[Entretien] Jean-Marie Schmitz : « Les Français ont un besoin vital de retrouver la fierté de l’histoire de leur cher et vieux pays »
6 minutes de lecture
Jean-Marie Schmitz est président du Secours de France, une association née sur les ruines de l'Algérie française, se donnant pour mission de réparer les injustices morales, matérielles et historiques subies par ceux - notamment les harkis - qui avaient choisi la France. Il réagit à la visite du Président Emmanuel Macron en Algérie. Pour lui, 60 ans après, la page est loin d'être tournée. D'un côté comme de l'autre de la Méditerranée.
Gabrielle Cluzel : L’annonce faite par Emmanuel Macron de la création d’une commission mixte d’historiens sur l’Algérie coloniale vous satisfait-elle ? Va-t-on enfin laver l’honneur de ces « oubliés de l’Histoire », comme vous les appelez dans l’album souvenir que Secours de France vient de publier ?
Jean-Marie Schmitz : Le Président prolonge l’expérience qu’il avait engagée avec Benjamin Stora en lui confiant « un travail mémoriel » sur la colonisation et la guerre d’Algérie pour faciliter « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». Loin d’atteindre cet objectif, son rapport a suscité en France une polémique (trop partial pour les uns, insuffisamment repentant pour les autres), une analyse critique rédigée par Jean-Jacques Jordi et Guy Pervillé et soutenue par nombre des meilleurs historiens de cette période (Pierre-André Taguieff, Jacques Frémeaux, Olivier Dard, Pierre Vermeren…) et une indifférence méprisante de la partie algérienne : l’interlocuteur de M. Stora, directeur des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, après avoir affirmé que « la question des harkis ne saurait être incluse dans ce dossier », a sobrement déclaré qu’il ne s’agissait là que « d’un rapport franco-français » et « qu’officiellement, c’était comme si ce rapport n’existait pas ».
Cette initiative n’aura pas plus d’écho positif que la précédente et je ferai mien le propos de l’historien Gérard Crespo : « Il est impossible à ce jour de réconcilier les mémoires franco-algériennes… parce que l’Algérie, depuis 1962, a construit une histoire mythique de ce qu’elle appelle la guerre d’indépendance », qu’Emmanuel Macron qualifiait, l’an dernier, de « rente mémorielle » bâtie à partir « d’une histoire officielle totalement réécrite… qui repose sur la haine de la France ».
Les victimes de cette tragédie risquent donc fort de demeurer des « oubliés de l’Histoire »
J’ajouterai deux points : quels historiens, du côté français, seront nommés ? Les critiques du rapport Stora y seront-ils associés ? Je n’y crois guère.
N’aura-t-elle pas pour effet, comme le dit Jean-Marie Rouart (Figaro du 29 août), de « réveiller inutilement des souffrances » et, en ouvrant « le musée des horreurs de l’histoire », de fournir de « formidables éléments de propagande... aux prédicateurs de l’islamisme » ?
G. C. : La guerre d’Algérie est terminée depuis 60 ans, et pourtant, Secours de France perdure… Est-ce à dire que la page n’est pas tournée, ni de ce côté-ci, ni de l’autre de la Méditerranée ?
J.-M. S. : La page n’est effectivement pas tournée. Ni du côté algérien, car le pouvoir y trouve la source de sa « rente mémorielle » et l’excuse à l’état peu enviable du pays, ni du côté de la France, pour d’autres raisons.
D’abord de fait : 1,5 million de Français ont participé à la guerre d’Algérie, où l’armée française a vécu un traumatisme qui n’est pas effacé. Victorieuse sur le terrain, comme le prouve la « paix des braves » demandée en 1960 par Si Salah (willaya de l’Algérois), en son nom et en celui de plusieurs chefs de la rébellion, ayant gagné « la bataille des cœurs » que le chef de l’État lui avait enjoint de conduire « pour amener les populations musulmanes à la France par le cœur et par la raison », l’armée a été contrainte par le pouvoir à une défaite politique, source d’une crise morale sans précédent. Eux et leurs descendants n’ont pas oublié. Un million de pieds-noirs se sont établis en métropole et, s’ils se sont remarquablement réinsérés, ils sont dépositaires d’une mémoire qui se transmet de génération en génération.
Environ 4 millions de personnes d’origine algérienne vivent sur notre sol, auxquelles on explique depuis des décennies combien la France a été coupable vis-à-vis de l’Algérie.
Ensuite, et peut-être surtout, parce que, dans notre inconscient collectif, la honte de l’abandon des harkis, « l’une des plus grandes ignominies de toute l’Histoire de France », comme le qualifiait Maurice Allais, prix Nobel d’économie, demeure très présente. En atteste l’intérêt suscité par les « bourses d’excellence » que nous attribuons aux petits-enfants de harkis pour leur permettre de mener des études supérieures.
