Emmanuel Macron a fait triompher la nuance. Pourra-t-il la sauver face à l’urgence ?
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Louise Labbé, une grande poétesse, disait que le grand bonheur, après l'amour, était d'en parler.
Puis-je oser dire qu'après le vote et la victoire - quel qu'ait été son choix de citoyen -, la volupté est de les expliquer, les analyser ?
L’un des enseignements, décisif puisqu'il éclaire le ressort profond de l'avancée irrésistible d'Emmanuel Macron, est un paradoxe : Emmanuel Macron a fait triompher la synthèse et la nuance alors qu'en général, cette disposition d'esprit et ce type d'oralité semblent totalement contradictoires avec le manichéisme, paraît-il obligatoire, des joutes partisanes.
Pourtant, il n'y a pas d'intelligence authentique qui ne soit complexe et pluraliste, ou qui accepterait de se priver de l'appréhension d'une partie de la réalité en se félicitant d'une approche sommaire, péremptoire, considérée alors comme la rançon inévitable d'un dialogue réussi avec le peuple.
Pourtant, Dieu sait que beaucoup de sectaires, ne se retrouvant plus dans un paysage simpliste et caricatural, se sont moqués d'Emmanuel Macron et de ses nombreux "en même temps", qui n'étaient pas l'expression d'une volonté de récupération mais d'une plénitude refusant d'abandonner le moindre argument, la plus petite pierre sur le bord du chemin, hors de l'édifice construit par le verbe en mouvement.
J'ai pu constater ce malentendu, en particulier dans l'espace médiatique, quand le candidat reliait la diversité au refus du multiculturalisme - lien logique pourtant et contradiction nécessaire - et que les journalistes de Mediapart, par exemple, étaient dépassés par une globalité cohérente alors que leurs préjugés et leur idéologie auraient rêvé d'une parcellisation étriquée.
Le contre-exemple est à tirer des rares propos immédiatement incompris d'Emmanuel Macron - sur la colonisation et la culture française - qu'il a dû compléter et préciser dès le lendemain. Il avait divisé malencontreusement ce que pratiquement toujours il réunit.
En effet, tout au long de sa campagne, dans les dialogues et confrontations médiatiques comme dans les réunions et les manifestations d'envergure, son écartèlement entre l'aspiration déçue à un verbe tribunicien et la réalité de sa parole de partage et d'empathie ont entraîné des conséquences positives, très heureuses pour sa stratégie.
Avec, il est vrai, la chance d'avoir au second tour une adversaire abusant d'un volontarisme sans substance et d'injonctions visant à déguiser, avec du tonitruant ou de la moquerie, le vide conceptuel.
Si Emmanuel Macron avait été naturellement un tribun, comme ceux plus rares qu'on ne pense que l'Histoire de France a fait surgir - pour aller vite, Danton, Mirabeau, Gambetta, Jaurès, Mitterrand ou Mélenchon -, sa pensée, par tactique, se serait appauvrie et la force incantatoire de l'expression aurait mis à bas les nuances et les contradictions, richesse d'un esprit délié de l'obligation d'être hémiplégique.
Parce qu'il n'a pas été un tribun, Emmanuel Macron n'a jamais été condamné à sacrifier cette "menue monnaie" de l'argumentation mais à tenir compte de tout.
Sa parole, même dans les moments intenses, était plus inspirée par le souci d'aller sans apprêt au vrai par tous les chemins et par une proximité élégante et convaincue. Du coup, il a pu, se servant d'un outil adapté à son être et à sa vision, ne rien laisser de côté mais tout intégrer à son verbe soyeusement totalitaire.
Ma seule interrogation après cette victoire tout de même éclatante, malgré les 16 millions de citoyens ayant refusé l'offre politique ou le civisme lui-même, portera sur la capacité du Président Macron, face à la réalité qu'il va devoir affronter en France, en Europe et dans le monde, à savoir maintenir ou non l'impérieuse nécessité de la nuance.
Contre toutes les brutalités qu'imposent l'urgence de l'action et l'action de l'urgence.
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