[ÉDITO] Mort du pape : franchement, elle a bon dos, la laïcité !

C’est fou, comme on a la mémoire sélective, en France ! La polémique autour de la mise en berne des drapeaux à l’occasion des funérailles du souverain pontife en est une nouvelle illustration. Ainsi, l’essayiste Caroline Fourest estime que « l’Histoire de France, c’est la loi de 1905 ». C’est un peu court. La loi de 1905 fait partie de l’Histoire de France, mais l’Histoire de France, ce n’est pas la loi de 1905.
Justement, parlons-en, de la loi de 1905 !
Cette loi, on la lit, on la relit, on la recontextualise, comme on dit aujourd’hui, et l’on n'y voit pas qu’il serait interdit de mettre les drapeaux en berne pour rendre hommage à un pape défunt ! Rappelons ce qu'elle dit, ce ne sera pas du luxe, dans un contexte où on lui fait dire n’importe quoi.
Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » La liberté de conscience serait-elle mise à mal par cette mise en berne ? Cette notion de liberté de conscience, du reste, pas toujours facile à appréhender, reconnue par une décision du Conseil constitutionnel de 1977 comme un principe fondamental de la République, est rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Et que dit cet article 10 ? « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » Personne, en France, n’est inquiété pour ses opinions à travers la mise en berne des drapeaux, ce samedi. Gêné, troublé, chagriné, peut-être, mais pas inquiété, soyons sérieux !
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes... » La non-reconnaissance des cultes par la République ne signifie pas qu’elle les ignore. Depuis 1905, les cultes ont cessé d’être des institutions publiques et sont soumises au droit privé. Cela ne signifie pas autre chose. D'ailleurs, la République ignore si peu les cultes qu’un ministre du culte catholique, protestant ou israélite célébrant un mariage religieux avant le passage en mairie commet un délit !
Sans remonter aux croisades...
Mais foin de juridisme et parlons un peu histoire et même d’Histoire, avec un grand H. Ne remontons pas aux croisades et cantonnons-nous à des temps très républicains et pas si lointains : la Libération et la IVe République.
26 août 1944. Le général de Gaulle vient de descendre les Champs-Élysées et se rend à Notre-Dame, flanqué du général Leclerc et du socialiste Le Troquer, commissaire délégué à l’administration des territoires métropolitains libérés, pour y entendre le Magnificat. « En fut-il jamais chanté de plus ardent ? », écrira l'homme du 18 juin, dans ses Mémoires de guerre. Hurla-t-on, alors, à « la faute », pour reprendre les mots d’un socialiste d’aujourd’hui, Jérôme Guedj, qui est pourtant l’un des moins pires de ses camarades ?
17 janvier 1952. « La France a fait aujourd'hui au maréchal Jean de Lattre de Tassigny les grandioses funérailles nationales qu'elle réserve aux hommes "qui ont bien mérité de la patrie" », écrivait Le Monde de l’époque. Quelques extraits de l’article relatant la cérémonie à Notre-Dame. « Dans le chœur, de part et d'autre de l'autel, une forêt de drapeaux. Sur les piliers du transept, d'autres emblèmes retombant en plis lourds. Dans la nef, rangés en double file, des gardes républicains coiffés du casque à crinière. […] Dans les premiers rangs se sont installés MM. Herriot, Monnerville, Albert Sarraut et Jouhaux, présidents des quatre Assemblées, M. Pleven et les membres du gouvernement. […] Le Président Vincent Auriol [NDLR : socialiste !] vient prendre place à la gauche du chœur, en face du trône épiscopal de Mgr Feltin. […] À l'élévation, les trompettes de la garde sonnent aux champs. » Après la messe, le cortège s’ébranle en direction des Invalides. « Derrière les chars de fleurs marchent les enfants de la manécanterie, le clergé, puis, suivant le cercueil, vingt-cinq officiers porteurs des décorations, précédés d'un colonel, qui sur un coussin présente le bâton du maréchal. » Dans le même cortège, militaires, corps constitués, membres du gouvernement, clergé avec ses prélats en cappa magna. Sans commentaires.
Tout juste un an après, le 17 janvier 1953 - BV l'évoquait hier, dans sa question aux lecteurs -, Vincent Auriol, toujours président de la République et toujours socialiste, en vertu d’un privilège hérité des rois, apposait dans les salons de l'Élysée la barrette de cardinal à Mgr Angelo Giuseppe Roncalli, alors nonce apostolique à Paris et futur pape Jean XXIII. Le nonce s'était alors agenouillé devant le chef de l'État sur un carreau de velours rouge pour recevoir la barrette rouge. Vincent Auriol remit ensuite au nouveau prince de l'Église les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur !

Le Président Auriol appose la barrette de cardinal à Mgr Roncalli
Effectivement, l’Histoire de France ne se résume pas, ne se limite pas à la loi de 1905 ! Alors, bien sûr, Caroline Fourest avance un problème qui ne se posait pas en 1944, 1952 ou 1953 : les drapeaux en berne « vont faciliter la propagande islamiste et compliquer la tâche des enseignants chargés d’expliquer que la laïcité s’applique à tous », estime-t-elle. Si compliqué que ça, d’expliquer que l’Histoire de France ne commence pas en 1905 et que dans ce « cher et vieux pays », comme l’évoquait hier Gabrielle Cluzel dans son éditorial, il existe une religion qui a une certaine antériorité et prééminence ?
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