Enfin, parce que nous savons que, pour de multiples raisons nos futurs sont liés. Nous avons fait nôtre le propos de Boualem Sansal, lorsque nous lui avons remis le prix Clara-Lanzi, du nom de notre fondatrice : « Faisons que nos enfants, qui pouvaient devenir des frères de sang et de sol, soient demain les meilleurs amis du monde. C’est notre façon d’honorer notre longue histoire commune, toute notre histoire. »
Voilà une partie des raisons pour lesquelles une association créée pour faire face à une tragédie ponctuelle de notre Histoire perdure 60 ans après la fin de celle-ci… et voit même ses activités s’accroître.
L’autre partie tient à l’adaptation de nos missions à des contextes nouveaux.
À notre mission caritative, nous en avons ajouté deux :
Préparer l’avenir, avec nos bourses d’excellence, le soutien depuis l’origine aux écoles d’Espérance banlieues, une aide à des responsables de communautés chrétiennes du Moyen-Orient que nous connaissons, comme Mgr Jeanbart, archevêque d’Alep, ou Sœur Myriam de la Croix.
Rétablir la vérité pour, avec nos moyens modestes mais réels, faire entendre « notre part de vérité », comme le disait Hélie de Saint Marc, face à la désinformation frappant les conflits qu’a connus la France depuis 1945. Nous le faisons à travers bulletin trimestriel, lettre électronique, site Internet et surtout films documentaires. Nous en avons réalisé 7, qui sont passés soit sur France 3 soit sur la chaîne Histoire et que nous diffusons en DVD.
G. C. : Si vous deviez conseiller Emmanuel Macron sur ce sujet, que lui souffleriez-vous à l’oreille ?
J.-M. S. : Je lui ferais lire le propos de Ferhat Abbas, président de l’Assemblée constituante de l’Algérie indépendante (cité dans Le Legs français, de Pierre Montagnon) : « En 1962, j’ai reçu un grand nombre de diplomates étrangers […] Tous étaient en admiration devant l’infrastructure et la richesse de notre pays. Un ministre syrien, qui venait de visiter la Mitidja et la région d’Alger ne tarissait pas d’éloge. L’œuvre de la France, me dit-il, est admirable ! Si la France était restée vingt ans de plus, elle aurait fait de l’Algérie l’équivalent d’un pays européen. »
Puis je lui conseillerais de passer du temps avec Boualem Sansal, courageux lanceur d’alerte, sur la perversité du régime algérien, le danger de l’islamisme et la lâcheté des élites occidentales, Malika Sorel, pour l’éclairer sur les conditions d’une vraie assimilation, Gilles Keppel, Philippe d’Irribarne et Annie Laurent, pour lui faire découvrir la réalité de l’islam et sa stratégie de pénétration de notre société.
Enfin, je lui dirais que sur ce dossier, les propos clientélistes contradictoires qu’il a tenus sont profondément néfastes ; nous avons trop souffert de la duplicité et du cynisme aves lesquels de Gaulle a traité le dossier algérien pour accepter le « en même temps ». Les Français ont un besoin vital de retrouver la fierté de l’histoire de leur « cher et vieux pays ».
Mais je serais sans illusion sur l’effet de mes propos !
Thématiques :
Algérie
17 commentaires
Remarquable.
« la « paix des braves » demandée en 1960 par Si Salah (willaya de l’Algérois), en son nom et en celui de plusieurs chefs de la rébellion, » et honteusement méprisée par de Gaulle pour deux raisons :
– Il ne pouvait pas traiter avec des combattants du terrain, mais uniquement avec des politiques réfugiés à l’étranger, comme lui-même en son temps.
– Staline le lui avait interdit : ne traitez qu’avec le FLN, communiste, si vous voulez que le PCF reste tranquille.
A signaler que Si Salah fut assassiné quelques mois plus tard par le FLN, on ne sait sur quelle dénonciation.
Très bien dit : sans la France il n’y aurait rien en Algérie .Ces populations n’ont rien inventé , rien apporté au monde .Nous ne leur devons rien et s’ils avaient entretenu le patrimoine laissé par les français ils n’en seraient pas là .De plus la France et l’Allemagne ont également connus des guerres mais en personnes matures et intelligentes elles ont fait la paix , avancent ensemble et ne ressassent pas constamment ces heures sombres de l’histoire .Je le redis nous ne devons rien à l’Algérie qui doit arrêter de mendier , de ruminer le passé et surtout qui doit prouver être capable de se réveiller et se prendre en charge .
Excellente réponse, tout à fait d’accord. Un trait est tiré, ils se débrouillent chez eux et gardent leurs ressortissants, nous n’en avons pas besoin.
De Gaulle dont j’admire par ailleurs le modèle qu’il nous a légué à travers la 5ème république et dont ses successeurs au pouvoir ont fait très mauvais usage, a, par contre , mal géré la question algérienne . Qu’il ait considéré que la situation ne soit plus tenable avec une population d’autochtone de 10 millions d’habitants pour 1,5 millions de pieds noirs peut se concevoir mais je trouve qu’il n’a pas pris de garanties suffisantes pour réaliser cette indépendance qui aurait du se faire sous de meilleurs hospices que ceux du FLN ! On a légué nos départements algériens à des extrémistes dont beaucoup parmi ce mouvement étaient des tueurs d’innocents ! On a poussé les pieds noirs au désespoir et on s’est étonné que ceux ci aient été obligés de constituer leurs propre système d’autodéfense à travers l’OAS!
