[Entretien] Emmanuel Lynch : « L’UE est une construction politique avec les grandes caractéristiques de l’Empire »

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Emmanuel Lynch est ingénieur, économiste et historien de formation, auditeur de l’Institut des hautes études de Défense nationale. Il entend esquisser, dans son ouvrage publié en 2021, La Nation face à l’Empire (ML Éditions), une voie pour que « la France recouvre sa liberté » dans une « Europe réconciliée avec son Histoire et sa Culture ». Ses livres, publications et articles sont disponibles sur le site du mouvement France Libre Vraie Europe.

À la lumière de l'actualité internationale (ukrainienne) mais aussi nationale (migratoire), Emmanuel Lynch montre que l'Union européenne est à la fois empire et vassal.

Gabrielle Cluzel. Dans votre livre La Nation face à l'Empire, vous développez l'idée d'un retour des empires dans le paysage géopolitique. Mais quand l'Europe ou les États-Unis sont vent debout pour l'Ukraine, ne s'agit-il pas là de la défense d'une nation, l'Ukraine, contre la défense d'un empire - la Russie - qui veut étendre son hégémonie ? 

Emmanuel Lynch. Dans un article nommé « Ukraine : vers un nouvel affrontement des Empires ? » datant de mars dernier, je montre que l’Ukraine a été dans son histoire la proie des empires. Dans la situation d’aujourd’hui, deux empires veulent intégrer l’Ukraine. Le premier empire, qui a multiplié les accords avec l’Ukraine en perspective d’une adhésion, est celui de l’Union européenne dont j’ai démontré la nature impériale dans La Nation face à l’Empire. Le deuxième est celui de la Fédération de Russie qui, à la chute de l’Empire soviétique, a repris l’emblème de l’aigle bicéphale, le symbole de l’Empire russe hérité de l’Empire romain d’Orient qui avait aussi symbolisé le Saint-Empire romain germanique.

Même si la Fédération de Russie est devenue un « empire rétréci » à la chute de l’Empire soviétique, devenant alors de plus en plus une nation et de moins en moins un empire, les grandes caractéristiques de l’empire sont rassemblées, dont la principale : le gouvernement de plusieurs peuples et nations. Prenons un exemple. La République tchétchène est une république constitutive de l’État fédéral et sujet de la Fédération de Russie. Les Tchéchènes possèdent la citoyenneté fédérale mais ne sont pas à proprement parler russes sur le plan ethnique, culturel ou religieux. La question de la Crimée ou de certaines régions orientales de l’Ukraine est sensiblement différente puisque c’est la logique de nationalité qui sert de justification au pouvoir pour intégrer des populations considérées comme russes dans la Fédération de Russie, quitte à ce que ce soit par la force et en violation du droit international.

Le fait qu’il existe bien une nation ukrainienne est attesté historiquement. Le choix fait par une partie de la communauté chrétienne de rejoindre l’Église catholique romaine au XVIe siècle en est une illustration. Mais l’Ukraine est aussi une terre fracturée, sur le plan linguistique et religieux par exemple, mais aussi sur le plan politique, comme l’a montré son histoire au XXe siècle. La situation d’aujourd’hui est que l’État ukrainien, en tant qu’État souverain, a disparu, largement dominé par des logiques souvent mafieuses (rendant par ailleurs très difficile pour les entreprises occidentales d’y investir), d’une part, et en conséquence d’ingérences étrangères, d’autre part, qu’elles soient russes ou américaines. Prenons, à titre d’exemple, le choix de Natalie Jaresko, une Américaine ayant travaillé pour le Département d’État, pour devenir ministre des Finances en Ukraine et qui a obtenu la citoyenneté ukrainienne le jour de la prise de ses fonctions, montrant à quel point une nation comme les États-Unis peut avoir un comportement impérialiste en s’immisçant dans les affaires d’un autre État.

Le rôle des États-Unis est prépondérant dans cet espace géographique pour une raison assez simple tenant aux intérêts géopolitiques américains que l’on peut découvrir dans Le Grand Échiquier, l’Amérique et le reste du monde publié par Zbigniew Brzeziński en 1997, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Jimmy Carter. Il s’agit, pour les États-Unis, d’endiguer (contain, en anglais) l’influence russe et, plus largement, de bloquer l’unification continentale éventuelle de l’Eurasie, une politique ayant ses racines dans la pensée du géographe britannique Mackinder et plus anciennement dans la politique des Bourbons de France qui luttaient farouchement contre l’unification impériale continentale.

