Édouard Chanot : « On accusait Sputnik France de propagande et de complotisme, mais la situation évolue »
Le site d'information a été censuré par le réseau social Twitter, qui l'a supprimé de son moteur de recherche. Explications d'Édouard Chanot, directeur de la rédaction.
Sputnik aurait été censuré par Twitter. À quel niveau, d’après vous ?
Au niveau le plus mesquin qui soit : celui des moteurs de recherche ! Pour être plus précis, si vous ne suivez pas déjà le compte Twitter de Sputnik France (@sputnik_fr) et si vous le tapez dans le moteur de recherche du réseau, notre compte n’apparaîtra ni dans la barre ni dans les résultats de recherche. Pourtant, vous obtiendrez ceux des journalistes de Sputnik France. C’est un deuxième coup de semonce de la part du réseau, qui avait déjà ajouté, le 6 août dernier, la mention « média affilié à un État, Russie » pour décrire notre compte. Par contre, AJ+, la BBC ou la National Public Radio (NPR, le média américain) ne sont pas concernés. Car Twitter a fait savoir que les médias financés indirectement ou directement par un État, mais jouissant selon eux d’une « indépendance éditoriale », ne seraient pas labellisés. Radio Free Europe, média américain qui reçoit des fonds du Congrès et cible particulièrement l’Europe de l’Est, n’est pourtant pas non plus étiquetée. C’est donc une décision purement arbitraire : SputnikFrance et RT sont dans le viseur, en compagnie du média chinois CCTV France. YouTube avait, d’ailleurs, ouvert la voie, au printemps 2019, en labellisant aussi la chaîne de Sputnik France.
Les médias « russes » peinent à se « dédiaboliser » et à s’affranchir d’une image d’organes de propagande utilisés par le Kremlin. Cela vous étonne ?
Écoutez, tout n’est pas si manichéen. Sur France Culture, l’universitaire Kévin Limonier, qui dirige l’Observatoire du cyberespace russophone, déclarait, il y a dix jours, qu'« aujourd'hui, le positionnement de RT et Sputnik montre qu'ils ont acquis une certaine respectabilité, qu'ils se sont d'une certaine manière embourgeoisés et qu'ils font partie du paysage médiatique français ». Je ne crois pas que nous soyons plus BCBG qu’il y a deux ou trois ans (rires), à vrai dire, je pense que c’est plutôt nos détracteurs qui relativisent leurs accusations.
Quand Emmanuel Macron qualifiait Sputnik d’organe de propagande, en mai 2017, j’avais répondu sur votre média qu’il lui fallait chercher sur notre site où sont les « fake news » contre sa personne (à l’époque, les réseaux sociaux bruissaient de vulgaires rumeurs d’homosexualité ou de compte offshore aux Bahamas). Trente secondes suffisaient pour en avoir le cœur net : on n’y trouvait rien, l’accusation n’était qu’une calomnie. Si les journalistes avaient fait leur boulot et « fact-checké » comme ils le font d’habitude pour chaque mot provenant de l’Élysée, tout cela aurait pris une différente tournure. Seuls Libé et TV Libertés avaient relativisé les accusations à l’époque, mais leurs remarques s’étaient perdues dans le flot d’accusations. On nous accusait irrationnellement de propagande ou de complotisme, mais cette campagne médiatique révélait avant tout l’obsession des médias mainstream pour un hypothétique complot russe. Heureusement, la situation évolue.
Comment Sputnik lutte contre cette image ?
Nous ne luttons pas, il suffit de se concentrer patiemment sur notre propre travail. Notre but est d’élargir progressivement notre lectorat, grâce à notre regard original sur l’actualité, « ouvert sur un monde multipolaire », nos infos exclusives et nos invités percutants, boudés parfois par d’autres. Et cela paie : nous sommes régulièrement dans le Top 20 des sites d’information les plus lus en France, et le premier média étranger dans l’Hexagone (agrégateurs exceptés). Nous atteignons parfois 10 millions de visiteurs uniques par mois.
Nous observons des mécanismes assez fascinants : par exemple, dès qu’une crise internationale où la Russie a un rôle se dessine, par exemple au Proche-Orient, ou même l’affaire Skripal, les visites explosent sur notre site. Cela signifie que le lectorat français est curieux et veut connaître le regard russe sur la question. Nous ne séduisons pas un public de complotistes imbéciles comme certains veulent le faire croire, mais des lecteurs qui veulent confronter les sources et les regards. Ils demandent une alternative au dogmatisme encore trop en vogue à Paris.
Vous avez été récemment nommé à la tête de la rédaction de Sputnik France à Paris. Quelles sont vos priorités ?
Vous êtes bien informé ! Le premier défi est humain, puisque nous élargissons notre équipe. Le deuxième concerne nos vidéos : nous ambitionnons de passer à l’étape supérieure. Je pense que nous parvenons, après cinq ans d’existence, à maturité.
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