Emmanuel Macron n’estime les travailleurs que lorsqu’ils sont rentables

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On se souvient du commentaire de notre Président en Corrèze, en octobre 2017, volé par une caméra indiscrète. Devant Alain Rousset, le président de la Nouvelle-Aquitaine (qui se garda bien d’approuver), il lança : "Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas, parce qu’il y en a qui ont les qualifications pour le faire et ce n’est pas loin de chez eux." Cette réflexion suscita un tollé : les ouvriers en grève pour la survie de leur entreprise se sentirent insultés ; l’opposition dénonça « un mépris de classe ».

Un Président ne devrait pas dire ça, fût-ce dans une conversation officieuse. Ce n’est pas la première fois qu’il étale ainsi son mépris pour les petites gens. Rappelez-vous comment, inaugurant un campus géant dédié aux start-up, il déclara : "Une gare, c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien." On connaît sa tendance naturelle à considérer les riches comme des "premiers de cordée" et les plus modestes comme des "fainéants", des "illettrés" ou des chômeurs "multirécidivistes". Comme si l’épaisseur du portefeuille était le summum de la valeur humaine.

Selon la réglementation actuelle, difficile à appliquer, le demandeur d’emploi ne peut refuser plus de deux fois une offre, sous peine de sanctions, si le lieu de travail est à moins de trente kilomètres, ou une heure de transports en commun, et la rémunération égale à 95 %, puis 85 % du salaire précédent. Dans la cadre du contrôle des chômeurs, Emmanuel Macron et le gouvernement se proposeraient d’adapter la définition d’une offre "raisonnable" d’emploi. Il s’agirait de personnaliser les critères au cas par cas, selon la quotité horaire, le secteur d’activité, la zone géographique. Quant au seuil de rémunération, il pourrait descendre jusqu’à 80 %, voire 75 % du salaire de l’ancien poste.

On pourrait se féliciter qu’un gouvernement, soucieux de faire régresser le nombre de chômeurs et le coût du chômage, rendît les règles plus sévères tout en tenant compte des cas particuliers. Cependant, les mesures envisagées illustrent une conception plus technocratique qu’humaine du travail. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter au premier principe du Socle européen des droits sociaux, signé par les institutions européennes et les chefs d'État et de gouvernement, le 17 novembre 2017 : "Toute personne a droit à une éducation, une formation et un apprentissage tout au long de la vie, inclusifs et de qualité, afin de maintenir ou d'acquérir des compétences lui permettant de participer pleinement à la société et de gérer avec succès les transitions sur le marché du travail."

Selon cette conception, le premier objectif d’une société, son but ultime, sa valeur suprême, ce n’est même pas le travail, c’est la production et la consommation. Macron est dans cette droite ligne : il veut mettre le paquet sur la formation continue, considère les travailleurs comme jetables, à défaut d’être adaptables. Certes, il faut acquérir de nouvelles compétences. Encore convient-il se demander s’il ne vaudrait pas mieux une solide culture générale, y compris dans le domaine technique, plutôt qu’une course continuelle aux compétences, pour s’adapter aux nouveaux métiers.

Dans son esprit, l’important, c’est de trouver des bras ou des cerveaux pour les besoins du marché. Peu lui chaut d’où ils viennent et où ils travaillent. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’il méprise les hommes qui ne rapportent rien.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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