[EDITO] Telle la statue du Commandeur, trois poilus de 14 viennent de surgir !

11 novembre poilu guerre 14 18

« Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito », disait Einstein.

Par hasard, en enfouissant une ligne électrique à Fleury-devant-Douamont, l’une des neuf communes meusiennes autour de Verdun déclarées « mortes pour la France », qui n’a pas été reconstruite, on vient de retrouver, la semaine dernière, les dépouilles de trois soldats français. Il n’est pas rare que l’on tombe, dans la région, sur des ossements ou des vestiges divers de la bataille de Verdun, mais il est assez rare d’y découvrir des squelettes entiers comme ceux-là. Ils étaient ensevelis les uns sur les autres. Deux avaient les jambes repliées, leur casque, leurs caisses de munitions et même une fiole d’alcool avec eux. L’un avait moins de 20 ans, le deuxième n’était pas trentenaire, le dernier était un adulte d’âge plus mûr. Leurs plaques sont abîmées mais les spécialistes ne désespèrent pas de les identifier et de retrouver la famille. Si ce n’est pas le cas dans les six mois, ils seront inhumés dignement, dans la nécropole voisine, avec leurs nombreux frères d’arme inconnus. Quant on sait qu’il était déjà parfois difficile de mettre un nom sur les blessés vivants… On se souvient d’Anthelme Mangin, dit « l’amnésique de Rodez », dont l’historien Jean-Yves Le Naour retrace le périple dans Le Soldat inconnu vivant (Fayard). Giraudoux en tira un roman - Siegfrid et le Limousin - et Anouilh une pièce de théâtre : Le Voyageur sans bagages.

Mercosur 

Par hasard, il se trouve que la même semaine, le mouvement des agriculteurs en colère reprend, sur fond de Mercosur imminent. Leurs grands-parents ou arrière-grands-parents ont labouré tous les champs français, y compris ceux de bataille. La moitié des poilus étaient ruraux, la moitié de ceux qui sont morts en 18, des paysans. Entre 1914 et 1918, 550.000 agriculteurs sont tombés au combat, soit plus d’un tiers des pertes totales, 500.000 autres sont revenus blessés. Ils n’ont pas seulement irrigué notre terre de leur sueur mais aussi de leur sang. Statistiquement, au moins l’un des trois soldats retrouvés à Fleury-devant-Douaumont est un paysan.

Dans le recueil Paroles de poilus, il y a une lettre d'Henri Joseph Thomas, agriculteur à Saint-Georges-d’Espéranche (Isère). Il écrit à son fils Armand de 15 mois, au mois d’août 1915, et lui fait quelques recommandations : « Devenu un homme, sois du nombre de ceux qu’on appelle les honnêtes gens. » Et puis encore : « Rappelle-toi que le vrai bonheur ne se trouve pas dans la richesse et les honneurs, mais dans le devoir vaillamment accompli, et les bonnes actions. » Il sera tué, quelques mois plus tard, le 30 mars 1916, à Verdun. Pour son pays, pour l’avenir des siens, c'était en tout cas ce qu'on lui avait vendu. Pas, comme Flambeau de L’Aiglon, pour des prunes.

La terre et les morts

Leurs descendants les ont écoutés. Ils sont devenus des honnêtes gens. Ils ont choisi le devoir vaillamment accompli à la richesse et aux honneurs. Et puis leur lopin de terre, la douce lumière du soir près du feu qui réchauffait leur père et la troupe entière de leurs aïeuls comme dans la chanson de Cabrel. Sauf que ce sol se dérobe sous leurs pieds. Les frontières pour lesquelles les poilus se sont battus mètre par mètre dans les tranchées ont été enfoncées par les traités de libre-échange, l’agriculture française est sacrifiée sur l’autel de l’industrie… allemande, et Notre-Dame-de-l’Europe, seul monument de Fleury-devant-Douaumont, bâti sur les ruines de l’ancienne église détruite, ressemble à la chapelle mortuaire de toutes les espérances. Le citoyen français doit devenir le nouveau voyageur sans bagage, ni racine, ni culture, au sens propre comme au sens figuré. « Les Français rêvent-ils d’être des radis ? », s’exaspérait, en 2015 sur son blog, Jacques Attali. Dans ce projet, forcément, le paysan fait tache.

Les accents barrésiens sont mal vus. Il n’empêche. Si nous ne nous rappelons plus la terre et les morts, ce sont la terre et les morts qui se rappellent à nous. Telle la statue du Commandeur. À la faveur, parfois, d'un bricolage électrique.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

36 commentaires

  1. Mon père, né en 1896, a été appelé en 1916 et a servi jusqu’en 1919. Jamais il ne parlait de la « guerre de 14 ». Il en avait rapporté trois petits carnets sur lesquels il racontait chaque jour ce qu’il voyait, ce qu’il craignait et ce qu’il espérait. Nous, ses enfants, n’avions jamais été autorisés à les toucher, encore moins à les lire ! Je les ai publiés en 2014 à l’occasion de la célébration du centenaire de la déclaration de guerre. On y observe ses craintes, ses espoirs, son engagement pour la patrie, valeurs profondément ancrées dans sa personnalité. Je ne manque aucun défilé du 11 novembre en hommage à tous ceux qui ont combattu et à la leçon qu’ils nous ont donnée.

