Entre l’héroïsme du colonel Beltrame et les revendications pour l’APL, Emmanuel Macron a introduit une juste hiérarchie

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J'ai vu en replay, sur France 3, le documentaire "La Fin de l'innocence", consacré à la première année du président de la République.

Il y a de l'hagiographie, il y a la banalité de beaucoup de commentaires avec rarement une pépite à retenir, par exemple celle d'Alain Duhamel : "La seule manière de lutter contre l'égalitarisme est de favoriser l'équité."

Il y a surtout l'extrême intelligence d'Emmanuel Macron qui, dans sa relation avec quelqu'un qui ne lui veut pas de mal - c'est un euphémisme -, multiplie les profondeurs politiques et les bonheurs d'expression. Ce constat n'interdirait pas d'être en désaccord quant au fond avec lui mais ne fait que confirmer son originalité : il est un intellectuel opératoire et il dirige la France pour tenter de complaire - même si être aimé n'est pas son objectif - à ce peuple tout imprégné "d'aristocratie égalitaire", et qui aspire à tout et son contraire.

Le Président fait aussi le désespoir des journalistes. En effet, il est bien plus passionnant d'entendre son commentaire sur ses propos et ses actions que de supporter des évidences que tout citoyen intéressé par la chose publique pourrait formuler.

Aucun exemple ne me semble meilleur pour illustrer l'incompréhension au moins immédiate que suscitent certaines de ses fulgurances à la fois stimulantes et intrépides, voire dangereuses : quand notamment, dans un extrait à écouter attentivement, il relie l'héroïsme du colonel Beltrame au combat qu'il juge médiocre de "ceux qui pensent que le summum de la lutte, c'est les 50 euros d'APL".

Au premier degré, cette connexion a suscité une indignation dont le caractère n'a pas dérogé aux procès habituels intentés au Président : il est le Président des très riches, arrogance et mépris de classe, indifférence à l'égard des modestes... Force est de reconnaître que, pour peu qu'on ait des préjugés et des partialités enkystés, cette interprétation vient vite à l'esprit et empêche qu'on s'interroge sur le sens profond du lien qu'il établit entre le sacrifice du colonel et la revendication sociale, en l'occurrence minime mais de nature à peser sur des budgets à un euro près.

Si on consent à dépasser l'approche basique, celle dans laquelle tombe par exemple Alexis Corbière, si friand des dénonciations réflexes, on a le droit d'approuver la teneur de cette parole présidentielle qui nous contraint à mettre en cause lucidement le "relativisme absolu" de nos espaces politique, syndical, culturel et médiatique. Cette propension à ne savoir rien hiérarchiser et à appréhender avec la même tonalité et une intensité équivalente le conjoncturel d'une polémique locative d'un côté et, de l'autre, l'honneur et le courage d'un comportement admiré par la France entière. Tout est trop souvent mêlé, du grotesque au sublime, de sorte que le premier semble parfois magnifié et le second banalisé.

Ce serait sous-estimer Emmanuel Macron que de le croire capable et coupable d'une dérision aussi choquante si on ne s'attache qu'au second terme du raisonnement sans lui prêter la capacité, avec le premier terme, d'introduire finesse, cohérence et, selon moi justesse, remettant les idées et les comparaisons en perspective.

Il fallait seulement oser et ce président de la République ose tout, et pas seulement par le verbe. Si on élimine François Hollande, on est passé, de Nicolas Sarkozy à lui-même, d'outrances parfois incontrôlées à des provocations maîtrisées parce que destinées à enfoncer des coins dans le mur du politiquement et socialement correct.

Le sacrifice du colonel Beltrame, tel que le définit le Président, nous enseigne une vision épique et héroïque de la France, plus authentique que toutes les chicayas partisanes.

Le principe qu'il me plaît de dégager des paradoxes "macroniens" est qu'ils exigent d'être appréhendés, pour être véritablement compris et perdre leur parfum de scandale, par des esprits délaissant leur surface pour s'aventurer dans leurs profondeurs. Discutables quelquefois, étonnantes souvent, à rebrousse-poil aussi.

Mais jamais bêtes.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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