Exode des Parisiens : tranche de vie
« Ceux qui ont une maison de campagne ont de la chance », souffle le chauffeur de taxi. Tandis que la voiture s’engage dans un embouteillage inhabituel, les trottoirs désertés, sous un ciel morne, les derniers touristes se saisissent de leur appareil photo pour figer cette étrange atmosphère. Ce matin, Paris a la gueule de bois. Livide, le conducteur ajoute : « J’ai des jumeaux de 3 ans et un grand qui a 5 ans, ça va être dur, 45 jours… »
En gare de Bercy, situation déconcertante, les voyageurs affluent. Valises pleines, sacs à dos bourrés à vous rompre la clavicule… c’est l’exode. On déserte les lieux contaminés en s’entassant dans les TER - ceux qui ne sont pas annulés -, en remontant, quand on y pense, le bout de tissu qui nous couvre le nez. C’est la valse des bagages, des boucles d’oreille égarées, on rembobine les vieux slogans et, entre deux snaps, on parle même de guerre. Quelques heures plus tard, ce mot nous sera rabâché par six fois. Tout d’un coup, un homme s’affole : « Laissez-moi passer, laissez-moi passer, je veux sortir ! » Il enjambe les passagers assis par terre, trébuche sur une trottinette électrique (même dans le train), fait voltiger sa petite valise et finit par atteindre le quai, dégoulinant de sueur. « Mais calmez-vous, il n’y a pas le feu ! », lance une femme qu’il vient de bousculer. Surtout, garder le sang-froid.
« Il y a des cas, dans l’Yonne ? », s’interroge une voix d’outre-tombe. « Je ne sais pas, mais il ne faut pas se leurrer, ce qui se passe à Paris se passera dans les campagnes », répond une jeune femme. Le virus aussi se met au vert. « Allez à la montagne ! », assène-t-elle. « Non, moi, je vais dans mon jardin, impossible de rester enfermée à Paris », rétorque une autre dame, assise entre deux voitures.
L’une d’elles s’emporte : « En même temps, si on avait commencé à se laver les mains plus tôt, on n’en serait pas là ! Dans le métro, le matin, des gens vont travailler sans se laver, ça n’a jamais tué personne de se laver ! On va y revenir, au choléra ! L’être humain est dégueulasse ! » Derrière leurs masques, leurs foulards et leurs cols, les passagers acquiescent, consternés. D’autres, las, se réfugient dans un demi-sommeil, l’œil aux aguets.
À l’approche de Sens, les sourires se délient. Comme si la frontière épidémique avait été franchie. Bas les masques, hauts les cœurs. On se souhaite bon courage, on se rassure, on se dit « À bientôt » sans se connaître. En fait, on se manque déjà.
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