[Entretien] Expulsions d’étrangers : peut-on s’affranchir de la CEDH ?
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Le 7 décembre dernier, c'est en vertu d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme que le Conseil d'État a « enjoint » le ministère de l'Intérieur à faire revenir un ressortissant ouzbek expulsé pourtant « radicalisé et fiché, connu des services de police pour son ancrage dans la mouvance pro-djihadiste » et à lui verser 3.000 euros d'indemnisation. Ce n'est pas une première pour la France, déjà épinglée par la CEDH pour l'expulsion d'étrangers. Quelle est cette institution européenne mal connue qui nous empêche ainsi de décider qui peut ou non rester sur notre sol ? Réponses avec Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur de l’European Centre for Law & Justice (ECLJ).
Sabine de Villeroché. Qu'est-ce que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et comment expliquer cette tutelle qu’elle fait peser sur la France ?
Grégor Puppinck. Les pays sont dans le système de la CEDH pour des raisons différentes. On peut dire qu'il y a deux groupes de pays, historiquement : ceux de Europe de l'Ouest, qui ont conçu le système à l'origine, et les pays de Europe ex-communiste, qui ont rejoint le système pour se raccrocher à l'Europe démocratique. Pour ces derniers, la CEDH est un instrument d'éducation à la démocratie, un instrument de révision des lois, de mécanismes judiciaires. En revanche, pour les pays d'Europe occidentale qui sont des démocraties depuis longtemps, c'est tout à fait différent ; ils n'ont pas ce travail d’adaptation à faire et n'ont donc pas un intérêt majeur à être dans ce système. Pour preuve, ils ne sont d'ailleurs pas tellement condamnés par la Cour, en comparaison avec les pays d'Europe centrale ou du Sud-Est. Beaucoup d'entre eux sont dans le système principalement pour contribuer à l'éducation des autres pays tels que la Turquie, la Bulgarie, la Pologne, etc. Les pays d'Europe occidentale jouent le jeu et acceptent d'être condamnés de temps en temps pour que le système puisse fonctionner. En même temps, les pays d’Europe de l’Ouest partagent le projet d’unification juridique et constitutionnelle du continent européen auquel contribue la CEDH par sa jurisprudence.
S. d. V. Peut-on imaginer, un jour, s'affranchir de la CEDH ?
G. P. Au plan technique, c’est extrêmement simple, comme pour tout traité. Il suffit d'adresser un courrier au Conseil de l'Europe et, après un délai de six mois, la sortie de la CEDH devient effective.
S. d. V. Quelles en seraient les premières conséquences ?
G. P. Nos juridictions françaises pourraient ainsi retrouver le dernier mot. Mais il n'y aurait pas pour autant de bouleversement de notre droit interne. Car contrairement à ce que beaucoup croient, la CEDH dépend du Conseil de l'Europe et non de l'Union européenne. Une institution qui a un fonctionnement tout à fait différent. Si la France quittait l'Union européenne, c'est tout le droit français qui serait bouleversé. Si la France quittait le Conseil de l'Europe, elle s'interdirait à l'avenir de participer à ses travaux mais resterait liée aux traités et conventions auxquels elle a déjà adhéré dans le passé et qui ont été adoptés au sein du Conseil de l'Europe.
Il y a une grande confusion, dans l'esprit des gens, entre le Conseil de l'Europe, dont dépend la CEDH, et la Cour de justice de l'Union européenne de Luxembourg, auquel notre droit est soumis. On peut s'extraire de la CEDH sans pour autant sortir de l'Union européenne.
Toutefois, si le problème principal causé par la CEDH aux autorité nationales est seulement l’entrave exercée par celle-ci à l’expulsion de certains étrangers, cette difficulté peut être résolue plus simplement. Cela consisterait à contester l'article 39 de son règlement par lequel la Cour européenne s'est elle-même donné le pouvoir d'empêcher unilatéralement de telles expulsions sans que les États aient eu leur mot à dire.
S. d. V. La France est-elle le seul pays à subir la pression de la CEDH ?
G. P. Il est en réalité assez récent que les pays d'Europe occidentale aient à se plaindre du système de la Cour européenne, et ce, principalement dans deux domaines : l'immigration et les mœurs. Et dans ce dernier domaine (mariage homosexuel, avortement, GPA), seuls les gouvernements conservateurs se plaignent. La CEDH a d'ailleurs attendu le lendemain de la nomination du nouveau Premier ministre de la Pologne, qui vient de passer à gauche, pour condamner le pays pour non-reconnaissance des couples homosexuels. C'était une décision stratégique qui prouve une nouvelle fois que la CEDH a le sens du timing et de l’opportunisme politique.
