[ENTRETIEN] « 15 % de fraudes à l’arrêt maladie est une fourchette basse »

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Gabriel Decroix. Le directeur général de l’assurance maladie vient d’annoncer qu'il avait découvert 81.000 fraudeurs aux arrêts de travail. Vous parlez de 15 % de fraudes à l’arrêt maladie dans la fourchette basse. Les résultats des contrôles donnent le double : 30 %. Où est la réalité?

Charles Prats. Les évaluations effectuées il y a quelques années par des cabinets spécialisés, tenant compte des résultats des contrôles effectués auprès des salariés, amenaient à cette estimation de 15 %. Les chiffres donnés cette semaine par le directeur général de la CNAMTS concernent des salariés « ciblés » en amont, c’est-à-dire présentant un profil à risque. Il n’est donc pas étonnant d’aboutir à 30 % de taux d’arrêts injustifiés.

Par construction, les contrôles sont opérés par des médecins différents de ceux qui ont délivré les arrêts. Ce sont les médecins du service de contrôle médical de la CNAMTS.

Cela étant, il faut faire attention, car parfois le caractère injustifié n’est pas avéré. J’ai en tête l’exemple ces jours-ci d’une journaliste en soins pour les suites d’un cancer et placée en mi-temps thérapeutique qui s’est vu interrompre son arrêt partiel ! On espère que les contrôles ne sont pas menés en ce moment simplement pour faire du chiffre mais ciblent vraiment les fraudes… Ce travail ne relève pas de l’Ordre des médecins mais des services anti fraude de l’Assurance Maladie qu’il convient de soutenir et renforcer.

G. D. Les fraudes fiscales sont supérieures aux fraudes sociales (80 à 100 milliards, contre 15 milliards) et certains reprochent à l’État, ou même à vous, de mettre un point d’honneur à la lutte contre la fraude sociale. Que leur répondez-vous ? Est-ce parce qu’il est plus facile de s’attaquer à la fraude sociale ?

C. P. Ces chiffres sont faux. La fraude fiscale réelle se situe plutôt autour de 30 milliards d’euros annuels. L’évaluation de 100 milliards est celle d’un syndicat marqué à la gauche extrême, qui reconnaît lui-même « évaluer » ce qu’il nomme les « manquements fiscaux », donc la fraude mais aussi les erreurs et les divergences d’appréciation entre les contribuables et l’administration, qui aboutissent souvent à la sanction de cette dernière par le juge administratif. Bercy indique d’ailleurs dans ses rapports que les dossier de « fraude » fiscale ne concernent qu’un tiers des redressements fiscaux.

Il faut donc tordre le cou à cette propagande qui ne vise qu’à exonérer les auteurs de fraude aux prestations sociales en cherchant à minimiser ce phénomène pourtant massif. Je rappelle que la Cour des comptes avait révélé que nous avions 75,3 millions d’assurés sociaux pris en charge pour 68,1 millions d’habitants en France…

Les derniers travaux d’évaluation des fraudes aux prestations sociales menés par la CNAF et la CNAMTS démontrent qu’on s’approche d’un chiffre officiel de taux de fraude proche de 5 %, un chiffre évidemment encore approché par le bas. Nous dépensons près de 900 milliards d’euros de prestations chaque année. Faites le calcul…

G. D. En 2019, un rapport parlementaire avait révélé les résultats d’une enquête à la fraude sociale sur les retraités établis en Algérie. La généralisation des échanges d’information automatique d’état civil, comme c’est déjà le cas dans d'autres pays européens, permettrait-elle de résoudre le problème?

C. P. L’affaire des retraités décédés en Algérie continuant de percevoir une pension avait été révélé il y a près de 15 ans par la présidente de la 6ème chambre de la Cour des comptes dans une audition à l’Assemblée Nationale. Le sujet est réel, l’enquête d’Excellcium l’ayant démontré. Mais l’enjeu financier ne représente pas des milliards d’euros. Il est cependant symbolique du fait que des fraudes organisées depuis l’étranger gangrènent notre système de protection sociale.

Des efforts ont été réalisés ces dernières années, il faut les poursuivre.

Mais au-delà, c’est l’état d’esprit des services de contrôle qu’il faut changer et c’est, plus globalement, tout le dispositif qu’il faut repenser pour changer les paradigmes et tendre vers plus d’efficacité. Ce sera le rôle du nouveau gouvernement. Gageons que les députés et sénateurs UDR, RN, LR mais aussi Union Centriste seront vigilants sur la politique de lutte contre la fraude sociale menée par Michel Barnier. Je le sais sensible à ces questions pour avoir travaillé avec lui sur ces sujets en 2021. Les décideurs politiques connaissent mes préconisations, à charge pour eux de les parfaire et de les mettre en œuvre.

Gabriel Decroix
Gabriel Decroix
Étudiant journaliste

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  1. Pendant vingt ans, en complément de mon activité de médecin généraliste libéral, j’ai travaillé pour trois entreprises de contrôle d’arrêt maladie, à raison de un ou deux contrôles par semaine voire moins, je n’ai pas tenu de statistiques sur le sujet mais grosso modo j’ai constaté effectivement 30 % d’arrêts injustifiés, 30 % d’absence lors du contrôle, le reste étant justifié.
    Le dernier exemple avant que je cesse cette activité, stressante; menacé avec un fusil par exemple, était celui d’une femme de 25 ans qui avait consulté en un an 17 médecins différents qui avaient délivré 50 arrêts maladie en UN AN, le motif était que le matin elle était dérangé par un syndrome diarrhéique sur son lieu de travail; une entreprise de secrétariat téléphonique. J’ai donc estimé que son AM était injustifiée notamment parce que elle pouvait travailler l’après-midi et le soir……..un autre exemple un jeune de moins de 30 ans devait rejoindre un autre lieu de travail; délocalisation en France de son entreprise, avec la même fonction le même salaire, mais il devait quitter sa maison et ses chiens; motif de l’AM …….le fait est que le médecin traitant délivre un AM parfois par clientélisme, je reconnais que c’est parfois difficile de refuser mais je l’ai fait plus d’une fois sans état d’âme.

  2. La fraude à la CPAM ou à la CAF : un sujet que nos « courageux « politiques se gardent bien de faire contrôler VRAIMENT
    pour l’avoir vécu : seul le « pequin » qui travaille (en CDD) est carrémment harcelé pour des INDUS, générés par ces administrations INTOUCHABLES (IDEM la CARSAT retraites )

  3. Quand j’ai lu le « Cartel des Fraudes II » j’ai bien enregistré ce qu’écrivait Charles Prats, et surtout quand on découvre que des documents expliquant les fraudes circulent à Bercy ou au Conseil d’État. Ce Magistrat mériterait une place dans un ministère ou secrétariat d’État.

  4. La chasse à la fraude ( toutes les fraudes ) devraiet être une priorité , cela représente des milliards . Quand aux paiements des retraites à l’étranger , on arrête de payer ceux qui les refusent .

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