[EXPO] Les Nymphes de Jean Goujon, chef-d’œuvre de la Renaissance française
La fontaine des Innocents est un repère du quartier des Halles depuis le milieu du XVIe siècle. Au-delà, elle est un des célèbres monuments de Paris qui, au XIXe siècle, s’est retrouvé sur des jeux de l’oie, des rideaux, des assiettes… Ce coin du vieux Paris a beaucoup changé - il ne reste plus rien du cimetière des Innocents qui « consomma plus de 2.000.000 de Parisiens », écrivait Jacques Hillairet, ni de l’église des Saints-Innocents, ni des halles du marché XIXe. La fontaine elle-même a connu beaucoup de modifications et a été déplacée.
L’essentiel demeure : les reliefs sculptés par Jean Goujon, ces nymphes verseaux qui sont l’un des chefs-d'œuvre sculpturaux de notre Renaissance. À l’occasion d’une restauration de ce monument, elles sont à voir, à hauteur d’homme, au musée Carnavalet. Jean Goujon est un météore. Ses dates sont présumées, 1510-1568 ? Il apparaît à Rouen en 1541 (il œuvre alors pour la cathédrale Saint-Maclou) et disparaît de Paris en septembre 1562. On crut longtemps que ce huguenot avait été tué dans les massacres de la Saint-Barthélemy. Il n’en est rien : on trouve sa trace à Bologne, et on l’y perd. On connaît donc tant bien que mal vingt ans de sa vie et une vingtaine d’œuvres.
À Paris, la carrière de Jean Goujon fut aidée par le soutien de Pierre Lescot, seigneur de Clagny et architecte du roi. On doit à ce bâtisseur une partie de l’aile occidentale de la Cour carrée du Louvre et Joachim du Bellay, de Rome, lui écrivait : « En ce pendant, Clagny, que de mil arguments/Variant le dessein du royal édifice,/Tu vas renouvelant d’un hardi frontispice/La superbe grandeur des plus vieux monuments… » Lescot commanda des sculptures à Jean Goujon pour le Louvre et pour plusieurs de ses chantiers : hôtel de Carnavalet (devenu le musée), Saint-Germain-l’Auxerrois.
Dans cette église, Goujon réalisa les reliefs du jubé, présentés dans l’exposition : la Déploration du Christ et les quatre évangélistes (1544). Son style est déjà formé. Marqué par le maniérisme italien, il suppose des années de jeunesse passées en Italie. Sur un fond nu, le sculpteur joue du contraste entre les corps et les drapés. Son art est ascétique mais pas sec, subtil mais sans mollesse. Dans cet art du relief, abstrait par l’opération de transposition qu’il suppose, Goujon va à l’essentiel sans esbroufe, avec un sens de la forme exigeant.
Ces caractéristiques se retrouvent sur le décor de la fontaine, autre travail réalisé sous la direction de Pierre Lescot. Le monument fut inauguré peu avant l’entrée d’Henri II dans Paris en 1549. Les cinq nymphes aux silhouettes déliées retrouvent dans l'expo les trois compositions du soubassement (démontées lors d’un remaniement du monument et intégrées aux collections du Louvre) : tout un monde marin de nymphes, tritons, putti, chevaux marins, coquillages… Quelle élégance ! Quel art consommé du plein et du vide ! Peut-être Joachim du Bellay se souvenait-il de ces panneaux lorsqu’il imaginait, à Rome, un palais dédié aux Muses : « Là se verra maint Faune, et Nymphe passagère… » - encore un sonnet adressé à Pierre Lescot.
Si mystérieuse demeure sa bibliographie, les œuvres de Jean Goujon parlent pour lui et les artistes ne s’y sont pas trompés. La postérité des bas-reliefs de la fontaine a été considérable, chez les sculpteurs : Pajou, David d’Angers, Préault, Bourdelle, Wierick… Et chez un peintre au moins : Ingres, dont La Source (1856) est une descendante directe des nymphes. Même la publicité s’en est inspirée (Coco, l’esprit de Chanel, avec Vanessa Paradis en 1992). Mais nul n’a égalé les nymphes de Jean Goujon, tellement Renaissance mais surtout intemporelles.
• Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, Paris IVe. Tous les jours de 10h à 18h, sauf les lundis.
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Un commentaire
Merci Samuel Martin. Brillant comme toujours. Ne renoncez surtout pas à l’effort de l’excellence.