Les indépendances d’Amérique latine du XIXème siècle se gagnèrent au profit des créoles (leurs PN fils exclusivement d’espagnols), avec l’aide d’un fort contingent de métis hispano-indiens! Cette classe sociale n’a pas existé chez nous faute à l’Eglise d’une trop grande « tiédeur » à l’heure de prêcher l’Evangile sur une terre qui avait connu des centaines d’évêchés et nombre de Saints! L’Islam était passé par là qui rendait la mixité des couples problématique….fort rare d’ailleurs avec les juifs, problème d’éducation des enfants!
Le problème reste entier en France aujourd’hui….
Très bel article, les propos de monsieur Schmitz sont clairs, historiquement précis et audible par tous et toutes, de même le cynisme, la lâcheté et le clientélisme de l’ensemble de la classe politique n’est pas passé sous silence, grand merci.
Pour y être né, je connais mieux que quiconque et en tout cas mieux que Stora, l’histoire de mon pays natal fait de larmes, de souffrances et de sang versés par mes ancêtres venus de leur Moselle natale en 1860 pour faire de l’Algérie ce pays moderne qui est, hélas redevenu un champ de ruines (hospitalières, éducatives, agricoles, etc.). Aussi je n’attends rien et surtout pas d’emmanuel macron, d’un « consortium » d’historiens engagés idéologiquement qui, une fois de plus, raconteront une histoire inconnue d’eux puisqu’ils ne l’ont pas vécue mais arrangée à la sauce algérienne pour faire plaisir au prince et surtout à un peuple qui déteste la France mais qui prend plaisir à venir s’installer chez ses « bourreaux », le comble du sado-masochisme.
Quand les Français sont arrivés en 1830 dans ce qui n’était pas encore l’Algérie, les musulmans vivaient comme au Moyen Âge, et les Africains comme à la Préhistoire, ce sont les Européens qui les ont fait progresser. Les Français ont attaqué l’Algérie pour faire cesser la piraterie en Méditerranée et les razzias, pillages et enlèvements de Français pour les réduire en esclavage. Après son indépendance, l’Algérie était le pays le plus développé d’Afrique, mais les musulmans ont laissé péricliter ce que les Français avaient construit et 60 ans après l’Algérie ne produit plus rien, importe tout, ne vit que de son pétrole que les musulmans n’auraient jamais su exploiter sans les techniques occidentales. Et les Algériens qui viennent maintenant mendier les allocations en France, prouvant qu’ils sont incapables de se débrouiller seuls, devraient mourir de honte.
La honte n’existe pas chez ces peuplades et la fierté non plus.
Ce pays retardataire doit reprendre ses ressortissants non-désirés en France, nous n’en avons que trop.
Comment se fait-il que personne ne mentionne le fait que le territoire de l’actuelle Algérie était déjà une colonie lorsque les soldats de France s’y sont installés . Une colonie limitée à ses ports et peu intéressée par l’intérieur, féroce aussi et incapable d’apporter les améliorations matérielles nécessaires aux progrès de ces territoires . La présence de la France au Maghreb l’a transformé de fond en combles et lui a permis l’accès au monde moderne.
Ce calvaire -se prolongera, tant que la France se sentira et montrera comme redevable des algériens. Un éminent algérien a dit : » le pire que la France nous ai fait, c’est de nous avoir donné l’indépendance « .
Pourquoi ne parlons-nous jamais de la « taqîya », cette façon de dissimuler sa foi dans un but de conquéte, utilisée par les mouvements djihadistes ? Ce serait éclairer crûment beaucoup d’agissements d’une frange de la population vivant sur le sol de France. Vous avez dit tabou ?
L’Algérie a été créée par la France et n’existait pas avant 1830. L’Armée française a été une fois de plus trahie par les dirigeants politiques et le procès fait à l’encontre de ceux qui avaient résisté n’aurait pu être excusé que si l’abandon voulu par le général De Gaulle avait consisté à éviter que les français de culture européenne ne soient submergés et dissous par ceux de culture musulmane. Il n’est que constater le changement de population en métropole pour voir qu’il y a eu trahison.
nous avons trop souffert de la duplicité et du cynisme aves lesquels de Gaulle a traité le dossier algérien pour accepter le « en même temps ».Faire une telle critique de Général a une certaine époque,et par « en meme temps »citer Notre Cher et Vieux pays »du Gl,voila qui relève de le flagornerie inversée!!!!!
Oui , je suis embêté sur la question car j’admire de Gaulle mais je comprends parfaitement les pieds noirs et harkis . Il faut admettre que le général de Gaulle a créé une énorme frustration chez les pieds noirs et les militaires qui s’étaient donnés corps et âmes pour conserver nos département, en choisissant de négocier avec des gens avec lesquels il n’aurait pas dû le faire . On le constate à nos dépend aujourd’hui ! 70 ans après ce sont toujours nos ennemis par contre en 1962nous avions 1,5 millions de français en Algérie , aujourd’hui nous avons 4 millions d’algériens en France!!! Cela fait toute la différence