[EXPO] Bruno Liljefors : le bestiaire d’un chasseur
3 minutes de lecture
Des peintres suédois, on connaît bien en France Carl Larsson, un peu moins Anders Zorn et pas du tout Bruno Liljefors (1860-1939). Ce dernier a pourtant vécu un temps dans la colonie des peintres nordiques de Grez-sur-Loing, il a exposé à Paris… Mais ce Suédois aimait trop ses plaines et ses forêts sauvages pour s’acclimater chez nous. Mises à l’honneur au Petit Palais, ses peintures animalières le rangent parmi les grands représentants du genre, à égalité avec quelques Hollandais ou un Oudry, un Méheut.
Un chat se chauffant au soleil, des renardeaux jouant, quelques œuvres pourraient laisser penser que Liljefors est un peintre de « mignonneries ». Or il est tout sauf un peintre de chats pour calendrier des postes. Chasseur lui-même, il peint la chasse du chat attrapant l’oisillon, celles du pinson becquetant la libellule, de la martre saisissant un tétras lyre, du chien saignant à la gorge le renard, etc. Une famille de renards (1886) semble en train de jouer, en fait elle déplume et dépèce un blanc oiseau. La frise de la chaîne alimentaire et de la lutte pour la vie se déroule sous nos yeux. « Ce qu’on appelle l’angoisse de la mort, je ne l’ai jamais observée dans la nature », disait-il.
Autre idée darwinienne, chère au chasseur habitué à se camoufler pour ne pas être repéré par la proie, ces animaux qui se fondent dans le paysage : le lapin dont la fourrure blanchit en hiver (Lièvre variable, 1905), les tétras qui à la nuit tombée se confondent avec les rochers, ou les courlis avec les herbes… Le peintre se lance un défi : que l’animal soit visible et cependant discret. Ton sur ton, motif sur motif.
Le goût du peintre pour aller chercher son sujet au creux des broussailles ou au sommet de l’arbre est, encore, un trait du chasseur. S’il s’est parfois aidé de photos ou de modèles empaillés, sa pratique dominante est d’abord celle de l’observation in situ, avec croquis et pochades. À la faune se joint la flore. Cet amoureux de la nature est précis : les herbes, les fleurs, les plantes sont cohérentes avec le tableau qu’il représente. Ainsi Une famille de renards est « datée » : les renardeaux ont quelques mois et mangent désormais de la chair fraîche, le cerfeuil fleurit, les pissenlits sont en graine. Nous sommes au début de l’été.
Peintre naturaliste, Liljefors s’est défendu d’avoir été influencé par l’esthétique japonisante, très répandue en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle est pourtant difficile à nier dans quelques œuvres, et par la « mise en page » et par le choix réduit des couleurs : Chardonnerets (1888) et plus que tout Paysage d’hiver aux bouvreuils pivoine (1891). Certains encadrements aussi, où il regroupe quatre ou cinq « études » dans un cadre doré plat.
Amoureux des paysages de sa patrie, Liljefors s’est lancé dans de plus grands tableaux où la touche se simplifie et les détails disparaissent : Hibou grand-duc dans les pins enneigés (1907), ou Brise du matin (1901). C’est presque un autre versant de son oeuvre - moins « facile ». Peintre de la nature dans ce qu’elle a de beau et de cruel, Bruno Liljefors avait saisi ce qui frappe toute personne au contact des animaux : leur individualité - leur personnalité. « Ce que je m’efforce de figurer dans mes tableaux animaliers, ce sont les individus mêmes. Je peins des portraits d’animaux. » La vie et l’œuvre de Bruno Liljefors démontrent qu’on peut - sujet sensible - être chasseur et amoureux connaisseur de la nature.
• Bruno Liljefors. La Suède sauvage. Petit Palais, Paris VIIIe. Du mardi au dimanche de 10h à 18h. Nocturnes les vendredis et samedis jusqu'à 20h.
Thématiques :
Bruno Liljefors