« Être pupille de la nation m’a profondément marqué. Il me semblait que j’avais plus de droits et plus de devoirs »
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Jean-Marie Le Pen vient de publier le premier tome de ses mémoires : "Fils de la nation".
Marin, président de la corpo, député poujadiste, officier de Légion, candidat à la présidentielle… Jean-Marie Le Pen dit, dans son livre, avoir eu "mille vies". Bien des aspects en sont méconnus par le grand public qui ne connaît que l'homme politique "honni". Jean-Marie Le Pen les évoque au micro de Boulevard Voltaire, multipliant les anecdotes et les rapprochant de l'actualité, avec cette verve et ce talent si particuliers que lui ont reconnus jusqu'à ses plus farouches adversaires.
Marin, président de la Corpo, député poujadiste, candidat à la présidentielle, officier de la Légion... Vous dites dans vos mémoires avoir eu mille vies.
Parmi ces mille vies, laquelle avez-vous préférée ?
Toutes. Quand elles se déroulaient, carpe diem, je profitais du moment.
On apprend beaucoup de choses sur vous dans ces mémoires, notamment votre enfance en Bretagne. Vous confiez la disparition tragique en mer de votre père, et aussi que vous êtes devenu pupille de la Nation. Est-ce jour-là que vous avez pris fait et cause pour la France ?
Je pense que ce simple geste administratif m’a en effet profondément marqué. Le fait que j’entende dire que j’étais pupille de la Nation et qu’elle était donc ma tutrice me donnait l’impression d’être un Français différent des autres, avec peut-être plus de droits et plus de devoirs aussi.
Fils de la Nation est d’ailleurs le titre de mon premier tome. C’est ainsi que je me suis vu très jeune.
Mon premier geste politique était en Seconde. J’avais fondé la section de la LMC, la Ligue Maritime et Coloniale. C’est vous dire que je commençais déjà bien…
Vos premiers faits d’armes datent de la résistance ?
Racontez-nous cet épisode du soldat allemand que vous n’avez pas voulu abattre.
Je me disais que si mon père était mort, c’était la faute des Allemands. Il fallait donc que j’en tue un. C’était selon moi la justice selon moi.
L’occasion se présente. Un jour, alors que les Allemands quittent la trinité, un soldat passe dans la nuit, l’arme à la bretelle. Il annonce que des mines vont exploser. Je le suis avec mon pistolet dans la poche, accompagné de mes deux copains avec l’idée de le tuer.
Mais l’éthique de mon enfance et de mon adolescence va s’y opposer. C’est aussi bien celle des bandes dessinées que celle de la religion. On ne tue pas quelqu’un dans le dos et qui ne vous menace pas.
Il est certain que si cet homme s’était retourné et avait pris son arme, je l’aurais abattu à tout risque. Deux chasseurs de sous-marins étaient encore dans le chenal et les représailles auraient cependant pu être terribles sur la ville. Beaucoup de drames se sont produits par des initiatives dont je me félicite de n’avoir pas pris la suite cette fois-là.
Concernant cette résistance à laquelle vous faites allusion, vous mettez en opposition un homme comme le colonel Fabien et Honoré d’Estienne d’Orves.
Il faut rappeler que la résistance communiste a commencé par la collaboration. Jusqu’en 41, les communistes sont les alliés des Allemands. Ils ne deviennent anti Allemands qu’à partir du moment où l’Allemagne attaque leur patrie, c’est-à-dire l’URSS, la Russie soviétique.
À ce moment-là, ils mettent en pratique une méthode qui est particulière à la résistance, l’attentat individuel. Cette méthode enclenche bien évidemment de la part des autorités d’occupation des représailles de plus en plus lourdes.
Votre carrière politique nationale commence avec Pierre Poujade. Aurait-il pu prendre le pouvoir ?
C’est bien le reproche que nous lui avons fait.
Je suis alors étudiant en doctorat. Je décide que les choses ne se passent pas ici. Je m’engage et je vais en Indochine, au 1er Bataillon Etranger de Parachutistes. C’est à ce retour d’Indochine que je considère que l’État français a trahi son armée et son destin. Je veux, passez-moi l’expression, « lui cracher à la gueule ». Je décide alors, avec deux ou trois copains, de nous présenter aux élections uniquement pour dire notre détestation de ce système vaincu.
