[ENTRETIEN] J. M. Ballester : « Pedro Sanchez risque de ne pas se relever »
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Le bilan de la tragédie qui a touché Valence en Espagne entre le 29 et le 30 octobre continue de s'alourdir. A ce jour, le nombre des victimes s’élève à 217 morts, alors que les disparus sont comptés par dizaines, voire par centaines. Les habitants ne ménagent pas leur colère face à des élus qu’ils tiennent responsables de cette catastrophe humanitaire. Journaliste en Espagne, José-Maria Ballester éclaire les causes et les conséquences politiques de ces événements dramatiques.
Aliénor de Pompignan : D’où vient la colère des Espagnols qui s'est manifestée lors de la visite du gouvernement dans les villages sinistrés ? Que lui reproche-t-on ?
José Maria Ballester : Les citoyens en veulent particulièrement aux élus nationaux, davantage qu’aux élus locaux, car l’Etat garde des moyens considérables d’intervention, et il est le seul autorisé à envoyer l’armée sur place. Ce qui a gravement manqué dans les jours qui ont suivi la tempête.
Cette faillite de l’Etat qui lui est aujourd’hui reprochée s’explique par deux raisons : la principale est que, depuis 1993, exceptées la deuxième législature de Monsieur Aznar et la première de Monsieur Rajoy, l’Espagne a été gouvernée par des partis indépendantistes et séparatistes qui ont coupé dans les dépenses, notamment en matière de sécurité civile, par exemple en réduisant le nombre de policiers. Deuxième point : il y a eu des dépenses somptuaires de la part des communautés autonomes qui n’ont pas mis la priorité sur le renforcement de la sécurité civile et cela a, de fait, eu des répercussions sur la disponibilité des secours. Un exemple de ces dépenses : en Espagne, où il y a beaucoup d’élus, un député régional gagne presque autant qu’un député national au Congrès. Les dépenses en personnels politiques sont absolument faramineuses.
A. P. Est-ce que ces événements peuvent fragiliser la popularité du Premier ministre, Pedro Sanchez ?
J.M. B. Monsieur Sanchez, même avant cette tragédie était dans une situation politique délicate avec beaucoup de scandales : le scandale de son épouse qui fait l’objet d’une enquête pour corruption et trafic d’influence, celui de son ancien ministre José Luis Ábalos, autour d'un réseau de commissions illégales liées à l'achat de masques durant la pandémie, puis le scandale sexuel de Íñigo Errejón, son allié et leader du parti Sumar, accusé en octobre d’agression sexuelle. La barque commençait à être un peu chargée. Le 3 novembre, le Premier ministre a décidé d’accompagner le couple royal, qui a une haute popularité en Espagne, auprès des populations sinistrées afin d’éviter les huées, mais c’est tout le contraire qui s’est produit, et il a emporté le roi et la reine dans l’avalanche de critiques vives qui le visaient. Lui qui pensait gagner un peu en popularité avec cette tragédie s'est trompé. Si les prochaines élections ont lieu au printemps, Pedro Sanchez risque de ne pas se relever de cette hémorragie.
A. P. Est-ce que la réaction du gouvernement et sa gestion de la crise pourrait profiter au parti conservateur Vox ?
J.M. B. Comme beaucoup d’analytes le disent ici, le parti socialiste (PSOE) commence à s’effondrer mais la droite n’arrive pas à prendre le relais. C’est une situation de « je veux mais je ne peux pas ». Si le Premier ministre dissolvait demain le Parlement, est-ce que la droite gagnerait la majorité absolue ? Rien n’est moins sûr. La décadence du gouvernement de Pedro Sanchez ne garantit pas automatiquement la victoire du Parti populaire (PPE) ou du parti très conservateur Vox. Le message de Vox ne passe plus comme il passait il y a un an et demi lors des élections générales de l’été 2023.
De plus, le parti qui a perdu une vingtaine de députés depuis les dernières élections effectue des purges sur son aile modérée et une reprise en main par l’aile la plus dure. Ils ont peut-être retrouvé une certaine pureté doctrinale, mais de là à faire augmenter les intentions de vote ? J’en doute, car la partie de la population la moins politisée risque de ne pas comprendre et de sanctionner dans les urnes. Ils peuvent toujours jouer les forces d’appoints avec le PPE. Si ce dernier obtient 149 sièges et que Vox en obtient une trentaine comme l’an dernier, il pourra effectuer plus de pression. Seulement, le parti est en déclin depuis les luttes intestines de 2021-2022 et pour l’instant, il n’a pas l’air de s’en relever...
2 commentaires
Il est intéressant de constater que dans les démocraties occidentales, la population ne supporte plus ses dirigeants de quelque bord qu’ils soient et ce sont avec constance les mêmes reproches effectués à chaque fois.
je lis, que comme en France, les partis se sont dévalorisés.