[EXPO] La collection Berggruen ou les limites du XXe siècle

Heinz Berggruen

Le musée de l’Orangerie à Paris expose un aperçu de la collection de Heinz Berggruen (1914-2007), collectionneur allemand dont le musée berlinois est actuellement en travaux. Berggruen fut d’abord journaliste. Mais, ne pouvant plus signer ses articles - il était juif -, il s’exila aux États-Unis en 1936. De retour en Europe après guerre, il ouvrit une galerie-librairie place Dauphine, puis sa grande galerie Berggruen & Cie, rue de l’Université (1950). Celle-ci eut une forte activité, dont témoignent les catalogues soignés comme autant d’échos de la deuxième moitié du XXe siècle: Dubuffet, Léger, Klee, Kandinsky, Picasso, Ernst, Moore…

En 1953, Berggruen fut le premier à exposer des papiers découpés de Matisse, dont Le Nu bleu, sauteuse de corde est un bon exemple. Il possédait aussi plusieurs de ses huiles, dont le bel Intérieur à Étretat (1920), chambre dont l’intimité bleutée rappelle la célèbre chambre de Van Gogh à Arles. Mais le cœur de sa collection, ce sont des Picasso et des Klee. Du premier, Berggruen a acheté des œuvres des années 1900, période la mieux inspirée de Picasso : Scène de café-concert, un Arlequin… Un peu de cubisme. Et pas mal d’œuvres des années trente, avec des figures humaines déconstruites avec un esprit de système qui désole. À la même période, José Ortega y Gasset publie son navrant éloge de La Déshumanisation de l’art. La déshumanisation, cette grande affaire du XXe siècle.

Pablo Picasso (1881-1973), Scène de café-concert, 1902. Pastel sur carton, 31 × 40 cm. Museum Berggruen, Neue Nationalgalerie, Stiftung. Preußischer Kulturbesitz. Photo © Bpk / Nationalgalerie, SMB, Museum Berggruen / Jens Ziehe. © Succession Picasso 2024

L’idole Picasso

Longtemps, Pablo Picasso a été intouchable. Pensez, un communiste ! Qui plus est milliardaire, peintre le plus riche, non pas du siècle, non pas de l’époque moderne, mais de l’Histoire ! Cela inspire le respect. On savait depuis toujours qu’il ne s’était pas très bien comporté avec son entourage, mais il ne fallait pas plus le dire que critiquer sa peinture. Récemment, on s’est « aperçu » que le maître avait été un goujat avec les femmes.

Il le fut autant avec ses amis hommes. Avec Apollinaire, qu’il affirma ne pas connaître au moment du vol de la Joconde. Avec Max Jacob, emprisonné par les Allemands et pour lequel le peintre n’intervint pas. (Max Jacob mourra à Drancy.) Il est permis, désormais, de soumettre Picasso à examen - merci #MeToo -, il sera admis un jour de remettre en cause son apport à l’art du XXe siècle. Or, Picasso, qui commença comme peintre académique, a été le grand « déconstructeur » de la peinture en général - tout en construisant avec soin sa carrière à lui.

Effets de matière

Autre artiste aimé de Berggruen, et autre icône attendue : Paul Klee. Encore un exilé. En 1934, l’artiste quitte l’Allemagne pour la Suisse, où il meurt en 1940. Osera-t-on dire que les œuvres présentées ici sont décevantes ? À part Le Paysage en bleu, très poétique de couleurs, et Le Temps, plus austère. Ce tableau est fait d’aquarelle, d’encre sur un apprêt de gaze plâtrée, le tout marouflé sur contreplaqué. Un réel effet de matière, ce qui sera peut-être considéré comme le vrai apport de la peinture du XXe siècle, quand on aura fait justice de l’abstraction déjà morte et du surréalisme, dont on fête les cent ans et qui fut stérile jusque dans sa surproduction.

Ajoutez à tout cela Braque, Giacometti et, égarés d’un autre siècle, un portrait et une petite étude de pomme de Cézanne, et voilà. On reste partagé. Berggruen avait-il une collection faiblarde ? Non, selon les avis largement partagés. La faiblesse est-elle alors celle de « l’art du XXe siècle » (au sens où, dominant, il en est représentatif) ? Le temps est venu d’évaluer cet héritage.