L’investissement militaire actuel piloté par les États-Unis, soutenus par les Britanniques, ennemis historiques de l’Empire russe, et par l’empire de l’Union européenne, répond à des intérêts géostratégiques précis. Dire que le conflit ukrainien est la défense d’une nation contre l’empire de la Fédération de Russie est une simplification grossière visant à justifier, entre autres, le comportement impérial de l’empire de l’Union européenne. Il s’agit d’une guerre par procuration dictée par une volonté de puissance et, d’une certaine manière, d’un affrontement des empires là où le rôle des nations européennes devrait être de faire taire les armes et d’aider à la reconstitution de l’Ukraine en tant qu’État souverain, libre et indépendant face à un voisin encombrant.

G. C. À vous lire, l'Union européenne - et non l'Europe, le distinguo est nécessaire - serait, elle aussi, un empire. Et pourtant, on entend aussi communément que cette Union européenne serait « un vassal » des Américains. Empereur ou vassal, il faut choisir, non ?

E. L. L’Europe est d’abord une réalité historique et culturelle. L’Union européenne est pour sa part une construction politique qui partage les grandes caractéristiques de l’empire dont un gouvernement organisé de plusieurs peuples et nations, une logique d’expansion territoriale dont témoigne la volonté d’absorber l’Ukraine, une continuité géographique de l’empire sans laquelle aucune autorité commune n’est vraiment possible, une citoyenneté commune donnant des droits et des devoirs aux citoyens de l’empire et, enfin, une idéologie généralement traduite par une « mission universaliste et une promesse d’éternité ». Je ne crois pas que la puissance soit la caractéristique fondamentale de l’empire. Le Saint-Empire romain germanique n’avait pas pour caractéristique principale la puissance alors que la France et le Royaume-Uni, des nations, furent pour leur part très puissantes. Dans mon ouvrage La Nation face à l’Empire, je démontre que l’Union européenne est plutôt une « hypo-puissance impériale », alors que je qualifierais plutôt les États-Unis d’« hyper-puissance nationale ». Pour atteindre leurs objectifs, les États-Unis utilisent tout ce qui se trouve à leur disposition. C’est la raison pour laquelle les États-Unis ont appuyé, après la Deuxième Guerre mondiale, ladite « construction européenne ». En ce sens, oui, l’Union européenne est à la fois empire mais aussi un vassal.

G. C. On voit la paralysie de l'Union européenne en matière migratoire. D'aucuns appellent de leurs vœux le retour des nations afin de retrouver les coudées franches. Mais la nation est-elle le bon niveau pour agir ? Ou, pour le dire autrement, est-ce le contenant qui est préjudiciable, selon vous, pour les peuples, ou est-ce le contenu, c'est-à-dire la politique telle qu'elle est menée actuellement ? Ne peut-on imaginer un empire européen, avec la taille critique nécessaire pour peser face aux autres empires, menant une « bonne » politique ?

E. L. Ce que je défends dans La Nation face à l’Empire, mais plus particulièrement dans mon deuxième ouvrage, La France face à la République, est que les peuples et les nations sont des communautés naturelles qui permettent de vivre une démocratie plus authentique, au sens où une communauté peut choisir plus facilement des lois au service du bien commun du peuple et de la nation parce qu’elle partage une histoire et une culture communes. Si la logique des traités internationaux permet de coopérer entre États-nations, la logique des traités supranationaux est impériale. Avec la majorité qualifiée mise en place dans l’empire de l’Union européenne avec l’Acte unique signé en 1986, des lois s’appliquent de force à certains peuples ou nations qui n’en veulent pas forcément, comme le montre l’exemple migratoire.

L’Empire européen est promu par les gouvernements français d’avant 1958 et d’après 1974, d’une manière aujourd’hui totalement assumée par les gouvernements d’Emmanuel Macron. Pour défendre ce programme, le ministre de l’Économie et des Finances en poste depuis 2017, Bruno Le Maire, a publié Le Nouvel Empire, l’Europe du vingt-et-unième siècle. Remplacer les États-nations par un « nouvel empire » pour faire face aux États-Unis et à la Chine, promouvoir un « ordre nouveau européen » pour s’opposer aux autres grands blocs (à l’ouest, les États-Unis, et à l’est, suivant les époques, le Japon, la Russie ou la Chine), c’est exactement la rhétorique des européistes de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. C’est d’ailleurs la construction de cette « Europe nouvelle » qui servit de justification à de nombreux intellectuels de la France de Vichy pour collaborer avec le Troisième Empire allemand. Dans ces conditions, imaginer un empire européen avec la taille critique nécessaire pour peser face aux autres empires et menant une « bonne politique » est un vœu pieux. L’histoire de l’Europe démontre qu’une alliance des nations, dans la logique d’équilibre des puissances, est un garde-fou contre la tentation d’hégémonie impériale. C’est pourquoi le mouvement France Libre Vraie Europe promeut une Alliance européenne des États-nations reposant sur la liberté des peuples et des nations par nature opposée à l’empire de l’Union européenne.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Bel exercice intellectuel….mais vous convaincrez plus facilement les peuples-nations en leur garantissant la perennité de leurs coutumes locales…car l’affectif l’emporte sur la théorie.

