Emblématique des dérives de l’euthanasie en Belgique, l’affaire Godelieve De Troyer refait surface

Senior vieux coupe main

Dix ans après, le cas de Godelieve De Troyer, femme souffrant de dépression chronique euthanasiée en Belgique, refait surface. Alors que la France s’apprête à suivre les pas de son voisin, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), rendue publique ce 4 octobre, lève le voile sur les nombreuses dérives du modèle belge.

Depuis une décennie, Tom Mortier se bat contre l’État belge pour faire reconnaitre les abus commis lors de l’euthanasie de sa mère. En 2011, Godelieve De Troyer - « atteinte de dépression chronique depuis environ 40 ans », selon la Cour - consulte son médecin traitant pour demander l’euthanasie. Alors que celui-ci refuse d’endosser un tel rôle, la patiente rencontre un autre praticien qui, pour sa part, accepte de l’accompagner sur la voie du suicide assisté. Le 19 avril 2012, Godelieve De Troyer est euthanasiée à l’hôpital public sans que son fils ni sa fille aient été prévenus. Passé la sidération et le traumatisme, Tom Mortier engage une procédure judiciaire contre l’État fédéral. Selon lui, les autorités ont failli à leur devoir de protection de la vie de sa mère, pourtant en situation de grande vulnérabilité. Pour Priscille Kulczyk, chercheur associé au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) qui a travaillé auprès de la CEDH dans ce dossier, « cette affaire illustre parfaitement les dérives de la loi belge sur la fin de vie ».

Promulguée le 28 mai 2002, la loi autorise l’euthanasie lorsque « le patient est majeur, capable et conscient », que « la demande est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée » et que « le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable ». Or, la notion de souffrance psychique est floue et sujette à de multiples interprétations. Dans le cas de l’affaire Mortier, la demande d’euthanasie de Madame De Troyer peut ainsi être interprétée comme le symptôme de sa longue dépression plutôt que comme une manifestation de sa volonté. En effet, comme l’écrit le Comité consultation de bioéthique de Belgique, « le désir de mourir constitue l’un des indicateurs du diagnostic d’une dépression ». Dès lors, la volonté d’euthanasie de la patiente aurait dû être remise en cause par les médecins plutôt que d’être encouragée.

À cela s’ajoute une deuxième dérive. Comme l’indique l’introduction de la CEDH, Madame De Troyer, ayant essuyé un refus de son médecin généraliste de pratiquer l’euthanasie, est allée trouver un praticien plus conciliant. « Cette affaire montre que la loi belge n’interdit pas le "shopping médical", souligne Priscille Kulczyk. Un patient peut réitérer sa demande jusqu’à trouver un médecin favorable, c’est-à-dire un médecin militant ou peu regardant. » Enfin, la CEDH relève à l’unanimité les défaillances du contrôle a posteriori. Au-delà du fait que ce contrôle ne permet pas la protection de la vie puisqu’il intervient après l’euthanasie, il est souvent exercé par des professionnels pratiquant eux-mêmes des euthanasies, voire « membres d’associations militant en faveur de l’euthanasie », soulignent les notes d’observation de l’ECLJ. Il existe donc un réel souci d’efficacité et d’indépendance.

À ces éléments mis en lumière par l’arrêt de la CEDH s’ajoute un certain laxisme législatif. Si la législation belge prévoyait à l’origine de ne réserver l’euthanasie qu’aux adultes et mineurs émancipés, une réforme de 2014 a permis d’ouvrir l’accès aux mineurs « dotés de capacité de discernement » sans limite d’âge. De plus, après vingt ans d’existence, la loi a connu plusieurs interprétations extensives. Désormais, par exemple, « la coexistence de plusieurs pathologies non graves et non incurables remplit l’exigence d’une affection grave et curable », explique Priscille Kulczyk. Si la France s’inspire du modèle belge – comme peut le laisser penser la récente visite d’Olivier Véran au plat pays -, elle « ne pourra plus maîtriser les abus à venir », prévient la chercheuse.

