[Entretien] Joseph Thouvenel : « J’entends cet orage qui gronde »

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À l'occasion du 1er mai, Boulevard Voltaire a interviewé Joseph Thouvenel, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), président de l'Union départementale de Paris.

Boulevard Voltaire. Le travail reste-t-il une valeur fondamentale de notre société ?
Joseph Thouvenel. De quoi parlons-nous ? Est-ce de l’échange force physique ou intellectuelle contre rémunération ou de la participation à une œuvre commune qui permet, via une rémunération, d’acquérir son indépendance ?
Notre société valorise fortement le premier cas, celui du travail, vu comme un objet dont la valeur ne dépasse pas l’horizon du rendement matériel. D’où la perte de sens dont se plaignent nombre de salariés. Cette vision matérialiste entraîne également un manque de considération pour beaucoup de métiers comme ceux liés aux services à la personne, notamment ceux associés au handicap. Sans parler de la faiblesse des rémunérations.
C’est Bernard Tapie, porté au pinacle, les salaires extravagants des footballeurs ou ces caissières de supermarchés, contraintes de sacrifier leur vie familiale, personnelle, associative ou spirituelle, pour le profit du dimanche.
C’est également la banalisation de la marchandisation de l’humain. Ce qui était légalement et moralement prohibé, comme l’achat et la vente d’enfants, devient un acte marchand ordinaire, avec denrée sur catalogue, opérations promotionnelles et contrat commercial. Interrogés, les promoteurs de sites pro-GPA parlent du travail des commerciaux, des intermédiaires et de la malheureuse du bout du monde, honteusement exploitée par de riches égoïstes.
Que reste-t-il du travail qui permet de grandir en dignité, ce « faire ensemble » qui nous élève ?
La valeur travail, celle du plus modeste des ouvriers au plus prospère des patrons, permet de révéler ses talents ; ceux dont nous seront comptables à la fin des temps ; cette valeur travail est fortement altérée par le mercantilisme ambiant.

BV. Pensez-vous qu'il y aura un « troisième tour social » après la phase électorale qui s'achèvera en juin ?
J. T. Si je n’ai pas de boule de cristal permettant d’annoncer le futur, j’ai une forte inquiétude pour l’avenir. Nous vivons, à mon sens, une période de type pré-1789. Des jacqueries inattendues se font jour : Nuit debout, bonnets rouges, gilets jaunes. L’extrême gauche peut ostraciser, interdire, violenter, saccager, dans une quasi indifférence, voire avec la complicité idéologique de médias bourgeoisement installés. Les idéologues mortifères sont à la manœuvre. Le débat démocratique est en recul, peu d’échanges, de discussions, de controverses mais de la diabolisation, de l’ostracisme et de la caricature.
Dans le même temps, une grande partie de la population est en souffrance, chômage, insécurité, augmentation des prix, désertification des territoires, écroulement de notre système de santé, inquiétude pour l’avenir des enfants, etc. Alors que les petits marquis qui nous gouvernent accumulent mépris et mensonges. Du secrétaire d’État qui ironise sur les « gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel » au ministre de la Santé déclamant : « Les masques sont inutiles, les masques sont indispensables », jusqu’au Jupitérien « Je traverse la rue, je vous en trouve » (du travail).
Je ne sais si le « troisième tour social » aura lieu après les législatives, à la rentrée ou plus tard, mais j’entends « cet orage qui gronde », comme le chantent mes camarades parachutistes. Ce n’est pas pour me réjouir, la violence, le soulèvement révolutionnaire sont rarement gage d’intelligence et de justice, mais plutôt de sauvagerie et de tyrannie.

BV. Les syndicats ne sont-ils pas définitivement discrédités, aujourd'hui ?
J. T. Si c’était le cas, nous n’aurions pas la queue devant nos permanences juridiques et le taux de participation aux élections professionnelles ne flirterait pas avec les 60 % (à l’exception des très petites entreprises où les syndicats ne sont pas présents). Votre question me fait penser à cette analyse que j’ai partagée au moins 48 heures à l’apparition des gilets jaunes. « Ce mouvement est la preuve de l’échec des syndicats. » Et puis j’ai réalisé que s'il n’y avait pas de gilets jaunes dans les entreprises, c’est justement parce que représentants des salariés et directions, au quotidien, anticipent, gèrent et résolvent la majorité des problèmes, sauf exception. Mais ce travail du corps intermédiaire social, on n'en parle jamais, sauf quand cela dysfonctionne, et là, nous avons les gros titres au 20 Heures.
Vous remarquerez que, très majoritairement, les grèves à répétition et mouvements sociaux divers concernent les services publics et beaucoup plus rarement le secteur privé. Pour une raison simple : globalement, l’État est un très mauvais patron empêtré dans le carriérisme et la lâcheté administrative.
Là où le corps intermédiaire social, patronat-syndicat, a encore son autonomie, c’est-à-dire en entreprise, la régulation fonctionne plutôt bien. En France, savez-vous que quasiment tous les salariés bénéficient d’accords collectifs supérieurs au droit du travail ? Qui négocie/gère, obtient ces avantages supplémentaires, si ce ne sont les syndicats.
Cela dit, le syndicalisme souffre de plusieurs maux.
Le premier est l’affaiblissement des corps intermédiaires qui voient leurs prérogatives rognées jusqu’à parfois complétement disparaître au profit d’un État boursouflé et impécunieux. Affaiblissement dont, pour ce qui est du social, patronat et syndicats sont en partie responsables. À l’exemple de l’ex-1 % logement. Cet utile outil au service du logement des salariés a vu petit à petit l’État s’immiscer dans sa gestion jusqu’à en prendre le contrôle. Rien n’aurait été possible sans l’accord au moins tacite des organisations syndicales patronales et de salariés.
Le second est la politisation des organisations syndicales en France. Si les couples CGT-PCF et CFDT-PS se sont désunis (pas complétement), les lignes idéologiques de la majorité des syndicats sont fortement teintées de marxisme, voire de lutte des classes et maintenant d’idéologie woke. À la décharge des syndicats de salariés, le mouvement le plus puissant de lutte des classes en France est sans doute, aujourd’hui, le MEDEF. Sinon, comme en Allemagne, les conseils d’administration des grandes entreprises seraient composés à parité de représentants des actionnaires et de représentants des salariés. Malheureusement, évoquer cette association capital-travail semble être, pour certains dirigeants, comme proposer à un Black Bloc de rentrer dans la police.
Le troisième est l’obsolescence des structures syndicales. Le syndicalisme s’est bâti et développé aux XIXe et XXe siècles, en se structurant selon les réalités et les besoins de l’époque. Aujourd’hui, les carrières ne sont plus linéaires, les outils numériques font émerger de nouveaux métiers et de nouvelles situations professionnelles qui nécessitent une autre approche et une autre organisation que celle toujours prépondérante organisée par statut.

BV. Fêter le travail en 2022 a-t-il encore un sens ?
J. T. Fêter le travail aujourd’hui, c’est d’abord célébrer l’engagement, le courage, et parfois le sacrifice, de ceux qui ont lutté et qui luttent pour que soient respectés les droits fondamentaux des travailleurs.
C’est se souvenir de ce qu’ont enduré et réalisé les générations qui nous ont précédés. Les enfants de cinq ans dans les mines, ce n’est pas qu’une image, dans ce qui reste des livres d’Histoire. Ce fut une réalité dans notre pays. C’est une réalité pour les 40.000 enfants qui triment au Congo pour extraire le cobalt des batteries de nos voitures électriques.
Il est bon, il est sain qu’une journée soit consacrée aux travailleurs. Il est bon, il est sain que notre vie soit rythmée par des pauses qui facilitent le lien social, les rencontres familiales, personnelles, associatives et même revendicatives.
Le Premier Mai devrait être l’occasion, pour tous ceux qui sont attachés à la valeur travail, de réaffirmer l’importance de celle-ci, « un bien de l’homme, un bien de son humanité », comme le disait Jean-Paul II.
Merci de m’avoir donné l’occasion de le rappeler.

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Ce monsieur a voté macron comme tout bon chrétien qui se respecte ….donc le reste n’est que bla-bla-bla

  2. Les pires ennemis d’un Etat sont ses politiques. Le tout libéral fonctionne bien mieux mais ne pourrait planquer tous les incapables qui font la potique.

