[Expo] « Oser la Liberté » : une histoire tronquée de l’esclavage

OSER

Installée dans la crypte du Panthéon, « Oser la Liberté » est une exposition qui entre en résonance avec l’édifice puisque plusieurs des « figures des combats contre l’esclavage » y ont leur tombeau ou un monument. Elle parle traite, marronnages, abolitions, commémorations, et présente la version originale du Code noir ou une lettre de Toussaint Louverture, « chef des révoltés ».

Parmi les personnalités militantes, on voit Victor Schoelcher, peint par Decaisne. Schoelcher est un rescapé du wokisme : ses statues furent abattues en 2020 parce que, tout abolitionniste qu’il fut, il restait colonialiste - personne n’est parfait. Autre beau portrait, superbe même, par Anne Girodet-Trioson : celui de Jean-Baptiste Belley, premier député noir à la Convention et l’un des artisans législatifs de l’abolition de l’esclavage. Décidément, personne n’est parfait : Jean-Baptiste Belley eut au moins deux esclaves, dont une jeune femme qu’il avait « étampée », c’est-à-dire marquée au fer. Mais cela, l’exposition ne le dit pas. Ni que « à la veille de la Révolution, les libres de couleur possèdent un tiers des terres et un quart des esclaves de la colonie » du Cap, à Saint-Domingue.

Portrait de Victor Schoelcher, par Henri Decaisne. Huile sur toile – 1833. H 116 x L 96 cm (sans le cadre). Propriété de la commune de Fessenheim – Haut-Rhin. Crédits photo : Commune de Fessenheim

Où l’on tait l’hypocrisie de Voltaire

De fait, il y a plein de choses que l’exposition ne dit pas. Prenez Voltaire et la célèbre phrase, tirée de Candide, qui alerte sur l’égoïsme européen et sur la souffrance des esclaves : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ! » On ne nous dit pas que lui-même se préoccupait fort de recevoir du sucre des Antilles pour sucrer ses compotes. À n’importe quel prix, donc (cf. Xavier Martin, Voltaire méconnu, Éditions DMM). Ni qu’il avait placé de l’argent dans la Compagnie des Indes, dont l’implication dans la traite des Noirs était connue. Belle démonstration de l’hypocrisie voltairienne !

Et puisque l’exposition veut mettre en lumière les figures qui luttèrent contre l’esclavage, où sont les Trinitaires, fondés par saint Jean de Matha, en 1194 ? Les Mercédaires, fondés par saint Pierre de Nolasque, en 1218 ? Ces religieux se dévouèrent au rachat des esclaves en Afrique du Nord, du XIIe au XVIIIe siècle… Mais pour mentionner ces courageux prédécesseurs, il aurait fallu parler de la traite arabo-musulmane pluriséculaire qui capturait les chrétiens lors de razzias sur les rives nord de la Méditerranée et dans les îles, et les réduisait en esclavage. Silence radio.

Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Dominique à la Convention (1747-1805), 1797. Par Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson. Huile sur toile 159x112 cm. MV4616. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. Photo © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

L’ombre de Taubira plane sur le Panthéon

On doit à Christiane Taubira la « Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition ». Une mémoire sélective, puisqu’elle assumait qu’on taise en France cette autre traite arabo-musulmane qui commerçait des Africains. L’interdit posé par Taubira est respecté : l’exposition du Panthéon n’en souffle mot.

Or, voilà ce qu’écrivait, à propos de cette traite, l’anthropologue et économiste sénégalais Tidiane N’Diaye : « Alors que la traite transatlantique a duré quatre siècles, c’est pendant treize siècles sans interruption que les Arabes ont razzié l’Afrique subsaharienne. […] La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains et de la castration généralisée » (Le Génocide voilé, Continents noirs, NRF Gallimard). N’y eut-il vraiment aucun penseur arabe pour la dénoncer ?

Souvenons-nous des janissaires

Non content d’être le principal acheteur d’esclaves noirs auprès des négriers arabes, l’Empire ottoman menait son propre esclavage sur les populations des Balkans qu’il avait conquises. Là encore, le mutisme est complet. Rien sur l’esclavage sexuel des jeunes garçons et des jeunes femmes, rien sur l’esclavage militaire des janissaires (enfants enlevés, convertis de force à l’islam et militarisé)… Le corps des janissaires fut aboli par Mahmoud II en 1826 : entre 6.000 et 10.000 janissaires furent exécutés en deux jours. Le sultan baptisa cette abolition en forme de massacre de masse « l’heureux événement ».

Concoctée avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, l’exposition du Panthéon en livre une version sérieusement amputée. Quand sont passées sous silence les traites ottomanes et les traites arabo-musulmanes à l’égard des Européens et des Africains, que reste-t-il ? Des petits non-dits à la troncature de pans complets, tout est fait pour accréditer l'unique culpabilité de l’homme blanc. Elle est étayée par des « conseillers scientifiques » qui ont fait le choix de ne pas oser la liberté… intellectuelle.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

22 commentaires

  1. Madame Christiane TAUBIRA, 25 octobre 2013 :  » Madame le Ministre , c’est d’autant plus pour moi un honneur de vous accueillir , que c’est mon trisaïeul qui a affranchi le vôtre ! « 

  2. Rares sont les écrits non tronqués sur l’esclavage, des faits sont omis volontairement, cet article m’a particulièrement intéressé bien que je connaisse cette réalité. Le Journaliste est courageux d’écrire sur cela par les temps qui courent.

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