[Expo] Quand les navires de La Seyne sillonnaient les mers (1888-1987)

Des chantiers navals de La Seyne, il ne reste que la porte d’entrée et le pont levant, devenus attraction touristique.
Crédits : Villa Tamaris / Marius Bar
Crédits : Villa Tamaris / Marius Bar

C’est une France que nul, aujourd’hui, ne peut imaginer. La France industrielle, industrieuse, dont les réalisations – marine à voile, à vapeur, marine marchande, marine de guerre – sillonnaient les mers du globe.

Quand on cherche au fond de sa mémoire les manifestations monstres qui ont accompagné la liquidation de la France industrielle sous la gauche mitterrandienne, arrivent en tête les chantiers navals. Seuls ceux de Saint-Nazaire ont survécu. Ceux de La Ciotat et La Seyne-sur-Mer ont coulé, emportant avec eux un temps que les moins de vingt ans ne peuvent même pas imaginer. Un temps où le travail était une valeur, virile en l’occurrence, qui faisait la fierté de ceux qui construisaient les navires de guerre, les méthaniers, les sous-marins ou les paquebots, tout comme étaient fiers les mineurs au fond des puits.

Il s’appelait Marius Bar

Un photographe a saisi tout cela et ses clichés - sans IA, sans Photoshop, sans assistance numérique - sont d’une puissance et d’une beauté qui touchent au cœur. Il s’appelle Marius Bar et l’on peut voir ses photos à la Villa Tamaris, le Centre d’art de Toulon TPM qui se consacre à la photographie.

Né en 1862 à Marseille, élève de Pélissier et de Lina Bonnot, Marius Bar était venu installer son atelier de photographie à Toulon, délaissant bien vite le portrait pour entrer dans la boîte les lumières de la Provence et les quartiers d’une ville qui grouillait alors de vie. Et c’est lui, bien sûr, puis ses successeurs qui ont photographié les chantiers, les navires, les hommes, la mer, la guerre aussi et ses dévastations.

Après une exposition, à l’automne, consacrée au Toulon des années 1900, on découvre cette fois 65 clichés (sur un peu plus de 4.000 négatifs) – dont certains inédits – sur cette thématique des « bâtisseurs de navires ». On y découvre non seulement les bâtiments mais aussi le travail des hommes, et rien que des hommes, qui ont œuvré là avec un courage sans faille, depuis la construction du cuirassé Amiral Duperré, en 1876, jusqu’au dernier sorti des chantiers : le ravitailleur La Somme, en 1988.

Et les femmes ?, demanderait Sandrine Rousseau. Elles sont là pour les lancements qui sont des jours de fête. Pour l’occasion, les ouvriers ont congé. Endimanchés, fiers, ils sont massés sur les quais pour voir passer les dames en grande tenue et les hommes en hauts-de-forme, en tête la marraine qui va briser la bouteille sur la coque. Le paquebot Roma en 1901, le Médie en 1911, le Patria en 1912, l’Ipamena en 1917, l’El Mansour en 1930, le Paris en 1934, le Tidecrest en 1958… et, au milieu, les contre-torpilleurs, les cuirassés et même la remise en état du somptueux yacht du « prince navigateur », Albert Ier de Monaco, qui fendit les mers jusqu’au Spitzberg.

François m’a tuer, l’Europe aussi

On a présenté comme une tache dans notre Histoire le sabordage de la flotte française dans le port de Toulon, le 27 novembre 1942. On sait moins que huit bombardements massifs par les alliés s’abattirent sur la ville entre novembre 1943 et août 1944. Celui du 24 novembre 1943 affiche le plus lourd bilan : 450 morts, 600 blessés et 12.000 sinistrés ; 47 % de la ville détruits. Toulon, alors aux mains de la Kriegsmarine, « était devenu un objectif stratégique considérable pour les Américains et les Anglais. Lesquels ont, pendant des mois, tenté de détruire les installations de l’arsenal et des chantiers navals de La Seyne », rappelait, dans Var-Matin, Jean-Marie Guillon, professeur émérite de l’université Aix-Marseille, le 24 novembre dernier.

On peut voir, à l’exposition de Tamaris, les photos des chantiers dévastés, des chars d’assaut ayant même été sabotés sur un convoi ferroviaire, de peur qu’ils ne tombent aux mains de l’ennemi.

Emmanuel Macron, qui se veut aujourd’hui grand chef des va-t-en-guerre, n’a pas fêté, à Toulon, les 80 ans du débarquement de Provence, le 15 août dernier. La foule était pourtant là depuis l'aube, attendant le lâcher des parachutistes sur les plages du Mourillon ; et puis le Charles-de-Gaulle au large de Saint Mandrier, venu accueillir le Président. On avait arrêté toute circulation des trains entre Marseille et Nice, mais le Président n’est pas venu. Par crainte du mauvais temps… sous un soleil de plomb.