  2. De mes deux grands pères, l’un a traversé la guerre intact et l’autre y a laissé un bras, une jambe et un poumon. Ramassé la nuit sur le champ de bataille de Verdun par des infirmiers allemands, il a miraculeusement survécu. Une fois sorti de l’hôpital, il a été rapatrié par la Croix Rouge.
    Quand ma grand mère de 20 ans a retrouvé son fringant fiancé devenu une moitié d’homme, elle a tenu à l’épouser. Ils ont eu 4 enfants. Puis elle s’est mise à boire… Morte à 54 ans. « Le Chagrin et la Pitié », comme dit le film…

  3. Ils n’était pourtant ,(pour ceux qui savent), «  »Que des simples Appelés » » ». ces pious pious, ces Poilus.!
    Comme en 40, en indo ,au Maroc, ou en algérie ?
    Mais Ils ont défendus avec honneur leur Pays . Alors que des « mortes couilles » se repentent?
    Mon grand père maternel pour ses 20 ans à été appelé, en Prusse c’était 8 ans et demi de service Militaire obligatoire, se terminant par la guerre de 14/18. soit 12 ans et demi de service rendu à son pays !La paix revenue ON lui à dit qu’il était allemand ?(Il n’à jamais reconnu aucune autre Nationalité).
    Alors qu’il, lui ,en cœur et esprit était Officier d’artillerie Prussienne.?
    Mon grand père paternel quant à lui était Sergent d’infanterie Française!!!
    Mon père ,ce héros, muet , »évadé deux fois (allemagne nazie et roumanie popov) lors de la «  »der-der » » à été libéré par les mougiks en fin 45, là haut en lieu très froid. (je suis né en 46)
    Etant gamin ,je me battais pour être le premier de la classe à quetter et vendre le plus de bleuets de FRANCE !
    Ado je me suis demandé , que serai je ,si , un obus , une balle ????
    Adulte je me suis demandé comment devaient être les réunions de FAMILLES ?
    quand mes deux pépés étaient à la même table ? tous deux militaristes vicéraux
    J’ai bien « servi » mon Pays .MAIS,!
    Le 11 novembre ,je n’y suis pour personne .

  4. Mon grand-père en est revenu mais pas les 2 frères de ma grand-mère. Ils étaient partis ensemble, « la fleur au fusil » à 20 ans. J’ai certaines lettres des 2 disparus, ils parlaient de la fête qu’ils feraient à leur retour mais pas des tranchées, des rats, de la peur! Mon grand-père n’en parlait jamais.

  5. Pour sauver la France en ce temps là il y avait des hauts chefs et en dessous de moins hauts tels Péguy qui y a laissé sa peau! Où sont-ils les descendants de ceux-là aujourd’hui les hauts galonnés sortis de nos grandes écoles et les moins hauts qui paradent sur Champs Élysées? Casoars, bérets verts ou rouges sur les tracteurs serait forme peut-être plus patriotique aujourd’hui ? Ouais mais la retraite n’est pas la même…..alors !

  6. Bravo pour ce rappel du devoir de mémoire et  » rafraichir la mémoire de certains gangrénés par le Wokims

  7. Merci Madame pour cet article. Je n’ai pas l’habitude de faire des commentaires sur des sites, mais il me semble être de mon devoir familial d’écrire celui-ci : mon grand-père s’est battu en 14-18, il a eu trois cotations au combat (bataille du Linge), la croix de guerre et la médaille militaire, mais surtout il est revenu vivant, même si toute les nuits il était au combat jusqu’à sa mort… Deux de mes grands-oncles n’ont pas eu cette chance et leurs noms figurent sur l’Anneau de la Mémoire, ils étaient paysans et j’ai encore leurs décorations neuves décernées à titre posthume, pour se souvenir chaque 11 novembre. Je suis leur héritier et mes fils après moi, mais pour quel avenir ?

  8. Mes deux arrières grand père sont partis au front a l’age de 34 ans dont l un blessé en 1917 ,renvoyé a son travail de lamineur après sa convalescence.

  9. Merci madame Cluzel pour cet excellent article. L’histoire se rappelle à nous par le souvenir de ceux qui se sont battus pour cette patrie charnelle qui offrait alors tant d’espérance. Aujourd’hui, ce qui faisait nation, le roman national est sans cesse discrédité. A nous de nous battre pour le redorer, sans une fierté retrouvée, la France disparaitra. Nous nous devons d’instruire notre jeunesse et lui rappeler la beauté de notre histoire.

  10. Mon arrière grand oncle n’est jamais revenu de cette atroce guerre, sa mère a espéré tout le reste de sa vie qu’on lui rendrait un corps, qu’elle saurait ce qu’il s’est passé ! En vain… Chaque fois que l’on retrouve des ossements, j’espère que c’est lui. Mais l’espoir est mince vu la difficulté à reconnaître leur identité ! Pour la mémoire de la famille (de paysans…) de ma grand mère et son honneur, j’aimerais qu’on le retrouve avant de mourir…

  11. Les fameux poilus, humbles citoyens pour la
    plupart, se sont battus comme des lions ;ils ont Été l’honneur de la France, et les principaux artisans de la victoire.
    Respect à ces grands Français.

    • Mon arrière grand oncle caporal croix de guerre avec trois étoiles de bronze tué a l ennemi en Septembre 1918 a Courlandon prés de Reims

  12. Je pense que nos « nouveaux Français » se fichent pas mal de toutes ces histoires pas si lointaines que cela !! HELAS !!

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