Roger Delpel, président des anciens d’Indochine, nous fait connaître Pierre Poujade qui nous dit qu’il a l’intention lui aussi de présenter des candidats. Il nous propose de venir avec lui et de combattre sous le même drapeau. C’est ainsi que je suis élu député poujadiste du premier secteur de Paris, de la rive gauche.
Pierre Poujade avait des moyens considérables. Je rappelle : la fédération de l’Hérault, 15.000 adhérents, les deux journaux du parti, 400.000 abonnés chacun. Il pouvais et aurait du prendre le pouvoir. Mais mon ami Démarquet, ancien parachutiste également et député du Finistère, et moi nous rendons compte qu’il ne le veut pas. Il ne se sent pas capable.
Nous sommes encore en âge de porter les armes. Nous lui annonçons notre départ en Algérie où le gouvernement a envoyé le contingent.
C’est ainsi que je ne reste que 6 mois dans le mouvement. Je m’engage au premier régiment étranger de parachutistes. Sur les six membres du bureau de l’union de défense de la jeunesse française dont je suis le délégué général, les six vont en Algérie, trois seront tués, deux grièvement blessés. Il n’y aura que moi qui m’en sortirai indemne. La chance !
On a dit à Pierre Poujade que, si nous revenions, nous ferions les comptes et nous rediscuterions, mais à une condition, qu’il ne se serve pas de notre engagement pour la propagande du parti. Il s’engage à ne pas le faire. Et malheureusement, un jour, il se présente à une élection partielle en faisant état de notre geste d’engagement. C’est donc la rupture avec Pierre Poujade. Cela aura duré quelques mois. Je lui devrais néabnmoins toute ma vie d’avoir été élu grâce à lui, quelles que soient les divergences que nous avons pu avoir après.
De cette guerre d’Algérie est née ce que vous avez appelé la trahison du Général de Gaulle. Avec du recul, l’Algérie aurait-elle pu rester française ou De Gaulle n’avait-il finalement pas le choix ?
La suite des événements a prouvé que la révolution démographique aurait certainement rendu l’épisode de l’Algérie française difficile. L’Algérie est passée en 50 ans de 8 à 46 millions d’habitants. Qu’en eût-il été si la France était restée maîtresse des institutions là bas ? On ne sait pas.
Quoi qu’il en soit, ce que j’ai reproché au Général de Gaulle dans l’affaire de l’Algérie, c’est d’abord d’avoir trahi son serment. Il nous dit : "je vous ai compris" et ensuite, il fait l’Algérie algérienne. C’est en soi une trahison du mandat qu’il avait sollicité et reçu.
Mais il y a pire que cela. Il fera cet abandon en livrant littéralement les musulmans qui ont combattu avec la France, les harkis, à la vindicte de leurs ennemis. Ils seront massacrés et torturés ainsi qu’un certain nombre de pieds noirs qui seront abandonnés. C’est un geste impardonnable même pour un officier général qui a l’habitude et qu’il sait que son métier l’oblige à perdre des hommes, avec peut-être plus de facilité que d’autres.
Mais je parle du Général De Gaulle, car c’est quelqu’un qui a occupé l’espace politique français beaucoup plus que n’importe qui d’autre. On me dit que j’ai mis Pétain en échange avec De Gaulle. C’est faux. Je n’ai dit qu’une chose sur le Maréchal Pétain. J’ai dit que je ne pensais pas que le Maréchal Pétain était un traître. C’était plus facile de résister à Londres que de résister en métropole française.
Vous parlez de la théorie du grand remplacement qui selon vous est actée.
Est-ce que cette vérité est encore impossible à dire aujourd’hui ?