La gauche mitterrandienne a liquidé la France industrielle pour lui substituer un nouveau prolétariat tourné vers le tertiaire. L’Europe bruxelloise a décidé, voilà des décennies, de faire de la France le camp de vacances du continent. C’est chose faite. Triste allégorie : il ne reste plus aujourd’hui des chantiers navals de La Seyne que la porte d’entrée et le pont levant, devenus attraction touristique. À la place des ateliers et des hangars s’élève un casino au milieu d’un grand parc, temple du jeu et des machines à sous. Dans les nouveaux (petits) chantiers qui bordent la rade, le yachting de luxe a remplacé la marine de guerre. La boucle est bouclée et c'est la gauche qui l'a refermée.

 

Villa Tamaris, 295, avenue de la Grande-Maison, 83500 La Seyne-sur-Mer, jusqu’au 27 avril 2025

Picture of Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

15 commentaires

    • Je suis arrivé à La Seyne à l’âge d’un an, avec mes parents. J’ai assisté parfois à des lancements de bateau. Oui, la CGT a tué les chantiers de La Seyne. Un poste ou un ouvrier suffisait, la CGT en demandait 2, ou 3 et faisait grève pour avoir satisfaction.

  1. Voilà un sujet que je connais bien, j’ai travaillé aux chantiers le CNIM très exactement, Chantier Naval et Industriel de le Méditerranée, je vois également à la lecture des commentaires que certains connaissent le sujet et en effet les fossoyeurs sont évidemment la CGT, c’était grève sur grève, arrêt de travail pour un oui pour un non tout les prétextes étaient bons, cela étant les gouvernements de l’époque ne se sont pas précipités pour sauver l’entreprise et a juste raison je pense car les subventions versées pour produire étaient énormes cela ne pouvait pas durer, aujourd’hui il reste effectivement la grande porte, à cette sortie au moment de débaucher c’était la cohue des grands jours comme pour les soldes, les descendants du CNIM aujourd’hui c’est la partie Industrielle de haut niveau mais plus rien qui flotte.

  2. « La gauche mitterrandienne a liquidé la France industrielle pour lui substituer un nouveau prolétariat tourné vers le tertiaire. » Pour être honnête, ça a commencé sous Giscard, la destruction de l’industrie et de l’agriculture pour consacrer la France au tertiaire. On y est.

  3. Vous oubliez, en plus de la gauche mitterandienne ou non, de parler du rôle néfaste, incendiaire et assassin des syndicats, et en tout premier lieu de la CGT, dont l’objectif affiché, sous prétexte d’amélioration de la vie des travailleurs, a été de supprimer l’outil de travail et de grossir le nombre de chomeurs. Merci donc à eux d’avoir si largement contribué au désert français et à la décadence de la France.

  4. Victime de la CGT, de l’absentéisme et du vol. C’était quelque chose, ils ont réussi à détruire leur instrument de travail, comme à La Ciotat d’ailleurs, j’ai vu ça tourner il y a 70 ans on allait voir le lancement des bateaux.

  5. Bel article de remémoration, merci Madame.
    De la France industrielle, courageuse, avec ses ouvriers, ses ingénieurs, travailleurs, entreprenants, au service du pays, à la France mitterrandiste vautrée dans le loisir et la jouissance de la consommation : plus dure a été la chute en quelques décennies. Et ça continue.
    Le tourisme à la place de la production : on va aller loin avec ça…

  6. Merci pour article Chantier La Seyne sur Mer.
    Manque mention des Chantiers de France-Dunkerque dans noms des grands sites victimes de leur bandon par nos responsables politiques. Ce Chantier était l’équivalent nordique du chantier méditerranéen, concevait et construisait les mêmes gammes de navires.
    Sans compter le chantier Dubigeon-Normandie à Nantes, leader en construction des cars ferries, d’où sont sortis, en particulier, tous ceux de feue la SNCM.

    • Victime de la CGT, de l’absentéisme et du vol. C’était quelque chose, ils ont réussi à détruire leur instrument de travail, comme à La Ciotat d’ailleurs, j’ai vu ça tourner il y a 70 ans on allait voir le lancement des bateaux.

  7. Fin ses chantiers de la Seyne sur Mer. De la Ciotar. Merci qui.. merci Tapie… il a prétexte l europe pour fermer ces 2 chantiers..

  8. Lorsque les navires de La Seyne sillonnaient les mers, les chargeurs français privilégiaient le pavillon français, l’économie française était protégée des mille et une concurrence déloyales et nos gouvernances nationales prenaient encore en compte les priorités nationales.
    Nous pourrions d’ailleurs en dire autant pour les chantiers navals de Saint-Nazaire ainsi que pour tous les autres secteurs d’activités de la France d’alors.

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