[EXPO] Tarsila do Amaral, caïpirinha parfum woke

Tarsila do Amaral, Batizado de Macunaíma [Baptême de Macounaíma], 1956. Huile sur toile, 132,5 x 250 cm. Collection particulière. © Samuel Martin
Tarsila do Amaral, Batizado de Macunaíma [Baptême de Macounaíma], 1956. Huile sur toile, 132,5 x 250 cm. Collection particulière. © Samuel Martin

Tarsila do Amaral (1886-1973) est une artiste brésilienne qui appartint au « groupe des Cinq », fer de lance de la modernité dans la première moitié du XXe siècle. Elle était issue d’une famille de grands propriétaires terriens de la région de São Paulo, famille blanche et cultivée. Ces informations ethnico-sociales ont leur importance dans l’approche qui est faite de l’artiste par le musée du Luxembourg.

Tarsila do Amaral, Auto-retrato (Manteau rouge)[Autoportrait (Manteau rouge)]. 1923. Huile sur toile, 73 x 60,5 cm. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro. © Museu Nacional de Belas Artes/Ibram, Rio de Janeiro / photo Jaime Acioli © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A

Tarsila a subi l’influence de l’École de Paris, du cubisme, de Fernand Léger… Trop influençable, Tarsila ? Il y a pourtant de bons et de très bons tableaux, dans les années 1920 : Figure en bleu, Autoportrait au manteau rouge, le portrait d’Oswald de Andrade (poète, mari de Tarsila de 1926 à 1930). Son travail sur le paysage et les personnages ne manque pas d’intérêt non plus (Caïpirinha, c’est-à-dire la petite paysanne, Vendeur de fruits ou Carte postale).

En 1928, Oswald de Andrade publie le Manifeste de l’anthropophagie. Celle-ci, écrit Ana Avelar, « semble l’allégorie idoine pour représenter le rapport entre colonisés et colonisateurs », où les premiers choisissent ce qu’ils veulent digérer du second. Le manifeste signe le retour à un primitivisme fantasmé et donne naissance à toutes sortes de toiles de Tarsila plutôt creuses où l’on ne sait pas qui, du surréalisme ou du symbolisme, a mangé l’autre. Un tableau comme Urutu renverrait à « une époque précoloniale, précapitaliste et préreligieuse ».

Tarsila do Amaral, A Feira I [Le marché I]. 1924. Huile sur toile, 60,8 x 73,1 cm. Collection particulière. © Photo Romulo Fialdini © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A

Ce que le Manifeste de l’anthropophagie contient de traits wokistes - la volonté d’éradication de tout élément culturel ou civilisationnel européen - ne protège pas aujourd’hui Tarsila d’une sévère mise au pas, au nom de ces mêmes principes. Son tableau A Negra serait « une illustration des stéréotypes racistes et sexistes » ; « cette représentation d’un corps noir par une artiste blanche perpétue la violence historique contre les femmes afro-descendantes au Brésil », constate dans le catalogue Rafael Cardoso, qui ajoute : « L’insulte perpétrée par cette image passe par une dissonance perverse : A Negra est peint en ocre, couleur invraisemblable pour représenter la peau noire. » On donnerait bien un cours de peinture théorique et pratique à cet « historien de l’art ».

Malgré ces accusations, il est beaucoup pardonné à l’artiste. Car, bien que blanche et riche, elle fut communiste. Elle fit le voyage de Moscou en 1931 pour rencontrer le peuple soviétique « animé d’une mentalité saine et inédite, avec ses lois naturelles et ses poumons libres et capables de respirer l’air le plus sain des libertés », dira-t-elle à la presse. Inopportune remarque à l’époque des grandes famines et des déportations. Rentrée au pays, Tarsila fut emprisonnée un mois (le Brésil n’entretenait pas de relations officielles avec l’URSS). Si déplaisant que fût le traitement, il était bénin comparé à ce que vivaient au même moment les peintres et les écrivains dans les camps du goulag, institution fondée en 1930 par Staline.

Tarsila do Amaral, Operários [Ouvriers]. 1933. Huile sur toile, 150 x 205 cm. Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo. © Artistic-Cultural Collection of the Governmental Palaces of the State of São Paulo / photo Romulo Fialdini © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos S.A

Son style évolue, primitivisme et réalisme soviétique se cannibalisant l’un l’autre, ce qui donne Les Travailleurs (1938) ou encore Les Ouvriers (1933), galerie de visages tristes. Alors que l’abstraction, à la première Biennale de Sao Paulo (1951), donne un coup de vieux au modernisme du groupe des Cinq, l’artiste peint encore quelques toiles significatives : Les Couturières (thème social) et Baptême de Macounaíma (thème primitif). Tarsila do Amaral est parfois surnommée « la Frieda Kahlo brésilienne ». La comparaison vaut pour les idées politiques, mais pour le talent ? Telle que la présente le musée du Luxembourg, non.

 

Tarsila do Amaral, Peindre le Brésil moderne. Jusqu'au 2 février 2025, musée du Luxembourg, 19, rue Vaugirard, 75006 Paris. Tous les jours de 10h30 à 19h, nocturne les lundis jusqu’à 22h.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

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