[EXPO] Notre-Dame de Paris : sculptures cassées, beauté intacte
On n’en a jamais fini, avec Notre-Dame de Paris, avec ses misères, certes, mais surtout ses mystères et ses beautés. Alors que l’édifice réouvre, le musée de Cluny met à l’honneur les fragments de sculptures retrouvées au XIXe, au XXe… et au XXIe, durant les travaux de fouilles qui ont mis au jour le jubé éclaté.
Au fil du temps, la cathédrale a subi des aménagements, ressentis comme nécessaires sur le moment, mais qui laissent pantois quant aux œuvres et chefs-d'œuvre qui en pâtirent. En 1699, le jubé et une partie de la clôture du chœur sont abattus pour dégager la vue sur le sanctuaire et installer les œuvres du Vœu de Louis XIII. En 1771, afin de faciliter le passage des processions, on supprime sans trembler le trumeau d’un des portails et on entame les linteaux sculptés. Le clergé avait fait de même à Angers, en 1745. Il ne faut jamais sous-estimer l’iconoclasme clérical - témoin Mgr Ulrich avec ses vitraux. Les destructions révolutionnaires suivent. Les rois et les saints sont décapités, les insignes de royauté bûchés. « L’art livré aux bêtes », aurait dit le sculpteur Henri Charlier pour qui Notre-Dame joua un rôle artistique et spirituel déterminant. Alors qu'au lycée, vers 1900, on lui enseignait les ténèbres du Moyen Âge, il passait devant Notre-Dame qui lui offrait un démenti : « Je riais en dedans et me disais en pensant à mon "prof" : Fais-en autant. »
La Providence a plus d’un tour dans son sac. En 1839, on retrouve des statues incluses dans un mur du marché au charbon de la rue de la Santé. En 1977, rue de la Chaussée-d’Antin, à l’occasion de travaux, on découvre 21 têtes monumentales de la galerie des Rois, un enfouissement qui « fait songer à une inhumation ». Puis sont mis au jour, lors de la fouille du transept (2022), des éléments du jubé et de la clôture du chœur. Ces fragments exhumés qui révèlent des œuvres détruites mais pas anéanties, comment les considérer autrement qu’avec piété et admiration ?
Tout partiel qu'est le drapé d’une statue-colonne du portail Sainte-Anne, tout abîmée qu'est la tête d’un roi de Juda, sans nez, cabossée d’éclats, leur beauté est intacte. Ils ont pour eux, mieux qu’une statue entière de médiocre facture, la vie de l’esprit. Ils sont la parfaite illustration de cette idée de Rodin : « Et si vivace, si profonde est la pensée des grands artistes, qu'elle se montre en dehors de tout sujet. Elle n'a pas même besoin d'une figure entière pour s'exprimer. Prenez n'importe quel fragment de chef-d'œuvre, vous y reconnaîtrez l'âme de l’auteur. » Oui, il faut voir ces morceaux de drapés amoureusement taillés, le mouvement qu’ils dessinent, combinant souplesse et tension, avec un savant dosage de tailles grasses ou maigres suivant l’effet recherché.
À Paris, seule Saint-Étienne-du-Mont conserve son jubé. Ce qu’on a retrouvé de celui de Notre-Dame a donc une grande importance. On a retiré la moitié des restes du jubé (ou les deux tiers), puis les fouilles ont été interrompues pour respecter le calendrier fixé par Emmanuel Macron. « Il serait impardonnable de laisser dans le sol de la cathédrale de telles splendeurs », alertait Didier Rykner (La Tribune de l’Art), qui confirme à BV qu’une part du jubé restera enterrée. La politique a primé l’archéologie.
Des années d’études seront nécessaires pour reconstituer la composition et le programme iconographique du jubé de Notre-Dame. Le récit de la Passion était central, et la qualité artistique grande. Les torses des trois crucifiés, le visage du Christ mort sont impressionnants - et le décor aussi, avec deux morceaux de frise où courent des feuilles de vigne d’une délicatesse toute gothique.
Chose des plus rares : les pierres enterrées sous le transept ont gardé de leur polychromie originale. Le rouge y dominait ; le fond sur lequel se détachaient les figures en haut relief était bleu outremer avec des étoiles dorées. Quel effet devait donner cet élément d’architecture sculptée et colorée barrant la nef ! Une reconstitution en images de synthèse nous en donnera, un jour, une idée… mais rien ne vaut ces éclats d’œuvres où se reconnaît - pour reprendre les mots de Rodin - « l'âme de l’auteur ».
• Faire parler les pierres - Sculptures médiévales de Notre-Dame. Musée de Cluny, jusqu’au 16 mars 2025. 28, rue du Sommerard, 75005 Paris. Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h15, sauf le lundi.
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11 commentaires
Le fait du prince, la rancœur du peuple, les négligences d’un Etat, font que ces magnifiques édifices, hors leur religiosité considérée, sont dégradés, l’art de leurs concepteurs ainsi piétiné. Nous avons la fâcheuse faiblesse à « talibaniser » nos réactions.
Bien
Très bonne initiative que cette exposition.
En dehors de votre remarque sur les vitraux, vous avez vu samedi soir, les incantations d’ulrich qui dialoguait avec l’orgue ? Le paganisme n’était pas loin !
Je suis de votre avis.
Oui, c’était odieux. J’ai d’ailleurs arrêté la visualisation du direct sur mon ordi.
j’ai encore cette impression désagréable en moi lorsque kje repense à cette cérémonie de samedi.
Bonjour, Belle cérémonies, pleine de religiosité mais aussi de »COM ». Que dire des soutanes et autres chasubles qui ont un arrière goût de »LGBT… » dans cette démonstration de … modernisme où est la beauté retrouvée des icone, sculptures … rénovées et dévalorisé par ces »vêtements » sacerdotaux ; payés par nos »deniers du culte ». Où est la doctrine de pauvreté de l’Église ? Vatican 2 a beaucoup bouleversé la liturgie. Encore heureux que nous ayons eu le »Pater Noster » en latin! Ce n’est pas être réac que de demander une liturgie respectueuse des traditions : où sont nos messes d’antan et la beauté de ses chants grégoriens, la ferveur des croyants… et je ne parle pas du mobilier liturgique, déjà depuis Vatican II on ne fait pas la messe face à DIEU, mais en lui tournant le dos…et dire que je fus (jeune laïc ) à concélébrer la messe sous cette forme , (je n’avais jamais été enfant de chœur) en ne pensant aux dérives à venir…la FOI du charbonnier est bien loin, hors la COM point de salut !! dommage et l’on s’étonne de la désaffection de nos églises. Hosanna, Sursum Corda, Deo Gratias ! ! !
Je suis entièrement de votre avis.
Les églises dans lesquelles sont célébrées les messes en forme » extraordinaire » sont pleines, de jeunes notamment, attirés par cette Transcendance divine à laquelle ils aspirent mais qu’il est plus difficile de ressentir dans nombre de cérémonies modernistes…
Je me demande si la plus regrettable décision de Vatican II n’est pas le tutoiement adressé à Dieu. Pourquoi introduire cette familiarité au lieu du respect concomitant de l’adoration ?
Les églises dans lesquelles sont célébrées les messes en forme » extraordinaire » sont pleines, de jeunes notamment, attirés par cette Transcendance divine à laquelle ils aspirent…
On a tendance à l’oublier, mais nos cathédrales gothiques ou romanes étaient polychromes. Voir, comme exemple pour la décoration intérieure, l’abbaye de St Michel de Frigolet.