Alors que la France semble s’engager dans cette voie, un chiffre devrait nous interroger : selon un récent sondage, 40 % des Belges se disent favorables pour l’arrêt des soins coûteux des plus de 85 ans. Voulons-nous d’une société qui banalise l’interdit de tuer et se détourne de ses aînés ?

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 06/10/2022 à 11:46.
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Clémence de Longraye
Journaliste à BV

Vos commentaires

37 commentaires

  1. l’euthanasie est une solution très efficace pour le problème des retraites. Derrière les pseudo bons sentiments l’hypocrisie pointe son nez.

    • Je pense que la facilité de la décision peut-être une solution à beaucoup de non-dits et de laissez-faire …

  2. Bien sûr que l’on veut de l’euthanasie, un bon moyen pour se débarrasser de tous ces vieux qui périclitent et meurent à petit feu dans les EHPAD…On économisera leurs pensions…Et pour ceux qui n’y sont pas encore, fixons un âge limite: par exemple 68 ans ?

    • 68 ans, alors, d’après vos préconisations, il y a beaucoup de surnuméraires qui embarrassent les finances publiques …

  3. Personne ne peut juger la décision de cette femme sans avoir marché 100 mètres dans ses chaussures, et surtout pas ses enfants. Juger que sa souffrance n’était pas suffisante pour demander à mourir me scandalise. 40 ans!!! 40 ans de torture morale, puis une décision mûrement réfléchie. Que quiconque se permette de juger, là est le vrai scandale.
    Personnellement, j’irai en Belgique si je deviens dépendante, car je refuse la perte de dignité que constitue une dépendance aux autres. C’est MON choix, et MA liberté. C’est MA dignité qui est en jeu. Je refuse que quiconque vienne mettre son nez dans MES affaires, dans MA vie, et dans MA mort.

  4. « la loi belge n’interdit pas le « shopping médical ». Un patient peut réitérer sa demande jusqu’à trouver un médecin favorable. »
    Mais si un patient réitère sa demande, n’est-ce pas la preuve que sa volonté d’en finir est réelle, et pas juste l’effet d’un coup de blues ???

  5. Même une loi précise et limitative sera, au fil du temps, modifiée pour en accroître la permissivité. C’est la dérive que connait la loi Veil sur l’avortement avec l’allongement du délai et la notion bien floue de détresse sociale qui permet d’éliminer l’enfant jusqu’à la veille de sa naissance…. et bientôt, après?

  6. Poutine a bien raison, l’Occident est en totale décadence, et on se demande jusqu’où tout cela va aller avant que le réveil ne sonne enfin !

  7. Je ne comprends pas certains commentaires et le mot « dérive de l’euthanasie ». Il n’y a pas eu de médecin « conciliant » mais qqun qui a compris les souffrances psychiques d’une femme qui ne supportait plus la vie. Elle a décidé de ne pas en parler à ses enfants et de mettre fin à ses souffrances, c’est son droit. Personne ne l’a poussé à cela, elle n’était ni gâteuse et pour ma part je n’autorise personne à décider pour moi de ce que je fais de mon corps. Et si la vie m’insupporte je m’autorise à la supprimer.

    • Absolument ! Si elle en avait parlé à ses enfants, ils se seraient empressés de la faire interner pour soigner sa dépression !

    • Je suis d’accord avec vous, je suis la seule à décider en la matière, et moi seule connais les raisons de ma décision. Pourquoi n’y aurait-il que la souffrance physique à prendre en compte, la souffrance psychologique est parfois bien pire et elle n’est généralement pas soulagée par la chimie. Je n’impose pas ma position à la population, mais demande seulement qu’on respecte ma décision.

    • Tout à fait d’accord avec vous.
      Ces gens qui s’autorisent à penser pour les autres et vouloir décider à leur place m’exaspèrent.

    • Mais il y a le suicide,pourquoi une loi,pourquoi faire des médecins des criminels?
      On nous bassine depuis des décennies avec les méthodes nazies,ce système diabolique,mais faisons nous mieux?!

