gaulliste, ou l'affermera-t-il davantage à Bruxelles, en européiste ? Lors de la passation de pouvoirs avec Gabriel Attal, dans la cour de Matignon, ce 5 septembre, Barnier a évoqué des thèmes chers au RN qui étaient aussi les siens en 2021 : les campagnes, l'agriculture et la pêche, la sécurité, l'immigration, « le niveau de vie des Français », autant parler du pouvoir d'achat, « la défense de nos intérêts en Europe ». Le nouveau Premier ministre a insisté sur « le respect de toutes les forces politiques représentées », évoqué les notions chrétiennes de « bonne volonté » et de « bien commun ». Cette rupture dans les mots avec le macronisme haineux est-elle une posture de négociateur conscient des forces en présence ou se traduira-t-elle dans les actes ? Qui est donc Michel Barnier ? Première réponse dans quelques jours avec son discours de politique générale à l'Assemblée nationale.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

59 commentaires

  1. C’est un LR…ça veut tout dire…Le discours de politique générale ne suffira pas..mentir,tricher,
    pantoufler est leur spécialité..on risque vite d’entendre  » on peut pas l’europe veut pas « nous attendons des actes..pas des belles paroles.. »les promesses n’engagent que ceux qui y croient »( Charles Pasqua)…

  2. Deux mois pour choisir un pm qui ne sera pas lynché avant tentative d’action. Combien de jours, de semaines ou de mois pour former un gouvernement de 15 ministres qui ne feront pas frémir Macron et qui laisseront le pouce de MLP vers le ciel ? Vous avez 3 heures

  3. Après la distribution automatique des postes à l’assemblée Nationale le RN deviendrait il un faiseur de roi rien n’est moins sûr . l’Europe tient les cordons de la bourse et la France a perdu sa souveraineté Nationale quant à réguler l’immigration…

  4. Ce que l’on peut retenir de Michel Barnier c’est sa réaction au lendemain du 29 mai 2005. Douché par l’écrasante victoire de ‘non’ au référendum sur la constitution européenne, il c’est permis de dire que les Français n’avaient rien compris et que de toute façon ce résultat n’empêcherait pas Bruxelles d’arriver à ses fins. Ce fut chose faite avec le traité de Lisbonne, honteusement adopté de force par le palais Bourbon. Voilà donc à quoi ressemble notre nouveau PM.

  5. Barnier a plus à craindre du RN que de Macron. Le RN n’a même pas besoin de la censure pour infléchir la politique du gouvernement. Du nombre de votes RN pour ou contre les lois proposées par la coalition centre°LR dépend la longévité du gouvernement Barnier car Ensemble + Modem + Horizon = 166 + LR = 213. Les 126 voix du RN et apparentés sont déterminantes pour le succès ou l’échec d’une loi.

    • Pas d’accord ! Le RN n’a pas « participé » à la désignation du nouveau premier ministre. MLP à réfuté tous les candidats dont elle savait qu’il mènerait résolument une politique allant contre les idées de plus de 10 millions d’électeurs. Pour Barnier, compte tenu de ses déclarations passées, on ne sait pas trop bien où il se situe mais il a toujours « respecté » le RN ou, en tout cas, il ne l’a jamais pointé du doigt comme l’ont fait Cazeneuve, Bertrand et consort. Marine n’a qu’un rôle d’arbitre et Macron a dû manger son chapeau, obligé de lui demander « s’il y a faute ou pas ». Elle se contente de « laisser jouer »… Barnier ayant, par le passé, dit tout et son contraire, elle n’a pas donné son aval. Elle a simplement dit qu’elle jugerait sur pièce et ne censurerait pas A PRIORI. Dans ces conditions je trouve erroné de dire qu’elle a « participé à sa désignation ». Elle n’a pas « béni le couple exécutif”… Et elle a prévenu : S’il fait un effort dans le sens des actions que nous préconisons, nous jouerons le jeu, sinon… Elle n’a pris aucun engagement et reste libre des ses actes.

  6. On peut ne pas être un fan de Barnier et reconnaître que c’est peut-être l’homme de la situation…
    Un centriste de droite ,un modéré, apparemment calme ,ne dressant pas les français les uns contre les autres…
    Il ne sera pas franchement de droite mais il ne proposera pas les réformes délirantes du NFP.
    Et surtout il est sérieux : cela devient très rare parmi les politiques.
    On pousse donc un ouf de soulagement …
    A condition que le RN soit responsable et ne le censure pas (sauf cas exceptionnel)dans l’intérêt général de la France.
    Au moins pendant 1 an le temps qu’une nouvelle dissolution soit permise.

    • Je suis d’accord avec vous. Européiste, certes, mais avec le recul, peut-être a t-il vu les dérives dictatoriales de l’UE, laissons lui une chance. J’ai apprécié sa courtoise (l’art de la politesse qui a disparu chez nos hommes politiques) et son humour, intellectuellement plus élevé que tous les autres.
      Vu la situation catastrophique de notre pays il a du pain sur la planche.

  7. Comme vous l’écrivez : « leur européisme absolu, pierre angulaire du macronisme et constante de la carrière de Barnier. » … ET c’est bien là le HIC ! …
    Quel est son parcours depuis qu’il est dans les ors de la « République » ? …
    La « réaction » du CAC 40 dans les minutes après la confirmation de michel barnier en dit long sur ce qui attend la France et surtout les français ! …

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