Élections annulées en Roumanie : quand l’État rejette le peuple

Călin Georgescu

Pendant qu’Emmanuel Macron recevait Donald Trump à l’Élysée, avant la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame, la démocratie était suspendue, à Bucarest. Le premier tour de l’élection présidentielle a été annulé et tout le pays est étonné par une décision subite et sans précédent.

Le Président français n’a d’ailleurs invité aucun dignitaire roumain à la cérémonie de Notre-Dame, alors que la Roumanie est un pays membre de l’UE et de l’OTAN avec une grande affinité historique pour la France. La République roumaine, un régime semi-présidentiel, ressemble du reste à la Ve République française et l’élection présidentielle s'y déroule en deux tours, comme en France.

C'est l'État qui rejette le peuple

Mais cette année, pour la première fois en trente-cinq ans d’histoire démocratique après 1989, un inconnu, Călin Georgescu, a gagné le premier tour avec 22.94 % des voix, un peu comme Emmanuel Macron en 2017. Mais, alors que Macron était la créature du système administratif — énarque, Sciences Po, banquier d’affaires —, Georgescu est l’alternative populiste au système politique roumain. Călin Georgescu a gâché la fête à Bucarest et a humilié le monde politique roumain.

À commencer par le Premier ministre et candidat social-démocrate Marcel Ciolacu, éliminé au premier tour, qui a dû démissionner de la direction de son parti. Il était pourtant favori dans les sondages, mais il a fini troisième, derrière deux candidats qui ne disposaient pas des mêmes ressources et leviers de pouvoir que lui.

Même humiliation pour le partenaire principal du Parti social-démocrate dans la coalition gouvernementale, le Parti national-libéral — le parti du président de la République Klaus Iohannis. Son chef, le général Nicolae Ciucă, qui était Premier ministre avant Ciolacu et préside désormais le Sénat, a lui aussi tiré les conclusions de sa défaite en quittant la direction de son parti.

Une surprise électorale, donc, et un rejet des grands partis politique de la Roumanie post-1989. Mais en Roumanie, il est impossible de rejeter l’État, une structure primordiale, sempiternelle, presque cosmique. C’est donc l’État qui a rejeté le peuple...

Un crime contre la démocratie ?

Comment qualifier cet événement ? On peut parler d’un « auto-coup d’État ». Cela fait plus penser à Napoléon III ou peut-être aux républiques labiles sud-américaines qu’à la modernité légale des grandes organisations internationales que sont l’UE et l’OTAN. En Roumanie, le pouvoir de l’État qui relie la liberté et la démocratie au passé tyrannique communiste est assuré par les services de sécurité. Il s’agit, pour parler en bon français, du deep state, du CSAT (Conseil suprême de défense nationale). Ce deep state a lancé un auto-coup d’État en faisant des déclarations qui accusaient vaguement les Russes d’avoir essayé (ou d’avoir réussi ?) à influencer l’élection présidentielle. Mais, bien sûr, pas les élections législatives de 1er décembre qui se sont déroulées une semaine après le premier tour de la présidentielle, parce que les législatives ont été gagnées par les grands partis.

Le Conseil constitutionnel a décidé, après quelques hésitations, d’annuler l’élection présidentielle. La Roumanie se retrouve, ainsi, plongée en pleine crise politique, mais beaucoup semblent trouver cette situation normale. Ursula von der Leyen, parlant au nom de l’UE, nous assure que la prévention d’influences malignes est une pratique tout à fait admise, mais elle n’ose pas dire qu’on doit suspendre la démocratie pour la sauver. Et pour ce qui est de l’OTAN, un porte-parole du département d’État américain a fait des déclarations tout aussi vagues.

Les deux candidats mis en tête par les électeurs roumains, Călin Georgescu et Elena Lasconi, ont qualifié cette annulation d’illégitime et de crime contre la démocratie. Mais ces deux personnes sont impuissantes, nues devant le pouvoir de l’État et des grands partis qui promettent la formation d’une grande coalition pour gagner de nouvelles élections démocratiques au printemps. Et si ces forces venaient encore à perdre ?

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Titus Techera
Roumain, chercheur invité au Mathias Corvinus Collegium de Budapest. Signe dans National Review, The Federalist, The University Bookman, Asia Times, The Critic et Modern Age.

Vos commentaires

23 commentaires

  1. C’est un peu comme en France, les gens choisissent majoritairement le RN et le RN est exclu de tout. Si demain le RN devait être gagnant à l’élection présidentielle je suis persuadée que tout serait fait pour trouver une bonne raison d’annuler l’élection.

  2. Je parle souvent du totalitarisme de l’UE, je dis qu’il faut quitter l’UE et l’euro. Je sais que je parle dans le vide. L’URSS renait de ses cendres sous l’habit européen alors que la Russie, elle, s’en est émancipée et fonce vers l’économie du futur. Et pourtant les français sont 98% à vouloir rester dans l’UE, tous les partis veulent y rester notamment le RN. Il est un moment où, trop cajolés et subventionnés, les hommes n’ont plus qu’un seul « courage » ; celui d’obéir. C’est le mal de l’occident qui ne sait plus souffrir, qui a perdu le sens de l’effort et qui s’affole de peur devant un rhume. La vie ne s’embarrasse pas des faibles…

  3. La Russie se serait infiltrée dans cette élection via tick tock..pour le moment c’est un peu comme l’élection de biden  » y’a pas de preuves »..mais alors que dire de l’ingérence de la commission européenne via VDL…avec quelle légitimité?

  4. En lisant « la modernité légale des grandes organisations internationales que sont l’UE et l’OTAN », j’ai failli faire une attaque cardiaque ! …
    C’est vrai que « ça » fait longtemps que ces deux groupuscules ont su prouver au MONDE ENTIER qu’ils étaient pas vraiment comme ils « se présentaient » ! …
    Et après on s’étonne que la décadence est « en marche » partout ! …

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