[EXPO] Revoir Watteau : la mélancolie d’un Pierrot

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De toutes les peintures de Watteau - mort en 1721 -, le Gilles mis à l'honneur au Louvre n’apparaît que tardivement : elle est mentionnée pour la première fois vers 1820. C’est pourtant un chef-d'œuvre du peintre, par sa taille et par ce personnage monumental et gauche. Par le mystère, aussi, de sa signification. Suivant le titre qu’on lui donne, celle-ci change. Son habit désigne Pierrot, le naïf face au rusé Arlequin. Mais son titre traditionnel, Gilles, en fait un nigaud (Gilles le Niais était un personnage créé par un acteur à Paris, en 1640). On ignore si ce titre de Gilles est d’origine ou lui a été donné lors de sa réapparition.

Restaurés, les visages ont perdu leur teinte jaunâtre. On sent dans le feuillé des arbres (en peinture, on ne parle pas de feuillage), le pinceau preste et inquiet de Watteau. On admire dans l’habit les tons de blancs et de gris de l’habit et, d’un tout autre blanc, la collerette. L’harmonie générale contribue elle aussi au mystère. En bas, les figures regardent l’âne et non Gilles : il est seul dans sa balourdise, plus sot que l’âne ? Watteau ne représente pas des comédiens sur scène mais les introduit, en costumes et ès qualités, dans une vie aussi peu réelle que possible. Ils semblent jouer non plus une pièce mais un drame intime à l’écart du public.

Antoine Watteau, Pierrot, dit autrefois le Gilles, APRÈS restauration, Paris © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

La toile est présentée au milieu d’autres, sur le thème des acteurs. Qu’il s’agisse d’un prédécesseur de Watteau (Karel Dujardin, Les Comédiens italiens), de son maître Claude Gillot ou de ses suiveurs (Jean-Baptiste Pater, Nicolas Lancret), Watteau est toujours au-dessus des autres par la poésie qu’il donne à ses compositions (La Partie quarrée, L’Amour au théâtre italien).

Ce refus du sujet anecdotique ou prestigieux, le comte de Caylus (au milieu du XVIIIe) y voyait une faiblesse. Il regrettait que les toiles de Watteau soient « dépourvues d’une des plus piquantes parties de la peinture. Je veux dire l’action. » Il était là plus benêt qu’un Gilles. C’est justement ce qui fait leur intérêt pictural, de ne pas être trop soumise à un sujet, ou que celui-ci soit insaisissable.

Karel Dujardin, Les Charlatans italiens, dit aussi Les Comédiens italiens, 1657, huile sur toile, 45 × 52 cm, Paris, musée du Louvre, département des Peintures © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Tony Querrec

Toujours dans une vision utilitariste, on a imaginé que la toile était une enseigne pour un café « tenu par un ancien acteur spécialiste du rôle de Pierrot », dit Le Louvre, ou d’affiche pour un spectacle. Hypothèse irréaliste. Ni la technique ni la taille ni la facture ne correspondent à une enseigne. Accrochez une peinture sur toile de cette taille, le vent et l’humidité en feront rapidement un innommable torchon. C’est vrai, aussi, pour L’Enseigne de Gersaint, le marchand de tableau - un titre posthume, en réalité.

Le Pierrot-Gilles de Watteau est plus complexe que le personnage de la farce. Cette donnée sera largement reprise au XIXe et au XXe par les comédiens (Greta Debureau, Sarah Bernhardt, le mime Marceau) qui « reprendront » le rôle, par les artistes qui reprendront le thème (Picasso, Gris, Rouault, Derain).

Et la littérature, donc ! On pourrait citer le sonnet de Verlaine, aussi, où le poète s’identifie à un personnage devenu lugubre. Dans cette postérité de la toile de Watteau, le Louvre a oublié Drieu la Rochelle et son roman Gilles. Puisqu’il y a Willette, qui fit de Pierrot un personnage récurrent de ses œuvres, il pouvait bien y avoir aussi Drieu. Celui-ci se reconnaissait physiquement dans le personnage peint par Watteau et, peut-être, dans le sentiment d’une inadaptation au monde, génératrice de cette mélancolie dont déborde la toile de Watteau.

Antoine Watteau, La Coquette, vers 1713, pierre noire, gouache et aquarelle, 21 × 42 cm, Londres, The British Museum © The Trustees of the British Museum

• Revoir Watteau. Un comédien sans réplique - Pierrot, dit le Gilles. Musée du Louvre. Jusqu’au 3 février 2025. De 9 h à 18 h (jusqu’à 21h le mercredi et le vendredi). Fermé le mardi.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

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