Notre pays et notre continent vont être submergés par l’immigration massive si rien n’est fait pour s’y opposer. Or, rien n’est fait, car nous n’en avons pas conscience ou ceux qui en ont conscience n’ont pas le courage de préconiser les méthodes qui seraient susceptibles éventuellement de s’opposer à cette déferlante. Je vous dis aujourd’hui qu’elle est au début de son commencement. C’est de cela que devraient se préoccuper les Français. C’était un des thèmes principaux du Front national et c’est ce qui a fait d’ailleurs ses récents succès, beaucoup plus que l’action de ses dirigeants. L’opinion se rend progressivement et matériellement compte que dans le fond Le Pen avait raison quand il disait « attention, il y aura de plus en plus d’étrangers extra-européens qui seront amenés par la poussée démographique, par la misère, la pauvreté, la guerre, à venir dans les endroits où ils pourront ou croiront trouver refuge ».
En réalité, nous sommes le radeau de la Méduse. Nous flottons encore, mais si nous acceptons tous les nageurs qui se précipitent vers le radeau, alors il coulera et nous avec.
Vous dites dans vos mémoires que vous vous voyez comme une sorte de vigie qui est là pour annoncer les événements.
Jean-Marie Le Pen serait-il une Cassandre du XXe siècle ?
Sans me faire d’illusion sur la popularité de Cassandre. La vérité est bonne à dire, mais difficile à entendre. Ceux qui disent la vérité n’ont pas beaucoup de chance d’être populaires. Pourtant, le devoir que je m’étais fixé était de dire ce que je voyais. Je crois et je crains que je voyais un peu plus loin que les autres. Malheureusement, ceci faisait de moi et de ceux qui marchaient à mes côtés des incompris.
J’ai pris une image que je crois assez juste de l’action que nous avons menée, c’est celle d’un brise-glace. Jamais, nous n’avons navigué dans les eaux libres. Il a toujours fallu rompre devant nous les obstacles qui s’érigeaient ou se maintenaient contre la vérité que nous portions.
Je voulais que les Français se mobilisent et prennent conscience. Les Français du peuple en prennent conscience, mais pas les élites, pas les dirigeants. Pour une raison simple, le peuple fréquente les transports en commun, là où il est au contact de l’immigration massive, alors que les bourgeois se déplacent dans leur voiture, vont en vacances dans leur maison de campagne. Ils n’ont pas l’occasion de voir l’immigration telle qu’elle est en train de gagner main sur main dans notre pays et dans notre continent. Certains peuples, comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, sont encore plus menacés que nous et plus directement. Ils sont dans un état pire que le nôtre.
Ce week-end, sont sortis les résultats des élections italiennes.
S’agit-il du réveil des peuples ?
Oui, il s’est d’ailleurs manifesté en France bien que d’une façon relativement plus modeste, avec le vote en faveur de Marine Le Pen, placée au deuxième tour de l’élection présidentielle.
En Italie, a eu lieu une poussée populaire de gens conscients, peut-être instinctivement, du risque encouru et de la menace qui pèse.
C’est plus vrai dans les pays de l’Est, car ces pays ont connu la dictature communiste et l’interdiction de l’expression de la liberté.
Cette interdiction est d’ailleurs en train de gagner nos pays. La France dont la devise est Liberté, Égalité, Fraternité, se targue d’être un pays de liberté d’opinion et d’expression. C’est faux ! La liberté d’opinion et d’expression en France est contenue, et même sanctionnée pénalement. Il est par conséquent de plus en plus difficile de dire la vérité.
En mai 68, vous avez écrit une phrase qui était assez frappante. Vous aviez dit « nous n’étions ni d’un côté de la barricade ni de l’autre ».
Avez-vous à l’époque regardé mai 68 en observateur ?
À nos yeux, c’était une mascarade estudiantine. Nous étions étonnés de voir qu’elle pouvait mettre en cause la solidité, l’existence même d’un État dont on pensait qu’il était dirigé par un homme à poigne, le Général de Gaulle.
Nous nous sommes aperçus dans le fond que le régime était très fragile et qu’il suffisait d’une agitation étudiante, relayée par une agitation syndicale, qui ne se conjuguaient même pas, mais qui coexistaient seulement, pour mettre en péril l’État au point que le chef de l’État a été obligé d’aller chercher la caution du Général Massu et de l’armée qui était en Allemagne pour peut-être revenir avec la chance de pouvoir garder le pouvoir. Confier à monsieur Edgard Faure la réforme de l’Éducation nationale était dans le fond admettre la capitulation après la victoire.