  3. Un tantinet ridicules ces défilés huit jours après avoir réinstallé Macron. Et indignes pour certains. Laissons Dupont préparer ses grandes vacances…

  4. Le travail n’est pas une valeur. S’il en était une, il n’aurait pas besoin d’être payé et il n’aurait pas besoin de syndicats. On n’a pas besoin d’être payé ou défendu pour aimer, ni pour être juste ou généreux. Le travail est une contrainte. C’est pour cela qu’il manque rarement aux vacanciers et aux retraités. En revanche, le travail bien fait est une valeur ; et l’amour du travail bien fait en particulier. Et c’est quand cette valeur disparait qu’il y a perte de sens.

  5. Excellente analyse ! j’ai toujours eu confiance en la CFTC dont j’ai été – sur ma fin de  » Kaarrièère » une candidate locale

  6. « Nous vivons, à mon sens, une période de type pré-1789. »

    C’est clair et net.
    Bien qu’ayant perdu quelques membres de ma famille sous les coups de la Veuve, j’avoue que je pense qu’il faudra la ressortir un jour afin de nous débarrasser de ces nuisibles.
    Le seul problème est que, comme en 1789, nombre d’innocents seront sacrifiés au « nom de la lutte contre les malfaisants ».
    Peut être même plus d’innocents que de malfaisants.
    C’est cela qui me dérange dans ces révoltes. Le manque de lucidité.

    • Il faut se rappeler que 1789 est le fruit de la bourgeoisie qui en a retiré silencieusement tous les bénéfices matériels, financiers et sociaux et encore aujourd’hui. Pour le peuple des travailleurs, croire en une action désintéressée de cette caste est un mirage entretenu par cette caste.

  7. Comment expliquer que le taux des syndiqués est bien plus élevé dans la fonction publique, secteur où les salariés sont bien mieux protégés et privilégiés par rapport à ceux du privé ? Comme dans les Pays du Nord, les syndicats ne devraient pas être subventionnés par le con-tribuable mais financés par les usagers ! Cela les inciterait peut-être aussi à lutter contre les privilèges royaux scandaleux de nos élus et salariés des institutions, Sénat, assemblée nationale, ministères ….

    • « Comme dans les Pays du Nord, les syndicats ne devraient pas être subventionnés par le con-tribuable mais financés par les usagers ! » Vous vous rendez compte, la perte de rénumération pour les dirigeants syndicaux mais aussi de la Sécu (ce sont les mêmes)…

  8. Je crois que le bonhomme a agi pour faire élire Macron: contrairement à ce qu’il dit, il est surtout sourd vet aveugle….ou bien il mange.

  9. La crise du syndicalisme, est la conséquence de sa politisation qui a conduit les représentants syndicaux à se prononecer en faveur du traité constitutionnel et sa concurrence libre et non faussée qui a détruit le tissus industriel français. Le financement public des syndicats rend les permanents salariés dépendants de ces aides, donc du pouvoir politique. Avec les évolutions des droits syndicaux, les représentants sont de plus en plus des opportunistes qui ont remplacés les militants.

  10. Pas un seul syndicat, ni patronal, ni salarial, n’a réagi aux multiples violations extrêmes du Code du travail et des accords internationaux par le gouvernement au prétexte de la gestion de l’épidémie. Pas une action, pas même un mot de protestation. Qu’en pense-t-on quand on a perdu son travail et tout ce qui va avec, après avoir risqué sa santé et sa vie pour soigner et sauver les autres. Honte à tous ceux qui osent encore parader comme les représentants et défenseurs des salariés. Honte !!!

    • Il est en effet indispensable de rappeler à quel point les syndicats sont les mêmes traîtres que les politiques.
      Les uns et les autres vivent d’un argent public qu’ils se distribuent d’autant plus allègrement qu’ils n’ont pas à suer pour le gagner.
      Que les syndicats aient pu accepter sans sourciller la mise à pied de dizaines de milliers de salariés devrait les déconsidérer définitivement. CFTC y compris et malgré ses beaux discours.

    • Le problème est toujours le même : lorsque la table est bonne on se goinfre, puis pendant la sieste de rigueur on se prend à rêver à ce que le situation perdure. Regardez les comptes en banque et les biens de tout ce petit monde soit disant défenseur du peuple et vous comprendrez la situation actuelle.

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