    • Ben dit!Ce qui me mets hors de moi ce sont certains médecins qui sont là au début de la Vie, suivent,soignent,retablissent une santé défaillante a un moment,bref « sont bien là!! »certes moyennant finances,mais bon c’est un autre sujet,Par contre a la fin de vie et des souffrances,alors,il n’y a plus personne,Pire ils semblent prendre malin plaisir » » a etre des jusqu’au boutisme »Libérer une femme de son enfantement est une chose,mais alors pourquoi,Libérer un etre humain de ses souffrances,sans pour cela » etre La main mortelle » devient tabou chez eux?

  8. Allons-nous suivre les errements de la Belgique ? Nous disposons d’une loi équilibrée – la loi Léonetti. Personnellement, en tant que responsable de l’aumônerie Catholique d’un hôpital gériâtrique, j’ai accompagné pendant plus de dix ans des centaines de mourants et je ne pense pas qu’un loi sur l’euthanasie serve à autre chose qu’à alimenter un commerce juteux pour des médecins peu regardants. En tous cas, il serait intolérable que l’on ne reconnaisse pas une clause de conscience des soignants dans ce domaine. On voit bien qu’un telle clause est refusée par les militants pro-IVG.

    • La loi Leonetti n’est aucunement respectée par certains médecins cathos . Mon père avait signé une lettre demandant de ne faire d’acharnement. Le médecin l’a totalement ignoré disant qu’il était là pour soigner …. c’est du foutage de gueule complet cette loi.

  9. Il me semble que vous mélangez les problèmes. Les anciens qui sont bousculés sur les trottoirs le sont le plus souvent involontairement, et surtout n’ont pas demandé , eux , à mourir.
    Le diagnostic de « dépression « est vague et recouvre des réalités bien différentes, dont certains cas incurables et atroces .

  10. L’euthanasie pour dépression est une dérive gravissime .
    Ce projet est effrayant et en effet montre que l’on veut de toute façon se débarrasser des Anciens ..
    C’est plus rapide et plus propre que de se contenter de les faire tomber en trottinette quand ils marchent paisiblement sur les trottoirs .

  11. Notre Europe est moribonde mais n’a pas besoin de Médecin pour l’aider à mourir.
    Ce n’est pas l’interdit de tuer qui devient banal mais au contraire la peine capitale accordée aux hommes qui souffrent trop.

  12. Dans un pays où la peine de mort a été abolie pour les assassins la voilà en voie de création pour les malades. Un comble au pays des Lumières.

  13. Les lois de bioéthiques votées par les néo socialistes progressistes s’attaquent aux processus de la vie, de la reproduction et de la mort , tels que la nature les a développés depuis la création …. autrefois domaines réservés des médecins et des religieux , les politiques se sont emparés de ces sujets pour satisfaire aux caprices du temps présent …

  14. Pourquoi vivre quand on est malade, sans espoir de retrouver une vie normale ? rester couché sur un lit d’hôpital durant un temps indéfini vaut il la peine de rester en vie ? choisir de mourir ou vivre fait partie de la liberté de chacun.

    • D’accord avec vous. Pourquoi devrions nous accepter de souffrir ? Au nom de quoi doit on être cloué et souffrir sur un lit ? Si pour vous c’est ça la vie, alors nous sommes irréconciliables. Donnez aux candidats de bonnes raisons de vivre et vous arrêterez les suicides.

    • Vous serez traînée en Justice si vous ne tentez pas de secourir la personne qui veut sauter d’un pont et c’est normal.

    • C’est pour cette raison que le cas par cas me semble convenir à ces situations. Une loi banalisera la liberté de mourir.
      L’avortement n’est-il pas banalisé? Nous sommes dans une société en perdition dont nous sommes les acteurs.

      • Bien sûr, vous avez totalement raison.
        L’IVG est encouragée…. banalisée, et pourtant c’est sur un autre être que nous même qu’elle est perpétrée. Qu’on nous laisse tranquille avec notre décision pour notre propre vie.

    • Voilà ce que m’avait dit une vieille dame du temps où je travaillais en Soins Palliatifs.
      (Elle était devenue paraplégique.) =

      « Je remercie Dieu de m’avoir clouée sur ce fauteuil! Cela me permet d’avoir le temps de prier pour les autres ».

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