• Heinz Berggruen, un marchand et sa collection. Picasso – Klee – Matisse – Giacometti. Chefs-d’œuvre du Museum Berggruen / Neue Nationalgalerie Berlin. Musée de l’Orangerie, jusqu’au 27 janvier 2025.

Paul Klee (1879-1940), Paysage en bleu [Landschaft in Blau], 1917. Aquarelle, crayon, stylo et encre sur papier apprêté sur carton, 18,3 × 24,5 cm. Prêt de la famille Berggruen. Photo © Bpk / Nationalgalerie, SMB, Museum Berggruen / Jens Ziehe

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Merci pour cet article salutaire. dans « le misanthrope » il est question d’un sonnet bon à mettre au cabinet. Cherchez donc el fil conducteur qui relie ces zartistes de notoriété mondiale entre eux. Une source d’explication à leurs succès et à leur enrichissement scandaleux. Il y a de diablerie là-dessous et du messianisme itou. Bref le Vingtième siècle – après 1918, les autres avaient été engloutis par les tranchées – aura été celui de toutes les hideurs où l’on aura décrété qu’une œuvre vaut quelque chose surtout quand elle n vaut rien… L’ère de la Marchandise, celle de Mammon et de Baal-Moloch !

  2. Quelle surprise ! Enfin un article sur l’art de notre époque qui remet en cause le sacro saint tabou de l’Art Moderne. Parmi ses adeptes Picasso a été un artiste brillant et doué, ses oeuvres académiques de jeunesse le prouvent mais en bon Scorpion qu’il était, ses aspects destructeurs et réducteurs ont dominé sa vie d’artiste.
    La provocation a été le fil de ses créations. Démarche qui est celle qui permet à un artiste de connaitre la gloire.
    L’Art Moderne a été la réaction à l’Académisme et c’est éloigné de la Nature qui est la source du réel Art éternel. D’artisans on est passé à artistes qui est l’individualisation des egos d’artisans.
    La provoc s’est avérée en être son chemin. Manet l’avait déjà compris avec son « Déjeuner sur l’herbe » au Salon des Refusés en 1863. Picasso en a fait le fil de sa carrière. Si Balthus le dernier peintre classique n’avait pas choqué par ses sujets ambigus d’érotisme il serait inconnu. Cette subversion de l’Art traditionnel a permis la marginalisation de la vraie peinture et de la sculpture pour permettre l’essor de l’Art dit Contemporain qui n’a plus rien à voir avec l’Art véritable. Art Contemporain qui est la suite de l’Art Moderne pour arriver au vide absolu. La référence n’est plus la qualité de l’œuvre mais la notoriété de l’ego de l’artiste.
    L’Art véritable lui se découvrait alors dans le silence des lieux de cultes et à notre époque dans celui des galeries. Aujourd’hui l’Art Contemporain existe essentiellement dans l’agitation des foires où seuls les plus bruyants et plus excentriques se font remarquer.
    A chaque époque l’art a été le reflet de son époque, il est aujourd’hui le reflet de la décadence inéluctable de notre occident.
    Point de vue d’un ancien galeriste parisien qui est parti dans les montagnes suisses retrouver le grand Art de la Nature loin des agitations spéculatives sur le vide et de son inversion des valeurs.

  3. Dommage de n’avoir pas prolongé la réflexion. Le fiston de Heinz, Nicolas Berggruen, né à Paris et donc citoyen à double nationalité allemande et américaine, collectionneur d’art, vautour financier (voir Wikipedia pour les paradis fiscaux où il loge ses participations) et « philanthrope » cosmopolite/mondialiste qui a su attirer (comment ?) les complaisances des Pascal Lamy, Gerhard Schroder, Joseph Stiglitz, Francis Fukuyama, Mario Monti, Tony Blair, Jacques Delors… Et versé son écot lors des campagnes d’Oboma ou d’un incertain Macron. Dans quel but ? Cet homme, discret animateur de la Fondation Berggruen, a été rattrapé par l’actualité alors que Sylvie Goulard était proposée par Macaron au poste de commissaire européen : las, la fondation Berggruen avait versé sur 27 mois 324000 euros « sans contrepartie connue ». Tout cela est établi sur la fiche Wikipedia de Nicolas Berggruen, qui a hérité de son père le sens du réseautage… cette exposition participe à son noyautage des « élites » cosmopolites, il y en a tant à Paris !

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