[FEUILLETON] Ne dis rien : une fiction sur les exactions de l’IRA provisoire
C’est un phénomène relativement peu connu mais on estime que les hostilités en Irlande du Nord, et en particulier la période des « Troubles », qui débuta à l’été 1969, accentuèrent les tensions au sein même des populations catholiques.
Née d’une scission de l’Armée républicaine irlandaise, jugée inactive et immobiliste, « l’IRA provisoire » de Seán MacStíofáin, réputée proche du Fianna Fáil, le parti de droite de la République d’Irlande, se fixait pour objectifs, au début des années 70, la défense des quartiers catholiques du Nord contre les milices protestantes et contre l’Armée britannique, et la réaffirmation des hostilités envers la Couronne via les attentats à la bombe et les assassinats ciblés…
Dans un tel contexte, évidemment, les autorités avaient besoin d’indics parmi les catholiques, dénichés lors des descentes et interventions diverses et variées. Dès lors, l’IRA provisoire faisait la chasse aux « balances », aux « traîtres », et l’on estime aujourd’hui que seize personnes au total, durant cette période, « disparurent » mystérieusement (treize corps seulement ont pu être retrouvés). Ces personnes furent enlevées, assassinées et enterrées, parfois même de l’autre côté de la frontière.
Parmi ces victimes, Jean McConville, mère de dix enfants, fut tirée de chez elle un soir de décembre 1972 par un groupe armé, bien que personne n’ait jamais pu prouver, à ce jour, qu’elle renseignait les Britanniques…
Une période de « Troubles »
Adapté du livre-enquête Say Nothing : A True Story of Murder and Memory in Northern Ireland, du journaliste américain Patrick Radden Keefe, Ne dis rien, mini-feuilleton en six épisodes disponible sur Disney+, relate avec intérêt l’affaire McConville. L’occasion de revenir longuement sur le contexte historique, de revivre l’époque – parfaitement reconstituée à l’écran (comme dans le récent Belfast de Kenneth Branagh) –, et d’en côtoyer les acteurs, dont le très controversé Gerry Adams, ancien leader du Sinn Féin d’Irlande du Nord, soupçonné d’avoir fait partie du conseil militaire de l’IRA à l’époque des faits – chose que l’intéressé a toujours démentie.
Créé par Joshua Zetumer, Ne dis rien (Say nothing, en version originale) a donc pour particularité d’aborder de long en large les actions les moins reluisantes de l’IRA. Le cinéaste Jim Sheridan, avec son chef-d’œuvre Au nom du père, sorti en France en 1994, fut l’un des rares jusque-là à avoir eu cette honnêteté intellectuelle.
À ce sujet — Cinéma : Belfast, de Kenneth Branagh
Passionnant, le récit de ce mini-feuilleton suit deux trames de façon parallèle : la disparition de Jean McConville avec ses conséquences politico-médiatiques, ainsi que le parcours militant des sœurs Dolours et Marian Price au sein de la hiérarchie des « provos ». Parcours qui passe en revue les marches pacifistes d’Irlande du Nord (rappelant le fameux « Bloody Sunday »), le « Bloody Friday » (qui vit l’explosion simultanée de vingt-deux bombes dans les rues de Belfast, le 21 juillet 1972), les premiers attentats à Londres, et les grèves de la faim dans les prisons britanniques.
Comme on s’y attend, les deux trames finiront à un moment donné par se rejoindre de façon dramatique…
Un parfum de polémique…
Bien construit, sans temps mort, ce récit de Joshua Zetumer, aux accents policiers, prend cependant la liberté d’affirmer le rôle-clé de Marian Price dans la mort de Jean McConville, ce que le journaliste Patrick Radden Keefe ne faisait que suggérer dans son ouvrage, avec toute la prudence nécessaire à ce type d’accusations. Sans grande surprise, l’intéressée a annoncé le 4 décembre dernier vouloir poursuivre Disney+ en justice pour diffamation. Sans doute n’a-t-elle pas l’intention de porter le chapeau pour tout le monde…
Ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet peuvent aussi mettre la main sur le livre-enquête, publié en France chez Pocket. On recommande également l’ouvrage de Daniel Finn, Par la poudre et par la plume, sur l’histoire politique de l’IRA. Quant à ceux qui voudraient remonter plus loin dans le temps, nous conseillons le feuilleton Rebellion, qui relate l’insurrection de Pâques 1916 et la guerre civile irlandaise.
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Un commentaire
Lorsque vous décortiquez les paroles d’une des plus célèbres chansons françaises, Les lacs du Connemara de Michel Sardou, il est précisément question de cela. De cette liberté des irlandais catholiques, le mot est mentionné, face à la pression de la puissante Angleterre. Et forte allusion à ces irlandais du nord compromis à la couronne britannique.