Éric Zemmour à Versailles : à la conquête de la France bien élevée

Zemmour Versailles

Toute la presse en bruisse : « À Versailles, la love story de Zemmour et de la droite catholique » (Le Point), « Comment Éric Zemmour veut chasser sur les terres de la Manif pour tous » (BFM TV), « Éric Zemmour en opération séduction chez les catholiques conservateurs » (Le Figaro), « Éric Zemmour : à Versailles, la défense des racines de la France séduit » (Marianne).

Rien d’étonnant. Cela fait bien longtemps que ce public suit Éric Zemmour : d’abord l’éditorialiste (Le Figaro, RTL, Paris Première et, évidemment, CNews), mais aussi l’essayiste. La plupart de ces catholiques conservateurs ont ses œuvres complètes dans leur bibliothèque, pieusement dédicacées, par exemple lors des précédentes causeries organisées par Pierre Nicolas, Benoît et Nicolas Sevillia, les fameux Éveilleurs d’espérance qui organisaient cette rencontre, mardi 19 octobre. Éric Zemmour lui-même en badine : « Je suis un habitué de Versailles, je pense que je vais m’installer ici (rires). Pas au château, hein, je ne me prends pas encore pour Louis XIV ! »

La foule applaudit. On se souvient que Jean-Michel Aphatie, celui qui est devenu au fil du temps le double inversé d’Éric Zemmour dans les médias, avait proposé de raser le château de Versailles. Tout un symbole.

Dire qu’il y avait là tout Versailles serait faux. Comme l’écrivait récemment Ariane Chemin, dans Le Monde, Versailles est protéiforme : la ville royale a voté majoritairement Macron, en 2017, et s’est dotée d’un maire au profil plus proche (en viril) d’Amélie de Monchalin que d’Éric Zemmour. Il est vrai, ceci expliquant peut-être cela, que Versailles est en voie de « parisianisation avancée ». Les « nouveaux Versaillais » chassent peu à peu les vieilles familles traditionnelles - nombreuses, avec un seul salaire -, la cote immobilière prohibitive tenant lieu de barbelés. Les Parisiens bobos et mondialisés qui se sont gaussés de ce « Catholand » un peu trop rangé recherchent à présent sa quiétude et son art de vivre.

Par un mouvement centrifuge, le Versailles périphérique est éjecté vers Rambouillet, Saint-Cyr-l’École, Bailly, Noisy, etc., mais revient à l’occasion… au palais des congrès, écouter Jean-Pax Méfret (présent aussi mercredi soir) ou Éric Zemmour. Car il reste un esprit versaillais. Avec ses paroisses traditionnelles, ses groupes scouts en pagaille, ses écoles hors contrat à succès et ses familles XXL. Il reste aussi un réseau très puissant, ayant essaimé dans toute la France, où s’imbriquent amitiés, engagement associatif, vie culturelle et pratique religieuse. Lorsque Éric Zemmour explique, ce mardi soir, que cette France trop bien élevée de la Manif pour tous a perdu parce qu’elle n’a pas fait peur au pouvoir, il n’a qu’à demi-raison. L’échec n’est qu’apparent et de court terme. Des réseaux se sont structurés, conscientisés, prêts à se mettre en branle avec discrétion et efficacité en un clin d’œil pour une cause qui « leur parle ». On l’a vu en 2017 avec Fillon au Trocadéro. On l’a vu à l’automne dernier lors des manifs pour la messe.

La droite, de LR au RN, le sait. Mais, par un ironique retournement de valeurs depuis Mai 68, elle considère que cette France bien élevée est devenue aussi honteuse que la syphilis. Leur vote et leur efficacité, oui. Leur proximité, non. Certains, à l'instar de Valérie Pécresse, leur font de temps à autre « la génuflexion oblique des dévots pressés » mais, comme saint Pierre, les lâchent avant même que le coq n'ait chanté pour la troisième fois. Les convictions conservatrices en matière bioéthique de Marine Le Pen apparaissent comme authentiques au vu de leur stabilité mais, n’ayant pas battu le pavé à leurs côtés durant la Manif pour tous, n’ayant pas cherché à les agréger, celle-ci n’a pas su ou voulu, contrairement à sa nièce, se faire aimer de ces troupes. Beaucoup tournent donc aujourd'hui leurs regards vers Éric Zemmour. Les « petites mains » de sa campagne proviennent aujourd’hui de ce milieu. D’autant qu’il n’a pas besoin de se forcer pour leur plaire. Sa charge, de bon sens, contre Blanquer était sincère. Lorsque Éric Zemmour, doucement ironique, dit que, pour lui, « un homme n’est pas une femme et une femme n’est pas un homme » - autrement dit que l’eau mouille, hautement criminel aujourd’hui ! -, la foule rit et applaudit à tout rompre. La première identité, la première frontière, est celle entre les sexes. Le pays n’est jamais que la famille des familles. Éric Zemmour est à son aise.

Comme Donald Trump ou Viktor Orbán, il prend sur son dos le paquetage conservateur. Mais il ne promet pas d’en faire son cheval de bataille : pour lui, et il le martèle, le seul combat susceptible d’allier les classes populaires et les bourgeois patriotes est la question migratoire. La foule acquiesce, car c'est tout vu : si la civilisation chrétienne se dissout, ce public fondra itou !

« Éduquer des enfants à la foi aujourd’hui», écrit Chantal Delsol dans son dernier livre, La Fin de la chrétienté (Cerf), c’est produire des enfants pour Waterloo. » Ce thuriféraire de Napoléon juché sur l'estrade leur fait espérer, tout au fond du tunnel, un rayon du soleil d’Austerlitz. Il affirme que « la démographie, c'est le destin » ? Cela tombe bien, les familles rassemblées ici ont le taux de natalité du Nigeria. On le voit au nombre de bénévoles, jeunes et nombreux, qui égayent de leur fraîcheur et de leur joliesse la soirée des Éveilleurs. À les regarder, on se dit que la France n’a décidément peut-être pas dit son dernier mot.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Un vert manteau de mosquées

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois