Étudiant immolé : comment avons-nous fabriqué ces générations de désespérés ?

étudiant

Ce mardi, à 10 h, des étudiants manifestent devant les établissements du CROUS à l’appel du syndicat "Solidaires Étudiant-e-s Lyon". Un appel lancé après qu’un étudiant de 22 ans a tenté, vendredi dernier, de se suicider par le feu devant les locaux dudit CROUS, à Lyon. Brûlé à 90 %, les médecins luttent pour qu’il échappe à la mort.

L’histoire est aussi pathétique que le geste est insensé. Aussi, avant de poursuivre sur le sujet, je pense qu’il est nécessaire de lire le texte, ô combien révélateur, que ce jeune Stéphanois, secrétaire au niveau fédéral du syndicat Solidaires, a posté sur Facebook. Le voici :

« Aujourd’hui je vais commettre l’irréparable, si je vise donc le bâtiment du CROUS à Lyon, ce n’est pas par hasard, je vise un lieu politique, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et par extension, le gouvernement.
Cette année, faisant une troisième L2, je n’avais pas de bourses, et même quand j’en avais 450€/mois, est-ce suffisant pour vivre ? (…)
Et après ces études, combien de temps devrons nous travailler, cotiser, pour une retraite décente ? Pourrons nous cotiser avec un chômage de masse ?
Je reprends donc une revendication de ma fédération de syndicats aujourd’hui, avec le salaire étudiant et d’une manière plus générale, le salaire à vie, pour qu’on ne perde pas notre vie à la gagner.
Passons à 32 heures par semaine pour ne plus avoir d’incertitudes vis-à-vis du chômage qui conduit des centaines de personnes comme moi chaque année à ma situation et qui meurent dans le silence le plus complet. (…)
J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué en créant des incertitudes sur l’avenir de tous-tes, j’accuse aussi Le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires. (…)
Vive le socialisme, vive l’autogestion, vive la sécu (…) »

Etudiant en sciences politiques, ce jeune homme triplait sa deuxième année de licence, raison pour laquelle ses aides étaient supprimées. A 22 ans, il avait déjà le souci de sa retraite, et reprenant les revendications de son syndicat, il souhaitait donc un salaire à vie pour n’avoir pas à la gagner. Fin des cadences infernales : au pire, travaillons 32 heures, mais pas plus !

Sans chercher plus loin que le kleenex dans lequel ils se mouchent, les commentateurs donnent ce matin dans le misérabilisme larmoyant : le sort des étudiants est épouvantable, près de 20 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, ils ne mangent pas à leur faim, hésitent à se soigner et doivent rogner sur leurs loisirs.

Petit retour en arrière : étudiante, j’avais une chambre en cité universitaire dont mes parents payaient le loyer, et pour vivre une bourse de 350 F par mois, ce qui n’allait pas loin. Avec les copains, on allait parfois au restau U juste pour y récupérer du pain. On faisait des fêtes dans la chambre d’à côté autour d’une gamelle de pâtes. On ne sortait pas mais on refaisait le monde avec d’autres objectifs que la retraite ! Nous avons tous travaillé durant nos études, moi comme tous mes amis : baby-sitting, caissière, cours du soir… Ma voisine de chambre faisait les marchés de banlieue tous les week-ends sur le stand d’un fromager, quittait la cité U à 5 heures du matin. On en était heureux, et cela nous paraissait NORMAL !

Comment avons-nous pu, alors, fabriquer tous ces désespérés ? Ces enfants déjà vieux dans leur tête, sans rêve ni d’autre ambition ultime que leur retraite ; des enfants qui se vivent en martyrs, incapables de s’imaginer un avenir autrement que pris en charge par la collectivité ? Ce jeune homme-là faisait du syndicalisme à haute dose – raison pour laquelle sans doute il triplait son année…
Mal dans sa vie, mal dans ses études sans doute, désespéré sûrement, abreuvé des chimères socialistes, il n’a trouvé d’autre issue que la pire des souffrances. C’est pathétique.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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