Emmanuel Macron seul face à la rue : son entourage a raison d’être très inquiet

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Il est toujours bon d'écouter ceux qui ne pensent pas comme vous : ma belle-sœur et Le Monde, par exemple. La réciproque devrait être plus systématique aussi. Tout le monde s'en porterait mieux. Donc, Le Monde. Après les éditoriaux de complaisance pour le pouvoir et la décision du Conseil constitutionnel, ce samedi matin, une petite voix discordante, celle de Solenn de Royer : « Passe sanitaire : le Président seul face à la rue, une stratégie périlleuse. »

Je fais partie de ceux qui, au-delà du débat sur la vaccination et le périmètre d'extension du passe, ont été stupéfaits de la décision d'Emmanuel Macron, le 12 juillet. Sur le fond et sur la forme, il précipitait de nouveau le pays dans un état de tension dont nul n'avait besoin. Pour moi, c'était clair, il remettait « le feu ». Le faisait-il exprès ? Ma question était purement rhétorique, comme le confirment les différents off des gens bien informés, jusqu'à Solenn de Royer : « Une posture qui le sert en partie. "Face à la rue, il est comme un poisson dans l’eau", observe Jérôme Sainte-Marie, de PollingVox, selon lequel le Président aurait un "intérêt pratique" à mettre en scène cette confrontation. [...] C’est aussi un moyen pour lui de se poser comme l’homme de la raison et du progrès face à des forces présentées comme conservatrices, voire obscurantistes. "Dans ce face-à-face, il a clairement l’avantage", résume M. Sainte-Marie. De fait, Macron l’alimente. » Merci de le confirmer.

Toutefois, passé les truismes sur l'habileté de cette stratégie de la tension, les observateurs interrogés par Le Monde pointent plusieurs risques majeurs qui devraient davantage inquiéter l'Élysée et la majorité et qui pourraient se retourner violemment contre Emmanuel Macron :
- l'extrême personnalisation du conflit, centrée sur le Président qui n'est plus protégé ni par un Premier ministre fusible, ni par des corps intermédiaires soit soumis, soit piétinés : « C’est après lui qu’ils en ont », résume M. Fourquet ;
- le retour des pages sombres des affrontements antérieurs : les « rodomontades » de 2017 (« Qu'ils viennent me chercher ! »), la fuite précipitée du Puy-en-Velay en 2018. En fait, rien n'est oublié, et il suffit d'une piqûre de rappel pour que ces lignes du CV d'Emmanuel Macron se remettent à clignoter en rouge.

Cette stratégie de la tension lui assure le soutien de ce fameux « cercle de la raison » devenu, depuis le 12 juillet, celui du passe sanitaire. Macron fait le pari que le mouvement n'aura aucun débouché politique et que, sans opposant d'envergure, il sera réélu. C'est aller vite en besogne. D'une part, sa majorité pourrait demander des comptes à ce pyromane qui, non content d'avoir déjà le feu à la grange (l'épidémie plus quelques autres gros dossiers : insécurité, immigration, économie à terre), se plaît à l'allumer délibérément dans la bergerie. Surtout si le feu s'étend, comme le montre ce quatrième samedi de manifestations. D'autre part, c'est oublier que, même s'il était réélu par défaut, ce nouvel épisode de mépris et d'autoritarisme constituerait un nouveau boulet qui resurgirait, comme les précédents, à la moindre fièvre sociale. Nous ne sommes plus dans un processus d'atomisation et de dispersion des luttes mais d'accumulation : s'il n'a pas la révolution avant 2022, il pourrait bien la subir après.

Solenn de Royer insiste sur les dangers de cette stratégie de la tension qui commencerait à inquiéter vraiment jusque dans l'entourage du Président : « Au sein de la majorité, certains regrettent mezzo vocce que le Président tende au lieu d’apaiser. Et font valoir qu’avec les foules, on sait comment ça commence, jamais comment ça finit. Autrement dit, jouer avec la rue, c’est jouer avec le feu. »

Le feu... Tiens, si Le Monde se met, même avec trois semaines de retard, à en faire son dernier mot, tout espoir n'est peut-être pas perdu sur la capacité du cercle de la raison à avoir quelques éclairs de lucidité. Dans l'immédiat, le Président a mis le feu et il joue avec. Oui, il y a de quoi être inquiet...

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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