[EXPO] Le trompe-l’œil, ou quand l’art rencontre l’illusion

G.D. Doncre, Trompe-l'oeil, 1785. Arras, Musée des Beaux-Arts. © Samuel Martin
G.D. Doncre, Trompe-l'oeil, 1785. Arras, Musée des Beaux-Arts. © Samuel Martin

Voilà une exposition des plus originales par le thème retenu : le trompe-l'œil. Le musée Marmottan-Monet en regroupe quatre-vingts, venus de ses propres collections ou d’Europe et des États-Unis, échelonnés du XVIe à nos jours. Né en marge de la nature morte et de la vanité, le genre a ses maîtres, en particulier aux XVIIe et XVIIIe siècles : Cornelis Norbertus Gijsbrechts, Jean-François de La Motte, Guillaume Dominique Doncre, Louis-Léopold Boilly. Tous s’illustrent dans le « quodlibet », ou pêle-mêle : un panneau de bois auquel sont accrochés, par un lien ou des punaises ou de la cire, tout un petit bazar : lettres, partitions, cartes à jouer, gravures, images pieuses, brochures, pièces de monnaie, plumes, besicles…

Cornelis Norbertus Gijsbrechts (1649-après 1676 ?). Trompe-l’œil, 1665. Huile sur toile. 59 x 56 cm. Paris, musée Marmottan Monet. © Musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB

Ces choix d’objets s’expliquent par leur caractère familier, qui permet de dessiner un « portrait » du commanditaire ou du peintre (la palette y figure, en ce cas, ou l’autoportrait du peintre dans un Doncre de 1785, sous forme d’une gravure à côté d’un canif, d’un porte-crayon, d’une équerre… Mais ces objets ont surtout l’avantage d’être plats ou peu épais et, donc, de se prêter à l’illusion d’optique mieux que des objets volumineux. On voit bien la différence avec une grande vanité de Gijsbrechts qui, déployée dans l’espace, n’appartient pas au genre proprement dit. Avec un grand trompe-l'œil de 2 mètres de long, La Motte atteint sans doute les limites du genre. Construit sur un pêle-mêle, il gagne en épaisseur avec un buste, un violon, une bouteille et, à droite, s’élargit sur une bibliothèque. L’œil s’y trompe - puis s’y perd.

C’est à Louis-Léopold Boilly (1761-1845) qu’on doit le terme de « trompe-l'œil ». Il intitula ainsi une peinture exposée au Salon de 1800. Son plateau de table est célèbre. Une des pièces qui y sont disposées est frappée à l’effigie de Napoléon Bonaparte ; cela confirmerait l’hypothèse que l’œuvre ait appartenu à l’Empereur. Boilly a aimé, aussi, imiter des estampes et faire des accumulations d’images (peintures, gravures, dessins). Comme d’autres spécialistes du genre (Étienne Moulineuf), il les présente parfois dans un sous-verre cassé… qui n’est que feintise.

Louis Léopold Boilly (1761-1845) Trompe-l’œil aux pièces de monnaies, sur le plateau d’un guéridon, vers 1808-1815. Peinture à huile sur vélin et bois. Guéridon 76 cm de hauteur, plateau 48 x 60 cm. Lille, Palais des Beaux-Arts. © Grand Palais Rmn (PBA, Lille) / Stéphane Maréchalle

Le quodlibet n’est pas tout le trompe-l'œil. Jean-Baptiste Oudry, peintre des chiens et des chasses de Louis XV, peint un bois de cerf dans une audacieuse composition (Oudry était un audacieux, peintre du Canard blanc sur fond blanc, en 1753). Anne Vallayer-Coster joue avec la sculpture, « peignant » des bas-reliefs en marbre (faunesse, putti…), deux petits tableaux en camaïeu d’une grande sensibilité. L’imitation de bas-reliefs blancs destinés à prendre place dans une pièce, pour décorer l’architecture, eut un certain succès : ainsi des grandes toiles « néo-classiques » de Jacob de Wit.

Henri Cadiou (1906-1989). La Déchirure, 1981. Huile sur toile. Collection particulière. © Droits réservés © ADAGP, Paris 2024

Au XXe, ce sont les peintres du groupe Trompe-l'œil/Réalité, emmenés par Henri Cadiou (1906-1989), qui redonnent vie à un genre qui, sans avoir disparu, s’était quelque peu éclipsé. Cadiou signe La Déchirure (1981), emballage d’où émerge la Joconde. Pierre Ducordeau, Tableau en déplacement (1966). Certaines œuvres modernes n’échappent pas à une certaine sécheresse : Le Reliquaire, de Jacques Poirier ; Paquet postal, de Ton de Laat. Est-ce l’effet d’une recherche trop axée sur l’hyperréalisme ? Les quodlibets des XVIIe-XVIIIe nous montrent que le trompe-l'œil n’a pas à être photographique pour faire illusion. Nos sens n’en demandent pas tant pour être abusés et la réalité n’est jamais si sèche. Vu sous ce jour, les trompe-l'œil de l’art contemporain (Jade, par Daniel Firman, 2015), 100 % réalistes par des moyens étrangers à l’art, ne s’inscrivent pas dans la continuité d’un genre qui mêlait art et illusion en ménageant habilement l’un et l’autre.

• Le trompe-l'œil, de 1520 à nos jours. Jusqu’au 2 mars 2025, musée Marmottan-Monet. 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris. Du mardi au dimanche, de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h.
• Le catalogue (280 pages, 35 euros) sera en librairie à partir du 31 octobre.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

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