Édouard Philippe : bientôt traîné devant la Justice ?
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Au sujet du remplacement d'Édouard Philippe, j'évoque une incompréhension « démocratique ». Parce que je ne doute pas un seul instant que, sur le plan « politique », le président de la République et son Premier ministre se sont accordés, dans une apparente entente, pour concevoir un futur qui favoriserait le premier et ne reléguerait pas le second, même occupé par la mairie du Havre.
Mais étonnement démocratique, en effet. Les mauvais esprits pourraient soutenir que la pire des choses, pour Édouard Philippe, était paradoxalement d'avoir réussi et de faire apparaître, grâce à ses qualités et à sa pratique, une critique en creux du rôle du Président. Il n'y a aucune raison pour que le nouveau Premier ministre Jean Castex, qu'on accable de manière anticipée en le qualifiant peu ou prou d'ectoplasme, ne soit pas à la hauteur de l'immense tâche qui l'attend, même si son style et son tempérament sont, à l'évidence, aux antipodes de ceux de son prédécesseur.
J'avoue avoir été surpris par son affirmation selon laquelle il a accepté la mission à cause des « circonstances exceptionnelles » que connaissait la France, comme si Édouard Philippe aurait été incapable de les affronter, lui qui, en vérité, n'a jamais bénéficié, durant ses 1.145 jours, de temps calmes et ordinaires.
J'espère que cette incompréhension démocratique, qui nous l'enlève quand il était encore désiré, ne sera pas un handicap pour l'avenir et pour le redressement colossal à opérer sur tous les registres, et l'un de ceux qui m'inquiète le plus relève du délitement de l'autorité de l'État !
Mais puis-je avouer que je me fais du souci pour Édouard Philippe au regard de la frénétique judiciarisation qui s'est mise en branle et qui vise à étiqueter coupables pénalement des comportements, des incuries, des faiblesses, des erreurs dépourvus, semble-t-il, de toute intention maligne.
L'opprobre judiciaire après le saisissement démocratique ?
Le président de la République lui-même, d'une manière peu élégante, avait laissé entendre que la prudence avisée et empirique de son Premier ministre, lors de la gestion de l'épidémie, était liée, sans doute, à la peur de la Justice. Perfidie d'autant plus basse que lui-même était protégé par son statut de Président.
90 plaintes ont été déposées contre le Premier ministre et plusieurs ministres, en cours de pandémie et depuis qu'elle n'est plus dans une phase aiguë. 34 ont été jugées irrecevables, 10 classées et 9 transmises par la Commission des requêtes de la Cour de justice de la République au procureur général près la Cour de cassation François Molins - notre futur garde des Sceaux ? - pour ouverture d'une information contre l'ancien Premier ministre, l'ex-ministre Agnès Buzyn et le ministre Olivier Véran du seul chef d'abstention de combattre un sinistre (223-7 du Code pénal).
Il convient de lire cet article intégralement : le fait de s'abstenir VOLONTAIREMENT de prendre ou de provoquer des mesures permettant sans risque pour soi ou pour les autres de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes...
Il est intéressant de noter que trois autres infractions ont été écartées : homicide involontaire, mise en danger de la vie d'autrui et non-assistance à personnes en danger. Faute d'intention coupable et/ou d'absence de lien de causalité entre l'acte et la négligence initiale reprochée et les morts dénombrés.
Je devine ce qu'une approche rigoureusement juridique va avoir de scandaleux pour un certain nombre de citoyens qui se sentiraient insatisfaits avec l'exclusive affirmation d'une responsabilité politique et sanitaire, mais comblés seulement par la stigmatisation d'une culpabilité pénale.
Cette dernière, pour beaucoup d'extrémistes, devrait se dégager non seulement des modalités intrinsèques du traitement de la pandémie mais de leur lien avec l'indifférence antérieure manifestée peu ou prou par l'État à l'égard des revendications du personnel soignant et du monde hospitalier en fronde durant un an.
Il y a là, dans ce ressentiment, cette indignation sûrs de leur bon droit et aspirant à toute force à une sanction, la principale épreuve à surmonter par la Cour de justice de la République : tenir bon la barre de l'équité et de la justice. Sans concéder au courant dominant et amer d'aujourd'hui, sans craindre les procès intentés par l'ignorance ou, pire, par un vague savoir acharné à crier au scandale.
Il n'empêche qu'il va falloir résister - et je ne doute pas que l'instruction de la Cour de justice de la République saura le faire - à la facilité démagogique d'offrir en pâture à l'opinion publique des personnalités qui n'ont pas tout bien accompli, se sont trompées, n'ont pas usé du bon tempo, ont fluctué mais ont tenté, en honnêteté, de causer le moins de mal possible face à une épidémie si peu limpide et prévisible que les spécialistes eux-mêmes bataillaient à son sujet.
Je ne souhaite m'attacher qu'au sort judiciaire d'Édouard Philippe. Il me semble que celui du ministre Véran, à décharge, ne sera pas éloigné du sien et que, peut-être, seul le comportement ministériel d'Agnès Buzyn pourra prêter à discussion.
Qui peut sérieusement soutenir qu'Édouard Philippe aurait « volontairement » évité de prendre des mesures utiles pour la sécurité des personnes ? Le bon sens devrait suffire pour réduire à rien une telle interrogation.
Mais je crains que nous ne vivions, depuis plusieurs années, dans un climat si étrange sur le plan judiciaire - pulsions populistes, traquenards politiques, ciblages partisans, deux poids deux mesures, indépendance pour l'essentiel banal mais interventionnisme présidentiel, méconnaissance du monde de la Justice - que la tentation soit de compenser ou d'en rajouter : s'en prendre même injustement aux puissants est devenu un sport national et je bats ma coulpe même si j'ai toujours cherché à distinguer mes hostilités politiques de mes appréciations judiciaires.
Il me semblerait honteux, pour l'homme comme pour son attitude politique et professionnelle face à cette crise terrifiante, que la recevabilité des plaintes contre lui entraînât quelque condamnation que ce soit.
Ce serait injuste, absurde, démoralisant.
Qu'après l'incompréhension démocratique l'opprobre judiciaire prenne la relève.
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