[EDITO] Souvenir, souvenir : quand Quotidien pleurait la défaite de Clinton

Yann Barthès

Pour détendre l’atmosphère sur l’enjeu de l’élection présidentielle américaine en France, alors que les résultats commencent à tomber aux Etats-Unis, il faut se souvenir de l’émission Quotidien de Yann Barthès, temple du gauchisme bobo-woke parisianiste. C’était il y a huit ans, lors de la nuit électorale qui vit Trump triompher. La petite réunion de gauchistes parisiens avait prévu une nuit blanche, une nuit de fête. La quasi-totalité des enquêtes d'opinion donnaient Trump perdant. Mais au matin, les cotillons étaient restés sous plastic, les mines sentaient la bataille perdue, le studio respirait la débâcle. Il y avait des silences, des souffrances palpables. Une jeune fille pleurait à chaudes larmes. Quelque chose du lendemain de Waterloo. C’était fini. Trump était assuré de devenir le président des Etats-Unis d’Amérique avec une large avance et ces militants qui vibrent au son du monde sans cultures nationales, sans méchants patriotes et sans frontières vivaient dans leur chair l’amertume d’une défaite électorale. Ils avaient jusqu’au bout refusé d'y croire tant elle semblait à rebours de la route fleurie du progrès.


La frontière, Rubicon dépassé ?

Pour un patriote français, grec ou argentin, les élections américaines représentent un enjeu majeur du fait de la puissance et de l’influence du pays sur le reste du monde. Mais, dans leurs pays, les partisans de Xavier Milei, de Viktor Orban, de Giorgia Meloni ou de Marine Le Pen savent bien que le président des Etats-Unis aura moins d’influence sur leur propre nation que le dirigeant qu’ils auront élu. Ils espèrent bien sûr que les Etats-Unis s'écarteront des idéaux de la gauche. Mais si ce n’est pas le cas, ils oublieront et reporteront leurs espoirs sur les scrutins nationaux.

Rien de commun dans le camp d’en face. Pour les contempteurs de l’impérialisme américain, les Etats-Unis comptent paradoxalement bien plus que les enjeux électoraux dans leur petite patrie. Il faut se mettre à leur place. Le Paradis moralisant et mondialisant était là, à portée de main. Dans cet univers rêvé, Macron et Biden se donnaient la main sous l’œil énamouré de Pedro Sanchez et de Justin Trudeau. A travers les frontières passaient des flots d’étudiants avides de paix, de culture et de découverte de l’autre. Des businessmen et des touristes franchissaient ce Rubicon dépassé, tous libérés des contraintes de l’ancien monde, modernes, gentils. L’élection de Trump voilà huit ans a jeté un froid. Le mal existe, les téléspectateurs de Quotidien l’ont rencontré brutalement ce soir là. Le mystère du mal. Comment un électeur américain sur deux peut-il apporter son bulletin de vote et ses espoirs à un succédané d’Adolf Hitler en personne ?

 

Lendemains d'horreur

Pour que plus jamais cela ne revienne, il a fallu sortir du cocon gentillet et hystériser à haute dose. Reconnaissons volontiers que Trump n’y va pas avec le dos de la cuiller lorsqu’il évoque le danger que représentent ses concurrents. Mais à gauche, en France surtout, on n’est pas en reste. Gabriel Decroix pour BV a fait une brève incursion dans le paysage médiatique centré sur l’enjeu électoral : c’est la foire au point Godwin. En dépit d’une concurrence très dure, le gagnant est sans doute ce directeur d’école tout en nuances. Dans l’émission C Politique du 27 octobre sur France 5, Olivier Mannoni, directeur de l'école de traduction littéraire, comparait la campagne de Trump à celle d’Hitler : « Pendant la campagne précédente, ses arrivées en avion avec atterrissage devant la foule, c’est quelque chose que Hitler a utilisé en 1932, sur le thème “le Führer survole les villes allemandes”. »

C’est une constante de la gauche, que les Français ont vu évoluer avec le Front puis le Rassemblement national. Foin du programme et des personnalités : Hitler on vous dit. On mobilise la peur, l’histoire, l’irrationnel, on ressuscite les ogres des contes, non sans accuser le camp d’en face d’excès, de folie, d’hystérisation et de desseins criminels porteurs de lendemains d’horreur.

 

Colas et le loup

Mais la recette s'émousse avec le temps… C’est la fable de Colas et le loup. Colas criait au loup si souvent pour tromper sa solitude qu’un jour les villageois ne vinrent plus. Le loup, cette fois, était bien là. Cette année, Quotidien a fait plus sobre. On apprend de l’expérience. Si Harris est élue, ce sera certainement grâce au plateau de Yann Barthès. Si Trump sort des urnes, le ridicule sera moins grand pour nos médiatiques militants. Mais le travail de consolation de la gauche française prendra des mois, des années peut-être… Lucchini a raison : c’est difficile d’être de gauche...

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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