  2. Excellent raisonnement, très limpide, rationnel…d’ailleurs si l’on se retourne sur les siècles passés, Il y a eu 4 tentatives de faire l’Empire Européen (5 si on y inclus la Rome Antique). 1 Charlemagne, 2 Charles Quint, 3 Napoléon, 4 Hitler. La Russie et les U S A effectivement ne sont pas des Empires.
    Pour l’U.E., les Nations sont prises en otage par un Pouvoir à Bruxelles entre les Mains d’une Obédience Mondialiste en Réseau, et soumis à l’Impérialisme U S….Leur Objectif n’est pas qu’un grand pays Européen, ce qui d’ailleurs à mon avis ne tiendrait pas.
    Mitterrand en propagande électoraliste Pro U.E. avait dit : « La Nation c’est la Guerre, l’Europe c’est la Paix »….Nous vivons déjà une ambiance de guerre, apeurant les peuples aux risques de bombe nucléaire venant de Russie. Ils sont allés trop loin avec cette façon d’U.E. à l’extrême…Le Covid, Cdes, Injections, Pass Sanitaire, par Mme Van Der Leyen (La C.E. n’avait pas la Santé comme responsabilité), et l’Immigration entre les mains d’O.N.G., en relation avec les passeurs, etc…

  3. « L’UE est une construction politique avec les grandes caractéristiques de l’Empire »
    Hélas!
    Combien sont-ils qui ont tenté de reconstruire Empire romain ?
    Du Saint Empire romain germanique de Charlemagne à l’empire napoléonien ?
    Ils s’y sont tous cassé les dents un jour ou l’autre: tous éphémères, tous colosses aux pieds d’argile.
    Les plus tristes sont les derniers staliniens à y croire les Poutine et consorts, prêts à tout détruire autour d’eux, quittes à ne recueillir que des cendres.
    Poutine serait-il le quatrième cavalier de l’Apocalypse ?

     » Et je regardai, et je vis paraître un cheval de couleur pâles ; et celui qui était monté dessus se nommait la Mort, et l’Enfer le suivait ; et le pouvoir leur fut donné sur la quatrième partie de la terre, pour faire mourir les hommes par l’épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre. « 

  4. « justification au pouvoir pour intégrer des populations considérées comme russes dans la Fédération de Russie, quitte à ce que ce soit par la force et en violation du droit international. »
    Ah bon?
    **Un référendum est une force et viole le droit international?
    **La volonté de respecter un traité international est une violation du droit international?
    **La volonté de protéger des civils constamment bombardés depuis le refus de respecter un traité international est **une violation du droit international?

    Franchement, cet article me déçoit profondément.

    J’ajoute qu’étant déjà contre le fait que nous soyons sous le joug de l’Union Européenne, je suis n’adhère pas à Alliance européenne des États-nations, qui n’est qu’un emballage cachant le fait que nous aurons encore moins d’autonomie.

    • « construction administrative » pour favoriser l’industrie et le commerce, tout le commerce.
      Ce que l’UE n’a pas vu, c’est le pas de course chinois pour rattraper l’Occident et le dépasser dans tous les domaines…
      Et maintenant les USA.
      Et après qui , pourquoi ?

  5. Quid de la signature du fameux « Traité de Lisbonne » , qui annulait le résultat du NON majoritaire du Peuple Français au référendum pour ou contre MAASTRICHT ( Shenghen et perte de la Souveraineté nationale au profit de l’Union Européenne qui nous est imposée .)
    Le signataire n’est autre que Nicolas Sarkozy .
    Cela l’empêche t-il de se sentir bien dans sa  » peau » ?
    Cela n’est pas évident …
    Nicolas Sarkozy , encore lui décidément , ressent-il parfois un « regret » d’avoir mené et conduit la très , très SALE GUERRE à la Libye du Colonel Kadhafi ?
    Il n’en laisse rien paraître apparemment …
    Les Français , et le monde Occidental en général , loin de se rendre compte des effets majeurs de l’ouverture à l’immigration de masse , a t-il seulement pleuré les centaines de milliers de civiles -victimes libyennes ?
    Et pour l’Ukraine ??? HARO sur Poutine !!!
    Tout cela n’est pas sérieux . La  » géométrie variable  » a des limites .

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