Fanny Ardant, ou l’éloge de l’amitié vraie
3 minutes de lecture
Parce que la quarante-cinquième cérémonie des César finit par rendre Polanski presque sympathique, Foresti définitivement pathétique et Darroussin franchement dramatique, on en a presque oublié ce qui fut peut-être l’essentiel : la grand-messe du cinéma français nous a livré une ode à l'amitié vraie.
Seule contre tous, Fanny Ardant, dont une réplique vaut assurément l'ensemble de la carrière d'Adèle Haenel (« Adèle qui ? », s'écrieront les mauvaises langues), s'est érigée, non pour défendre des valeurs ou des principes, non pour régler des comptes ou rendre justice, non pour s'assurer un surcroît de visibilité dont elle n'a nullement besoin, mais plus simplement au nom de l'essentiel : l'amitié.
De sa voix particulière couvrant la mitraille d'une meute qui, comme toutes les meutes, fut veule, sans grand talent et vulgaire, l'actrice qui interpréta la Callas et, plus humblement, la femme d'à côté finit par expliquer que lorsqu'elle aimait, elle le faisait passionnément, jusqu'au bout, et qu'elle était prête à suivre quelqu'un jusqu'à la guillotine.
Ce soir-là, à l'ombre des ors rutilants du cinéma français et au pied de l'échafaud où finissait de rouler la tête d'un grand cinéaste et peut-être grand salaud, la toute grande classe a fini par trouver son parangon.
À l'heure où l'amitié se traduit en nombre de like sur les réseaux sociaux, se vend à l'encan, se dissout dans la société liquide au sein de laquelle une relation en chasse une autre, devient une affaire de quantité plus que de qualité, se vit dans les discussions stériles plus que dans les grandes aventures, se partage à coups de selfies et non plus de correspondance écrite et se manifeste par des serments aussitôt défaits au nom de l'intérêt égoïste et des plaisirs immédiats, l'attitude de Fanny Ardant tranche avec l'époque.
« Parce que c'était lui, parce que c'était moi », écrivait en de nobles temps Michel de Montaigne à propos d'Étienne de La Boétie. L'amitié vraie est ce sentiment d'attachement indéfectible qui unit les êtres par le cœur et les tripes, les rigolades et les œillades, dans les aurores fraîches et les crépuscules brûlants, qui se ressource dans les combats pour la civilisation et pour celui qu’on a élu comme ami, qui débat ou marque ses désaccords philosophiques dans le cercle privé pour mieux faire front en société.
L'Amitié, dont le A élevé en lettre capitale est aussi celui d'Ardant (et de d'Artagnan... tant les mousquetaires furent sans doute le plus bel exemple d'amitié défiant les contingences), est celle qui ne pourrait souffrir de lâcheté dans l'adversité, d'abandon sur les champs de bataille, de revirements successifs (je t'aime... moi non plus), de trahison pour plaire à quelques-uns ou à une caste.
La caste contre laquelle l'ardente Ardant s'est érigée malgré elle est celle du cinéma français et du politiquement correct (les deux termes étant devenus des quasi synonymes : que l'on nous rende Audiard et que l'on prête une nouvelle vie à Delon !), ce cinéma qui se meurt, qui n'est plus que l'ombre de lui-même, qui devient à force de mauvais films moralisateurs un art mineur (à ce titre, on ne saurait que conseiller la lecture de Très cher cinéma français pamphlet passionnant et sans concession d'Éric Neuhoff).
Bien sûr, et ne comptant pas parmi ses amis, je n'ai pas à le défendre. Polanski n'est (peut-être, certainement... en fait, je n'en sais rien et je m'en moque), au même titre que Céline ou Wagner, pas un saint homme et les charges, lourdes et peu ragoûtantes, pesant contre lui ne devraient l'absoudre : seulement, ce n'est ni à une humoriste érigée en Fouquier-Tinville contemporaine ni à une actrice qui ne sera jamais qu'un second rôle dans l'histoire du cinéma d'ériger le tribunal populaire chargé de le juger et de le faire monter sur le bûcher.
Fanny Ardant est cette grande dame brillante et cultivée que l'on aimerait tous compter parmi nos amis et qui, l'espace d'une soirée, a rappelé la valeur de l'amitié, ce lien qui est fait de loyauté, de combats communs et d'aventures ensemble sur les chemins de la vie.
Pleuve la mitraille tant qu'un ami veille en bouclier ; pleuve la mitraille tant qu'on puisse l'en maintenir à l'abri.
Thématiques :
Cérémonie des CésarPour ne rien rater
Les plus lus du jour
LES PLUS LUS DU JOUR
Un vert manteau de mosquées
BVoltaire.fr vous offre la possibilité de réagir à ses articles (excepté les brèves) sur une période de 5 jours. Toutefois, nous vous demandons de respecter certaines règles :