Emmanuel Le Roy Ladurie : l’Histoire a rappelé à elle l’un de ses représentants

leroy ladurie

L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie vient de nous quitter à 94 ans. Issu d'une famille catholique et bourgeoise de Normandie, son grand-père, lui aussi prénommé Emmanuel, était officier et fut destitué en 1902 pour avoir refusé de participer à la fermeture des écoles des congrégations catholiques ouvertes avant 1901. Son père, Jacques Leroy Ladurie (1902-1888), fut quelques mois ministre de l'Agriculture du maréchal Pétain.

Emmanuel Leroy Ladurie, normalien, agrégé d'histoire, devint directeur d’étude à l'École des hautes études en sciences sociales, professeur à l’université Paris VII et au Collège de France. Il était le dernier représentant de la seconde génération de l’École des Annales ainsi qu’une figure de la Nouvelle Histoire des années 1970 qui avait profondément renouvelé l’historiographie française en promouvant son interaction avec d’autres disciplines des sciences humaines. Ses thèmes de prédilection furent l’histoire économique et sociale du monde rural ainsi que l’histoire du climat et de l’environnement. Disciple de Fernand Braudel, il fut un pionnier de l’analyse microhistorique. Au travers de son œuvre la plus connue, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 (1975), deux millions d’exemplaires vendus, il s’est rapproché de l’anthropologie historique, annonçant une pratique devenue courante aujourd’hui. Mais il se fit surtout connaître par sa contribution à l’histoire du climat à travers ses études de phénologie. Il fut aussi chroniqueur au Monde, au Nouvel Observateur, à L’express ou au Figaro littéraire. Passionné et actif, il continuait encore jusqu’à récemment à rédiger des articles, à donner des interviews et des conférences.

Politiquement, il a eu un parcours intéressant et assez représentatif de cette génération d’historiens. Jeune, il était engagé très à gauche, à l'opposé de son milieu familial, au Parti communiste français en 1949 (collaborant à Clarté, journal des étudiants communistes), avec lequel il rompit en 1956 suite à l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques, puis au Parti socialiste unifié (PSU). Favorable à l’indépendance de l’Algérie, il verra son domicile subir un attentat de l’OAS en 1962. Par la suite, à l’instar de ses collègues François Furet et Alain Besançon, il reniera ses années communistes, notamment dans son ouvrage Les Grands Procès politiques ou la Pédagogie infernale (2002). Il évoluera ensuite vers la droite libérale, rejetant le mouvement de Mai 68 qui lui inspirera un « profond dégoût », intégrant le Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés en 1978, s’opposant à l’instauration du PACS en 1999 et soutenant la candidature de Nicolas Sarkozy en 2012. En 1979, il signera également la déclaration rédigée par Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet pour contrer la rhétorique antisémite de Robert Faurisson. Par son simple parcours, il démontrait ainsi que l’on peut toujours sortir d’un engagement idéologique et qu’il existait bien des intellectuels de droite. Enfin, il intervint souvent dans les débats sur le climat, notamment aux côtés du GIEC.

C’est donc non seulement un éminent historien mais aussi un homme de culture, d’action et de conviction qui est parti. Il ne dissimulait d’ailleurs nullement son scepticisme sur l’idée d’un avenir radieux : « Je suis inquiet pour mes enfants et mes petits-enfants au siècle qui vient », disait-il en 2009. Actuellement, plus encore, il devient difficile de lui donner tort.

Emmanuel Leroy Ladurie était grand officier de la Légion d'honneur et grand-croix de l'ordre national du Mérite.

Florent de Prévaux
Florent de Prévaux
Docteur en Histoire, enseignant, rédacteur, conférencier.

Vos commentaires

9 commentaires

  1. J’ai lu et relu de nombreuses fois son « Histoire du climat depuis l’an mil », toujours avec le même plaisir. Lecture longue et assez ardue d’un travail extrêmement documenté.
    J’ai cependant été fort déçu par la préface de la dernière édition, qui fait allégeance au « jiyek » par souci de conformisme, alors que tout y est en contradiction avec ses propres observations. Dommage… Paix à son âme.

  2. Un bel esprit et un historien éclairé, mais ses dernières années avec le Sarkozy et le GIEC font tache….La vieillesse est un naufrage, disait l’autre.

  3. Clairvoyant sur l’avenir du pays, mais aveugle quant aux réelles intentions de son protégé manipulateur et narcissique. Un homme de convictions, sans idéologie, ce qui est rare au Parti Socialiste. C’était peut-être le dernier.

  4. Son histoire du climat est absolument remarquable et met à mal les thèses réchauffistes anthropocentrées du GIEC.

    • Exact il relate les changements du climat sur le long terme historique , les Viking ont découvert l’Amérique en passant par les routes maritimes prés du cercle polaire , ils faisaient pousser des vignes , et à l’époque la pollution humaine n’était pas celle de nos jours .

  5. Nous sommes nombreux à nous associer à l’inquiétude formulée par ce grand personnage qui vient de nous quitter quand il disait: « Je suis inquiet pour mes enfants et mes petits-enfants au siècle qui vient ». Condoléances à sa famille et à ses proches.

  6. Un gauchiste peut retrouver la vue , il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis . Un grand homme qui , comme nous , a vu son pays se détériorer et qui craint pour ses descendants .

    • Oui bien entendu des éloges multiples, mais aussi son soutient à Sarkozy celui qui a trahi le vote des français sur la constitution européenne !

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois