Fin des cabines téléphoniques : la campagne ne répond plus…

En 1997, il y en avait trois cent mille en France. Contre quinze mille aujourd’hui. L’année prochaine, il n’en restera plus que trois cent cinquante. De quoi parlons-nous ? De cabines téléphoniques. Vous, savez, cette étrange cahute qui, il n’y a pas si longtemps, servait à passer un coup de turlu moyennant quelques piécettes.

Depuis, le téléphone portable est passé par là. Tout le monde est désormais connecté. Ou presque. Car c’est toujours dans ce « presque » que le bât blesse. En effet, il y a encore en France ce qu’Orange – France Telecom, autrefois – nomme pudiquement des zones blanches. Là où, précisément, le portable ne passe pas. Où plus rien ne passe, d’ailleurs, ou alors de moins en moins : médecins, facteurs ou plombiers.

Il paraît que ces campagnes oubliées sont habitées par la France des « invisibles ». Comme ils sont discrets, on ne les voit pas. On ne les appelle même plus par leur nom, puisque nom il n’y a pas, il n’y a plus. Seulement des « invisibles ».

En attendant que Trou-perdu-les-Oies capte enfin le réseau, Orange ne manque pourtant pas d’idées : "Les communes ont la possibilité, si elles le souhaitent, de conserver l’habitacle dans le cadre d’un projet culturel ou artistique." C’est dit sans rire. Et un certain Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France, de préciser : "Dans certaines communes, la cabine est un marqueur, un point identitaire qui permettait aux habitants de communiquer avec le monde. Il y a parfois la volonté de la conserver, pour en faire une boîte à lire, par exemple." C’est répondu sans plaisanter.

Quitte à faire du mauvais esprit, on remarquera que d’autres « territoires », « perdus pour la République », ceux-là, font l’objet d’attentions autrement plus pressantes. Ceux qu’on appelle les « quartiers sensibles » ; voire les « quartiers », tout court. Là où s’entasse une autre France, celle de l’immigration et de ses enfants. Tous ces derniers ne brûlent certes pas des voitures et ne vivent pas forcément que de trafics, mais c’est tout de même dans ces mêmes « quartiers » que se concentre l’essentiel de ces trafics et de ces voitures incendiées.

Cette France a le soutien conjoint des pouvoirs publics et médiatiques. Quand elle n’en bénéficie pas, ou alors pas assez à son goût, elle descend dans la rue. Alors qu’une autre France, elle, n’a d’autre choix que de souffrir en silence, préférant parfois seulement se révolter dans les urnes. C’est la France de « ceux qui ne sont rien », pour reprendre la vulgate présidentielle, même si l’on a trop souvent tendance à oublier que c’est aussi elle qui nous nourrit.

À ce peuple des sans-voix, voilà aujourd’hui qu’on coupe le téléphone, l’un des derniers liens le rattachant au monde extérieur. Autrefois, et ce, en matière de téléphone, les humoristes plaisantaient en disant que si la moitié des Français patientait encore après une ligne, l’autre attendait la tonalité. Eux n’attendent plus rien depuis longtemps. Trop longtemps ?

PS : autre victime collatérale de la modernité triomphante, le Parti socialiste et autres mouvements politiques de semblable envergure dont on ne pourra même plus dire qu’ils tiennent leurs meetings dans des cabines téléphoniques.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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