Mais plusieurs pays d'Europe occidentale commencent à se plaindre de la Cour sur la thématique de l'immigration. Un mouvement de contestation assez récent que l'on trouve en Italie, en France, en Allemagne et plus particulièrement au Royaume-Uni, un acteur majeur du Conseil de l'Europe et dans lequel les partisans du Brexit souhaiteraient poursuivre le processus jusqu’au bout en quittant, après l'Union européenne, le système de la CEDH. Ce pays a un réel problème de gestion des flux migratoires et perçoit la Cour comme un obstacle majeur à sa liberté politique.
S. d. V. Le mouvement de contestation contre la CEDH pourrait-il avoir des conséquences ?
G. P. Il se peut que la Cour reçoive les messages des pays d'Europe occidentale et modifie sa jurisprudence en matière d'immigration. En tout état de cause, il va y avoir nécessairement modification des relations entre la Cour et ces pays, sachant que ce sont les gouvernements qui auront le dernier mot dans le système s’ils le veulent vraiment. Ce sont les pays qui rédigent la Convention européenne des droits de l'homme, qui modifient les traités et ajoutent les protocoles. Il y a un jeu d'interaction entre la Cour et les gouvernements. Si, demain, plusieurs gouvernements de pays importants sont décidés à limiter l'immigration, cela aura des conséquences au plan institutionnel. Ce qu'a fait Darmanin, récemment (passer outre l'interdiction d'expulser le ressortissant ouzbek), est un message politique, un prétexte pour donner une tape sur les doigts de la Cour qui, de son côté a parfaitement compris le message et très probablement s'adaptera. Certes, la CEDH est une institution largement hors-sol et foncièrement de gauche, mais elle n’est pas insensible aux réalités politiques, surtout lorsque le message vient d’un ministre d’Emmanuel Macron qui s’est toujours présenté comme le plus fidèle soutien de la Cour.
S. d. V. Comment expliquez-vous que Marine Le Pen n'envisage plus de sortir du système de la CEDH ? Une mesure d'ailleurs absente du programme d'Éric Zemmour à la présidentielle...
G. P. Marine Le Pen et Éric Zemmour refusent de prendre cette position parce que ce serait pour eux prendre publiquement une position perçue comme opposée aux droits de l'homme. Au plan symbolique, cela leur coûterait trop cher politiquement parce que la Cour européenne a encore un grand prestige symbolique. Annoncer qu'on veut quitter la Cour, c'est prendre une mesure qu'ils perçoivent comme trop radicale et symbolique pour l’opinion publique. Le coût politique serait supérieur au gain institutionnel.
Ce fut aussi le calcul de l’ancien gouvernement polonais, qui a cru pouvoir entamer un rapport de force avec la CEDH et la Cour de justice en ignorant et contestant leurs décisions, mais sans quitter le système. Ce calcul fut fatal, car tout le système européen s’est mis en mouvement pour faire pression sur la Pologne et influencer les élections.
28 commentaires
On a beau dire que CEDH et Europe ne sont pas liées mais dans la pratique on ne peut embrasser l’Europe sans accepter les jugements et préconisations de la Cour . Ayant travaillé à L’Observateur dans mes années immatures, j’ai été travaillé au corps pour prendre ma carte Droits de l’Homme. Mon refus m’a valu l’expulsion du journal .
Lorsqu’une jambe est gangrénée il faut l’amputer. Peu importe certaines subtilités que l’on se plait à invoquer, à raison parfois, à tord souvent. La seule véritable solution est le FREXIT. A ce jour seuls les Patriotes avec Florian Philippot le prônent. Il faudra bien y venir, c’est une nécessité qui ira crescendo.
Pourquoi ne pas aborder la question du référendum sur l’immigration ? Cette consultation est prévue dans les programmes du RN et de Reconquête. On voit mal dès lors les Français se plaindre d’une consultation et les magistrats de la CEDH s’opposer à la volonté d’un peuple…ce qui reste à démontrer juridiquement par un éminent sachant. A une prochaine fois….
L’Europe elle-même a été contestée par le peuple français entre autres . Le peuple a été désavoué mais ne s’est même pas révolté . Nos institutions ont plus d’autorité que la volonté populaire, i-e la Démocratie.