C’était exactement comme nous avions fait en Algérie. Nous avons gagné la guerre sur le terrain et perdue politiquement par la délibération et par la volonté du gouvernement français lui-même.
Mai 68 a été le point d’instigation de toute cette pensée qui vous a combattu pendant un demi-siècle. N’avez-vous pas de regrets finalement de ne pas être descendu dans l’arène ?
Nous aurions dû le faire. C’est d’ailleurs ce que j’avais prévu de faire en fondant le CECON, le Comité pour l’élection du candidat d’opposition national qui a animé la campagne présidentielle de Tixier-Vignancour.
Promu médiatiquement par sa candidature, il a négocié avec Lecanuet cinq investitures législatives et nous a coupé l’herbe sous le pied. C’est ainsi qu’il n’y a pas eu après 66 le grand mouvement de droite que la France était en droit d’attendre. Sa présence aurait bien sûr empêché la naissance même des événements de 68. Petite cause, grands effets, effet papillon, le papillon bat de l’aile et à 1000 kilomètres de là, la montagne s’effondre.
En 72, ce mouvement politique de droite s’est appelé le Front national. Mais on ne va pas anticiper sur le tome 2.
En revanche, au Front national va se tenir le congrès. Comment voyez-vous aujourd’hui le Front national sur la scène politique française et la mise en difficulté de Marine Le Pen ?
Comme elle détient des pouvoirs considérables à l’intérieur du mouvement et qu’elle ne respecte aucun règlement et aucune décision judiciaire, tout est entre ses mains.
Elle semble avoir l’intention que je crois néfaste de changer de nom, de refonder, et toute sorte de verbes vagues. Cela cache dans le fond le refus de la fidélité à l’idéal que nous poursuivions. J’observe donc, un peu navré.
Outre Atlantique, votre petite fille, Marion Maréchal Le Pen, s’exprimait récemment au congrès des Républicains. Que pensez-vous de ce semi-retour métapolitique ?
Il n’y a pas véritablement de famille Le Pen au Front national. Les hasards de la vie ont fait en vérité qu’ayant peu de militants, les membres de la famille ont été obligés de s’engager eux-mêmes. C’est ce qui les a promus relativement dans l’opinion.
Marion Maréchal Le Pen est quelqu’un de parfaitement indépendant et qui fait ce qu’elle veut et ce qu’elle pense devoir faire, comme Marine Le Pen. L’une et l’autre sont assez insensibles à l’environnement et aussi aux conseils que pourrait leur donner leur aïeul.
Cela étant, j’admire les qualités des unes et des autres en me désolant que tout cela n’aille pas dans le même sens, celui de l’union nécessaire de tous les Français, même d’opinions différentes, mais imbus de la nécessité de s’unir contre un danger mortel. On ne regarde pas le visage ni l’uniforme de celui qui tire à côté de vous dans la tranchée. On est pour lui et il est pour vous. Si on n’a pas ce sentiment-là, alors… trop tard. "Trop tard", "too late", ce sont les deux mots dont le Général Mac Arthur disait qu’ils expliquaient tous les échecs. Avoir su… trop tard, avoir compris… trop tard, avoir agi… trop tard.
Pensez-vous que la droite française pourra un jour se retrouver dans la même tranchée et avec le même uniforme ?
Je vis, comme tous, d’espoirs. On a l’espoir chevillé au corps malgré les apparences désastreuses. Les dessins de Dieu seront insondables, peut-être vont-ils dans le bon sens ?
À presque 90 ans, comment regarderiez-vous votre vie ?
Avez-vous des regrets ?
Pour l’instant, je regarde surtout devant et pas beaucoup derrière.
Je vois néanmoins une ligne assez droite. Je n’ai pas de regret. J’ai quelques regrets comme celui dont je vous ai parlé, de n’avoir pas été le candidat aux élections présidentielles en 65. Je pense qu’on aurait pu gagner 20 ans, mais cela n’a pas été le cas et on ne refait pas le monde. C’est du passé et c’est comme cela.
Si Dieu le veut, je vais atteindre 90 ans. C’est peut-être un début après tout. Le président tunisien a 91 ou 92 ans, et Mathusalem en avait 800…
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